Un problème écologique ?
Le terme « écotaxe » suppose l’intégration d’une dimension écologique de la taxe. Considérée par certains comme un objectif crucial, d’autres ne la désignent pas comme le but principal à suivre, mais plutôt comme une conséquence bénéfique de la taxe. Finalement, le débat s’élargit à une remise en question du principe de taxation écologique.
La taxe comme outil de régulation des émissions polluantes
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement (2007), l’écotaxe est proposée pour favoriser le report modal et limiter les émissions de gaz polluants. Dans cette approche, l’écotaxe s’inscrit dans une politique écologique qui est déjà pensée depuis les années 1990′.
Est ainsi mise en avant la dimension « pollueur-payeur », c’est-à-dire l’idée que l’écotaxe serait avant tout un outil pour faire diminuer les émissions de CO2, dont les poids lourds seraient en grande partie responsables. Les dispositions actées par le Grenelle ne sont pas de nature fiscale, mais insistent sur la répercussion : ce sont les bénéficiaires de la route qui s’acquittent de la taxe. En conséquence, selon un Avis déposé le 5 février 2013 au nom de la Commission des Finances, l’écotaxe serait la traduction du principe « pollueur-payeur » :
Cette disposition se justifie pour des raisons écologiques et économiques. Elle traduit le principe «pollueur-payeur » : le véritable utilisateur de la route n’est pas le transporteur mais son client. En outre, elle apparaît nécessaire pour éviter que la taxe ne pèse trop lourdement sur un secteur dont les marges sont déjà très faibles
On retrouve sur certains sites internet la défense de ce principe. Ils mettent notamment en avant le fait que faire augmenter le coût des transports via une taxe pousserait les entrepreneurs à rationaliser leurs trajets, c’est-à-dire à remplir les poids lourds au maximum. Ainsi, selon le site internet Pollutaxe, une réduction du flux transporté par la route entraînerait mécaniquement une diminution des émissions de gaz à effet de serre :
L’écotaxe est un des nombreux outils nécessaires pour lutter contre le dérèglement climatique en cours d’accélération dramatique. Rappelons que le transport routier (personnes et marchandises) est à l’origine de 91 % des rejets de gaz à effet de serre -responsables du changement climatique- du secteur des transports (qui représente plus d’un quart 26 % des émissions nationales !).
Un projet écologique ?
Certains acteurs politiques mettent a contrario en avant le fait que le projet gouvernemental n’était pas originellement un projet écologique. La dimension écologique de la taxe serait dès lors un bonus, mais en aucun cas l’objectif premier qu’elle devait remplir. En réponse à la question de la dimension écologique du projet, la société Ecomouv’ répond qu’au niveau technique, l’écotaxe ne contenait aucune composante environnementale :
En tout cas pendant le projet, s’il y en a eu une, c’était antérieur. […] Pour le technique, il n’y a pas d’empreinte environnementale particulière, la finalité de la taxe est écologique mais dans le système technique mis en place – mis à part des objectifs liés a des optimisations énergétiques – il n’y a rien de tout ça.
Entretien avec Jean-Christophe Damez-Fontaine, Directeur Général Adjoint Ecomouv
Pour certains acteurs politiques, la faiblesse des motivations écologiques constitue un motif suffisant pour refuser la mise en place de la taxe. En effet, dès son arrivée à la tête du ministère de l’Environnement, Ségolène Royal a par exemple décrié le projet sur ce point. Invitée le 16 octobre 2014 au Grand Journal de Canal+, elle a déclaré :
Nous irons sans doute au contentieux pour que les Français ne paient pas cette facture, car le système était absurde. Cette taxe n’avait rien d’écologique.
Ségolène Royal
On voit ainsi que pour certains, une écotaxe non-écologique n’a aucune raison d’être, quand bien même elle serait motivée par des constats au niveau de la congestion ou des coûts d’entretien des routes.
Le principe « pollueur-payeur » remis en question
Selon certaines entreprises de transport, les poids lourds ne pollueraient presque plus aujourd’hui. On peut de fait questionner l’idée que la taxation des poids lourds soit réellement écologique et objecter que, suivant les normes euro, les camions ont aujourd’hui réduit énormément leur niveau de pollution. Or, ces directives ne s’appliquent pas aux véhicules des ménages, qui pourraient donc polluer relativement plus que les camions aujourd’hui. Certaines entreprises considèrent ainsi que les efforts réalisés sont suffisants pour réduire l’impact écologique des poids lourds :
Non, le camion ne pollue pas plus, ce n’est pas vrai. […] On est aujourd’hui sur des normes Euro 6, on a divisé par 10, par 20, par 100, le niveau de pollution, que ce soit les nox ou que ce soit les particules.
Entretien avec Patrick Lahaye, PDG entreprise poids-lourds
De plus, selon certains scientifiques la taxe n’inciterait pas forcément au report modal à court terme. En effet, pour les petites et moyennes entreprises, il faut du temps et des fonds pour pouvoir reconsidérer leur organisation. Ils devraient alors supporter des coûts supplémentaires, qui les freineraient d’autant plus dans des projets d’investissement permettant un mode de transport plus « écologique ». Un article du nouvel Obs’ de 2013 rapporte les propos de Christian de Perthuis, directeur scientifique de la Chaire économie du Climat à l’Université Paris-Dauphine :
Il faut d’abord développer les infrastructures fluviales et ferroviaires, et leur laisser le temps de s’adapter. On ne pourra mesurer l’impact de la mesure qu’à moyen ou long terme.
8 questions sur l’écotaxe poids lourds (2013)
Favoriser le multimodal plutôt que décourager l’usage de la route
L’idée de transport multimodal consiste à allier le transport par la route à d’autres modes de transport de marchandises afin de tirer parti des meilleurs aspects de tous les modes, au niveau de l’écologie comme de la performance. Certaines entreprises, l’entreprise Lahaye par exemple, développent le « ferroutage », qui consiste à utiliser le ferroviaire et le routier de façon combinée. Le train, en effet, consomme moins d’énergie et pollue beaucoup moins que les poids lourds, et on peut mettre plusieurs poids lourds sur un train.
L’idée est donc de commencer le trajet avec un camion, qui parcoure ensuite le maximum de distance possible sur un train, puis de finir le trajet de la gare à l’entrepôt d’arrivée avec le camion. On augmente ainsi la performance tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre, puisqu’on peut en moyenne charger 48 camions sur un train fonctionnant électriquement. Supposant qu’un camion consomme entre 30 et 35 litres de gazole pour cent kilomètres, il faudrait en moyenne 13 000 litres de gazoles pour parcourir 800 kilomètres sans l’usage du train.
Certaines entreprises avancent ainsi l’idée que l’État aurait plus intérêt à favoriser ces méthodes multimodales – via des améliorations techniques et des investissements publiques – plutôt que de taxer les routes.
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