Le pouvoir des collectivités
Le rôle des collectivités territoriales dans l’élaboration, la mise en place et la gestion de l’écotaxe est crucial et amène des négociations entre les pouvoirs publiques et les régions. C’est la tension entre égalité devant la taxe et nécessité de tenir compte des spécificités territoriales qui a suscité une controverse et l’apparition de mouvements sociaux contestataires.
Selon le Ministère de l’Environnement, la sélection du réseau taxé et du montant de la taxe se sont faites par des négociations avec les collectivités. Des groupes de travail spécifiques se sont formés, notamment pour la Bretagne; en parallèle s’est établie une collaboration entre les différentes sections de la Direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGITM) dans les Directions régionales (Dréal), avec la mise en place d’un correspondant local dans chaque Dréal pour suivre les concertations locales et les discussions sur l’écotaxe. Le processus de discussion avec les collectivités s’est déroulé de mai 2009 à juillet 2011.
Selon la DGITM, l’État a délégué aux préfets des régions l’organisation de concertations régionales, qui auraient plus ou moins abouti. C’est finalement la saisie des collectivités gestionnaires de voirie qui a permis de délibérer sur les critères régionaux de taxation.
Le taux doit-il être variable selon les régions ?
Des réductions du taux de taxation ont surtout été revendiquées en Bretagne par certaines entreprises ou chargeurs, mais aussi dans d’autres régions comme en Île-de-France. Selon le MEDEF, qui demande l’annulation de l’écotaxe sur le périphérique parisien, il faut tenir compte du système de taxation dans la région et prendre en considération l’accumulation des autres taxes qui touchent les transporteurs :
Après la pluie de taxes subie depuis 2011 pour financer le Grand Paris, il s’agît d’un nouveau mauvais coup porté à la région.
Rapport du Medef du 29 septembre 2014
Le processus de négociation, selon le Ministère de l’Environnement, a abouti à l’exonération de certains morceaux du réseau national en Bretagne, pour des raisons économiques et à la demande des collectivités bretonnes. La variabilité du taux s’est ainsi établie à partir de discussions régionales. Les routes retirées du réseau taxable ont notamment été des routes à faible trafic, telle que la route Rennes-Châteaulin. L’ensemble de contestations bretonnes ont finalement abouti à une exonération régionale de 40%.
En soulignant les spécificités de l’économie bretonne, le mouvement des Bonnets rouges a affirmé que l’économie bretonne étant principalement agroalimentaire : elle était déjà en difficulté et l’écotaxe ne ferait qu’empirer leur situation, d’autant plus que les entreprises bretonnes n’ont pas d’autre choix que d’avoir recours au fret et que les distances à parcourir sont plus grandes que dans les autres régions.
Certains acteurs affirment néanmoins que cette variabilité régionale est un principe contrevenant à l’égalité et qu’il n’y a donc aucune raison que certains territoires profitent d’exonérations. C’est notamment le cas de Michel d’Haenens, chef d’entreprise de transport, qui considère que la réduction du taux en Bretagne est une injustice :
La loi du ministre Cuvillier prévoit une écotaxe de 6,7 % pour les transports dans le Nord-Pas-de-Calais ; elle passe à 5,2 % si on change de région. Mais en Bretagne, cette taxe sera divisée par deux parce qu’ils ont eu un taux réduit. Il y a déséquilibre !
Ecotaxe : les chefs d’entreprise du CRT de Lesquin mécontents
De même, certains scientifiques considèrent que l’obtention d’une exonération bretonne serait due à l’existence d’une solidarité territoriale qui aurait permis l’émergence d’un mouvement de contestation solide. L’importance du secteur agroalimentaire est certes une source de difficultés économiques, mais il est normal que le productivisme breton trouve aujourd’hui ses limites dans une économie mondialisée. L’économie bretonne a de plus d’énormes impacts environnementaux sur lesquels l’État aurait depuis trop longtemps fermé les yeux. L’exonération ne serait donc pas justifiée :
La situation de la Bretagne n’est certes pas bonne, mais elle n’a rien d’exceptionnel : son taux de chômage reste inférieur à la moyenne française. Dans ce contexte, le retour d’une contestation anti-jacobine aux forts relents identitaires – patrons et salariés coiffant le même bonnet rouge au grand dam des syndicats – n’est pas sans poser question.
Entretien avec Bernard Perret, économiste
La gestion de l’écotaxe doit-elle être déléguée aux collectivités ?
Alors que certains acteurs considèrent que les régions devraient être responsables de l’utilisation de la recette perçue avec l’écotaxe, d’autres considèrent que c’est plutôt à l’État de la redistribuer au niveau national.
Selon certains politiques, ce sont les différences régionales dans le secteur des transports qui appellent une gestion locale de la taxe. L’atout principal des collectivités est la fiscalité : la taxe rapporte des fonds et donc permet l’augmentation des moyens d’action régionaux, qui sont disparates d’une région à l’autre puisque qu’elles ont des stratégies différenciées en ce qui concerne le développement territorial. Cette utilisation régionale de la recette fiscale serait ainsi essentielle pour que la France parvienne à lier aménagement du territoire, urbanisme et mobilité. C’est le mode de gestion global et centralisé à la française qui pose aujourd’hui problème et c’est pourquoi la gestion de l’écotaxe devrait être déléguée aux régions :
La Région PACA est une région de transit, alors que la Bretagne est une région de production, qui n’ont pas les mêmes besoins, qui ne subissent pas les mêmes contraintes, qui n’ont pas les mêmes atouts, qui n’ont pas les mêmes difficultés ou faiblesses. Il faut avoir confiance dans les élus des collectivités, les élus des régions, et leur donner des leviers.
Entretien avec François-Michel Lambert, député écologiste
Cependant selon France Nature Environnement (FNE), les disparités régionales au niveau des routes et du trafic peuvent aussi être source d’inégalités que seul l’État esten mesure de résorber. Elle considère ainsi que la gestion régionale de la route n’est pas rentable car il y a un problème d’économies d’échelles : plus on applique un système à un nombre de kilomètres importants, plus le coût sera fixe pour l’amortir sera faible. D’autre part, la somme perçue par les collectivités locales sera, dans certaines régions, largement insuffisante pour financer les infrastructures routières. C’est pourquoi la centralisation de la gestion de la taxe permettrait de résoudre ces pertes et ces inégalités :
Si on prend un réseau régional, il y a des frais fixes de fonctionnement qui vont être énormes par rapport à la somme perçue. Il serait préférable que le système soit français, d’ailleurs le système français était prévu de dimension européenne justement, pour que les frais fixes soient amortis sur le maximum de kilomètres.
Entretien avec Michel Dubromel, FNE
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