Comme nous l’avons dit dans la partie L’idéal d’Enedis, le but de l’installation de ces compteurs reste de pouvoir mieux contrôler le réseau (mieux détecter des pannes, pouvoir régler la puissance à distance etc…), le but final étant théoriquement de proposer un meilleur service au consommateur. Le parlement européen avait voté en 1996 une directive imposant aux états membres de mettre en place la concurrence dans le marché de l’énergie pour éviter les situations de monopole. C’est également l’un des objectifs du plan Linky.
La CRE (commission de régulation de l’énergie) est en charge de surveiller la bonne évolution de ce projet. A ce titre, elle a régulièrement publié des rapports. Le premier rapport, publié en 2011, porte sur la phase d’expérimentation du compteur Linky. A la suite de cette phase d’expérimentation, la CRE a été favorable à la généralisation de ce compteur.
“Les gestionnaires de réseaux doivent notamment faire face à l’essor des énergies renouvelables, sources de production d’électricité intermittentes et décentralisées qui rendent plus difficile l’équilibrage entre la demande et l’offre d’électricité. Le compteur Linky, qui rendra possible un suivi beaucoup plus fin et temps réel, constitue un élément essentiel du développement de réseaux d’électricité intelligents (Smart grids).” – note de la CRE
Le 9 mars 2018, la CRE a publié une mise au point suite au rapport de la Cour des Comptes :
“Le déploiement des compteurs communicants LINKY est un process industriel d’une très grande envergure qui apportera aux 35 millions de sites alimentés en électricité une technologie de pointe pour répondre aux attentes des consommateurs et aux nouveaux usages de l’électricité. »
Ils rendent possible la réduction de la consommation d’énergie, le développement de nouveaux services énergétiques, l’émergence de nouveaux acteurs et l’optimisation des coûts des réseaux et de leur performance.
Sur le coût de ce projet, le Président de la CRE élève le ton pour rappeler que son financement sera totalement neutre pour les clients grâce aux nombreux gains que ces compteurs permettront, notamment pour maîtriser la demande d’énergie : au global, les facture n’en sera pas affectée.
« Quant aux données personnelles recueillies par LINKY, il vaut mieux que ce soit par le service public sous le contrôle d’une autorité comme la CNIL, (ainsi pour l’amélioration du service public) que par de grands acteurs du numérique qui d’ailleurs les exploitent déjà » déclare Jean-François CARENCO, Président de la CRE « Se priver de ces compteurs « nouvelle génération », c’est refuser les mécanismes fondamentaux à la transition énergétique »
Comme nous pouvons le voir, à aucun moment la CRE ne remet en cause l’utilité de ce compteur. Elle affirme bien que ce compteur sera une arme permettant de moderniser le réseau électrique. En revanche elle insiste sur un point important : le fait que ce compteur ne doit représenter aucune charge financière supplémentaire pour les consommateurs.
Le problème c’est que tout le monde n’est pas d’accord sur l’utilité du compteur côté consommateur. Tout d’abord la plupart des foyers faisaient déjà de la répartition de consommation en lançant leur machine à laver la nuit par exemple et ont, par conséquent, du mal à percevoir l’utilité du compteur sur la gestion de consommation.
De plus, le compteur installé devait être à la base un compteur intelligent, mais pour Stéphane Lhomme, il ne mérite pas cette appellation. Lui préfère parler simplement de compteur communicant ou de compteur mouchard. Corinne Lepage a pris récemment parti dans ce conflit en dénonçant le manque d’intérêt pour le consommateur, notamment pour ce qui est de réduire sa facture d’électricité. D’abord, elle a affirmé recevoir très régulièrement des lettres de certains consommateurs se plaignant de l’augmentation de presque 30% de leur facture. L’explication avancée par Enedis est le fait que les compteurs électromécaniques se “détendent” avec l’usage et finissaient par sous-évaluer la consommation. Il n’en reste pas moins que, pour certains, Enedis vient installer un compteur qu’ils n’ont jamais demandé, on leur dit que cela n’engendrera pas de frais supplémentaire, qu’ils pourront même mieux maîtriser leur consommation et ils se retrouvent avec une hausse conséquente de leur facture d’électricité.
