Lorsqu’on parle de récidive des sortants de prison, on a tendance à imaginer le cas le plus simpliste ou un individu commet une infraction, est attrapé et condamné dans un temps « raisonnable », purge sa peine, sort de prison, et, quelques temps plus tard, commet une nouvelle infraction pour laquelle il est à nouveau condamné. La réalité est souvent bien plus complexe que l’image dépeinte dans les études statistiques.
Or, la qualification de la récidive ou de la réitération repose sur un enchaînement d’événements bien particulier : la seconde infraction doit être commise après l’expiration ou la prescription de la première peine, sans quoi il est impossible de mesurer l’impact réel de ladite peine.
Cet enchaînement est caractérisé par une série de dates et d’intervalles de temps. L’accès à ces événements chronologiques est plus ou moins aisé pour notre statisticien. Il va donc être amené à les choisir selon les moyens d’investigation dont il dispose.
Les étapes d’une affaire pénale
Pour comprendre la difficulté qu’il peut y avoir à reconstituer la chronologie d’une affaire, intéressons-nous aux étapes-clé qui la composent :
- la (ou les) infraction(s),
- la condamnation,
- la peine,
- l’expiration ou la prescription de la peine.
M. Tournier, lors de notre interview, nous a expliqué en quoi la première et la troisième étape peuvent être difficile à dater.
La « dates des faits », en effet, est une fiction, une reconstruction a posteriori, et ce pour deux raisons : la première est qu’une infraction peut être marquée par une date (comme par exemple un automobiliste qui grille un feu rouge) mais aussi par un intervalle (comme par exemple une escroquerie). La deuxième raison relève du problème des infractions multiples portées au Casier Judiciaire, qui, comme on l’a vu dans la partie Quel critère de récidive choisir ?, amènent le statisticien à définir une infraction principale. La date de l’affaire correspond seulement à celle de cette infraction principale. Il est également possible de parler plutôt, comme P.V. Tournier, d’intervalle des faits : « la date des faits n’existe pas toujours, les faits pour lesquels la personne est de nouveau condamnée pouvant s’étaler dans le temps, d’où, la notion d’intervalle des faits : c’est l’intervalle minimal qui inclut toutes les dates de faits pour une condamnation donnée. »
D’autre part, un individu condamné à une peine de prison peut déjà s’y trouver au moment de la condamnation, qu’il soit sous écrou provisoire ou en train de purger une autre peine. En outre, sa peine peut être ponctuée d’évasions, d’hospitalisations, de permissions de sortie. L’incarcération est loin d’être un bloc qui commence après la condamnation, et se déroule d’un seul coup.
Enfin, deux délais de longueur variable sont à prendre en compte. Le premier correspond à l’intervalle de temps entre la date de la condamnation et celle de l’inscription au Casier Judiciaire. On comprend qu’une méthode d’investigation basée sur l’exploitation des Casiers Judiciaires ne peut prendre en compte les affaires condamnées mais non portées au Casier avant la date limite de l’intervalle d’observation.
Le second délai se situe entre la condamnation et l’exécution de la peine, et il peut être extrêmement variable. Ces deux délais sont détaillés et chiffrés dans la partie Quels moyens d’investigation ?.
Dans tout ce qui suit, on note, pour plus de concision, la « date de l’infraction » (avec toute la reconstruction que cela suppose) ti, la date de la condamnation tc, et la date d’expiration ou de prescription de la peine te.
