Selon les détracteurs de la biopiraterie, les brevets déposés par les chercheurs ou les grandes entreprises sont à l’origine d’une appropriation illégitime du vivant. Ils conduisent les déposants à s’accaparer le monopole d’exploitation de certaines molécules de plantes dont les propriétés sont pourtant déjà connues et utilisées depuis plusieurs millénaires par des populations locales.
Vandana Shiva, Lauréate du prix Nobel alternatif affirme à ce titre que :
La biopiraterie est un déni du travail millénaire de millions de personnes et de cerveaux travaillant pour le bien de l’humanité.
Elle déclare par ailleurs que :
L’utilisation et l’appropriation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles des peuples autochtones à des fins commerciales et de recherche sans le consentement de ces derniers et sans contrepartie pécuniaire et non pécuniaire sont considérées comme des actes de «biopiraterie ».
Ce point de vue est largement relayé par l’ensemble des détracteurs de la biopiraterie. Selon une porte-parole de l’association France Libertés que nous avons interrogée :
La biopiraterie est le fait de s’accaparer le vivant avec le système de droits de propriété intellectuelle (notamment les brevets) et comporte deux aspects majeurs : l’appropriation des ressources de la biodiversité et l’appropriation des savoirs traditionnel sans en informer les détenteurs et sans partage des bénéfices.
Elle estime que les savoirs des peuples autochtones sont trop souvent considérés comme des savoirs secondaires librement appropriables et exploitables et devraient être, au contraire, valorisés et récompensés à leur juste valeur, notamment par le biais de brevets partagés par exemple.
L’appropriation des savoirs par le biais de brevets est donc, de ce point de vue, considéré comme un vol dès lors que le consentement des populations locales n’est pas recueilli et qu’aucun partage des bénéfices n’est prévu.
C’est cette approche qui a conduit l’association France Libertés à faire opposition au brevet déposé par l’IRD sur une molécule du Quassia Amara en 2015. En effet, au sein de cette opposition, l’association ainsi que ses cosignataires rappellent que les chercheurs de l’IRD se sont largement appuyés sur des entretiens avec des populations locales.
Opposition au brevet de l’IRD déposée par France Libertés, SOURCE : France Libertés
117 personnes issues de différentes communautés de la Guyane ont répondu à un questionnaire très détaillé portant sur les propriété curatives du Quassia Amara. Malgré cette contribution de la part des populations locales, l’association France Libertés relève que
Aucun élément dans les articles et travaux scientifiques publiés [par les chercheurs de l’IRD] ne permet d’établir que les participants à la recherche ont été informés de la nature du projet de recherche, de ses objectifs, des débouchés potentiels (notamment le dépôt d’un brevet), des risques et avantages du projet pour les participants et leurs savoirs.
Il s’agit donc selon eux d’un cas caractérisé de biopiraterie, d’un vol.
Mais, suite aux accusations formulées, l’IRD a tenu a faire remarquer que
Le brevet concerne la molécule SkE isolée et non l’utilisation de la plante Quassia amara et/ou des remèdes traditionnels antipaludiques la contenant. Ainsi, le brevet ne porte aucune atteinte à l’utilisation de la plante, sa commercialisation celle de produits dérivés, par les populations de Guyane ou d’autres pays où elle est cultivée .
Il ne s’agirait donc que d’un brevet sur une molécule très spécifique, dont les populations n’avaient elles-mêmes absolument pas connaissance. De ce fait, aucun vol ne pourrait donc être caractérisé.
Catherine Aubertin, chercheuse à l’IRD écrit dans son article intitulé « Ce que ne disent pas les dénonciations de biopiraterie ».
La loi française pour la reconquête de la biodiversité, […] exclut pourtant de son champ d’application « les connaissances traditionnelles associées à des ressources génétiques ne pouvant être attribuées à plusieurs communautés d’habitants » et « les connaissances traditionnelles associées à des ressources génétiques dont les propriétés sont bien connues et ont été utilisées de longue date et de façon répétée ». Ce qui est bien le cas des ressources concernées par les récentes accusations de biopiraterie, dont le Quassia Amara […]
Selon elle, le Quassia Amara est une plante présente depuis des millénaires et exploitée par tous sans qu’on puisse définir un propriétaire susceptible de subir un « vol ». Ce cas n’entrerait donc pas dans le champ d’application de la loi française pour la reconquête de la biodiversité et ainsi, le brevet déposé par l’IRD serait parfaitement légal. (Pour plus de détails, cf « la biopiraterie existe-t-elle »)
Pour voir un autre point de discussion relatif aux dépôts de brevets cliquer sur : « Les brevets : instrument indispensable de la recherche ? »
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