Corinne Lepage se plaint également du fait que le consommateur n’a pas accès au montant de sa facture en temps réel, ce qui aurait été un meilleur moyen de suivre et maîtriser sa consommation. Sur ce point là, le cadre d’Enedis nous a affirmé que c’était ce qui était initialement prévu mais que cela présentait certaines difficultés technique car il fallait intégrer au boîtier un élément communiquant avec le fournisseur pour savoir le prix associé à tel ou tel créneau. Enedis se défend en disant que cette technologie existe, il suffit pour cela d’acheter un boitier à part qui vient se connecter au compteur et affiche en temps réel le montant de la facture. Pour les ménages les moins aisés, Enedis promet la gratuité de ce boitier. Enedis indique que les données de consommation sont sur le site, or seulement 1.5% des consommateurs se sont connectés sur le site.
L’utilité de ces compteurs pour les gestionnaires de réseau est indéniable, c’est ce qui explique leur prolifération à travers le monde. Dans une interview donnée au Figaro, Bernard Lassus, chef du projet Linky, affirme que d’ici à 2022, il y aura plus d’1.5 milliards de compteurs connectés dans le monde. De nombreux pays comme la Chine, l’Italie, l’Espagne ou même le Québec ont adopté cette technologie. Certains pays comme l’Italie l’ont adopté avant tout pour lutter contre la fraude, d’autres encore comme la Finlande, l’ont adopté pour des raisons environnementales car ils permettent une véritable gestion de la consommation.
Pour analyser l’utilité de Linky, il peut être bon de le situer parmi les autres compteurs communicants. Un cadre d’Enedis ayant travaillé sur la conception du compteur Linky, nous a affirmé que le compteur Linky était à mi-chemin entre des compteurs temps réel commandables à distance en instantané comme on peut en observer en Californie et des compteurs disposant de technologie aidant à la gestion de la consommation d’une part et des compteurs basiques communiquant simplement la facture au fournisseur. Ce tableau illustre bien la chose: [source: http://www.smartgrids-cre.fr] on voit que la France a essayé de rentrer dans toutes les cases. Pour la gestion de la pointe (c’est à dire empêcher les gens de trop consommer en période de pointe pour pas abîmer les câbles et pour que tout le monde ait au moins le minimum d’électricité chez lui) le compteur Linky dispose d’un système permettant de réduire la puissance à distance. Le point discutable est l’efficacité énergétique car la gestion de la consommation aurait pu être rendue plus facile.
Pour ceux qui souhaitent s’informer un peu mieux sur les différents types de compteurs communicant, l’UE a demandé un rapport afin de pouvoir comparer les différents compteurs au sein des 27, le voici.
Ce qui pose problème à certains consommateurs également, c’est le fait que le compteur est très strict sur le respect de la puissance souscrite. Ainsi certaines personnes qui avaient souscrit un abonnement de 3 kVA (abonnement pour un petit logement sans chauffage électrique) pouvaient consommer mettons 3.5 kVA en puissance maximale car la combinaison compteur/disjoncteur tolérait ce genre d’écart en raison de leur imprécision. Linky étant plus strict, certains foyer vont devoir, soit mieux répartir leur consommation, soit souscrire à l’offre 6 kVA. Cela entraîne bien évidemment une hausse de la facture électrique. Voilà pourquoi certaines personnes se plaignent d’une hausse du nombre de coupures de courant liées au dépassement de la puissance souscrite.
En conclusion, le compteur Linky pose problème car il est avant tout utile au gestionnaire de réseau. Certains choix réalisés lors de la conception n’ont pas simplifié les démarches de gestion de consommation. Le fait que certains voient venir une hausse de leur facture et/ou une hausse des dépassements de la puissance souscrite suscite même des mécontentements.