Le choix de la simplicité : ti2 > tc1
Face à toutes les difficultés de datation que nous avons pu mettre à jour, la solution la plus simple consiste encore à ne considérer que les événements pénaux chronologiquement repérés dans le Casier Judiciaire. Le critère est alors : la date de la seconde infraction doit être postérieure à la date de la première condamnation. On comprend le glissement par rapport au critère légal, pour lequel la date de la seconde infraction doit être postérieure, dans notre cas, à la sortie de prison, et pas à la condamnation. C’est soit l’option choisie par la SDSMJ dans ses Infostat Justice pour le calcul du « taux de récidive légale » et du « taux de réitération statistique ». Ainsi, pour cette dernière : « Comme pour la récidive, et conformément à la définition légale de la réitération, la condamnation antérieure, prononcée au cours de la période 2002-2007 est retenue pour caractériser un réitérant uniquement si elle est antérieure aux faits sanctionnés par la condamnation de référence. »
Pour le taux de récidive légale, on pourrait penser, en réalité, que le critère d’enchaînement spécifique à cette étude s’élargit par défaut au critère légal : ce taux se calcule en effet principalement en relevant les mentions de récidive explicitement portées au Casier Judiciaire. Or, si la récidive est portée au Casier, c’est que l’infraction sanctionnée avait bien eu lieu après la prescription ou l’expiration de la précédente peine, puisque c’est ainsi que la récidive est décrite par la loi. Donc, si la récidive est portée au Casier, c’est qu’automatiquement l’enchaînement légal des événements est respecté. Mais la réciproque n’est pas vraie. Comme le note un rapport à l’Assemblée Nationale de 2004 sur « Le traitement de la récidive des infractions pénales » : « Afin d’être en mesure de relever la récidive, il importe au premier chef que les magistrats soient informés en temps utile de son existence. C’est au Casier judiciaire qu’incombe cette tâche mais force est de constater que les informations qu’il contient ne sont pas toujours inscrites dans des délais satisfaisants. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que les magistrats du parquet ou les juges correctionnels saisis ne relèvent pas la récidive puisqu’ils ne sont pas en mesure de constater son existence. » Autrement dit, et sans même parler des cas où les récidivistes ne sont pas attrapés, une étude statistique uniquement basée sur les Casiers ne peut prendre en compte la totalité des cas de récidive puisque les magistrats eux-mêmes ne le peuvent pas.
Par ailleurs, même si la récidive est portée au Casier, ce choix ne prend absolument pas en compte l’application effective de la peine initiale, ni son déroulement. Pourtant, on peut lire dans plusieurs rapports consécutifs de la SDSMJ traitant de la récidive : « Cette dimension chronologique entre la première condamnation et la date des faits à l’origine de la seconde condamnation est l’essence même de la réitération. Sans la prise en compte de cet enchaînement, la multiplication des condamnations pour un même individu ne traduirait que le constat de plusieurs passages à l’acte sans permettre d’évaluer l’impact de la sanction pénale.»
Il faut bien comprendre que ce que cette méthode assure, c’est l’évaluation de l’impact du prononcé de la sanction pénale, et pas nécessairement celle de l’impact de son application effective. Ne pas opérer cette distinction revient à faire preuve d’une confiance absolue en l’effectivité et la rapidité d’exécution des peines. Pourtant, le même rapport à l’Assemblée Nationale de 2004, à l’occasion duquel le Ministre de la Justice de l’époque avait été interrogé, nous indique, citant le ministre, que « « l’inexécution de 32 % des peines trouve son origine soit dans l’application de règles juridiques soit dans des difficultés pratiques de mise à exécution. » S’agissant des premières, la réponse du ministre indique que le décret présidentiel de grâces collectives aboutit à ce que « près de 11 % des peines d’emprisonnement [ne sont] pas exécutées de ce fait ». Pour les secondes, « l’absence de domicile connu explique la non-exécution de près de 16 % des peines ».
Respect du critère légal d’enchaînement des faits : ti2 > te1
Face à ces limites, il peut apparaître souhaitable de se rapprocher davantage du critère légal d’enchaînement des faits : la seconde infraction doit être commise après l’expiration ou la prescription de la première peine.
Un tel choix ne peut être mis en place avec le seul Casier Judiciaire : pour connaître la date précise de libération, il est nécessaire d’utiliser un autre document, la fiche pénale. Celle-ci est décrite plus en détail dans la partie Quels moyens d’investigation ?. C’est le choix opéré par des chercheurs comme P.V. Tournier et A. Kensey dans les études déjà citées. Le travail demandé est par conséquent plus long et délicat, et ne peut s’appuyer sur une collecte statistique des données informatisée.
Par ailleurs, comme M. Tournier a pu nous l’expliquer dans notre interview, ce choix apporte avec lui tout le problème de la mesure du temps carcéral, puisqu’il faut s’assurer que la sortie de prison portée sur la fiche pénale durant la période considérée correspond bien à l’expiration ou la prescription de la peine relative à l’infraction précédente.