Un partenariat public-privé est-il nécessaire?
La directive européenne sur interopérabilité impose la compatibilité des divers systèmes européens déjà existants. Ces systèmes étant développés par des sociétés privées, la directive impliquait implicitement l’appel à un partenariat public-privé. Néanmoins, le choix d’un PPP a fait face à de nombreuses objections, reposant sur des arguments économiques, juridiques et sociaux.
Les types de partenariat
Plusieurs types de partenariats existent selon la Direction générale des infrastructures, des transports de la mer :
Il existe trois choix qui sont souvent mélangés et confus : l’externalisation, le dialogue compétitif, le PPP.
Entretien avec Olivier Quoy, Mission tarification
L’externalisation renvoie au fait de confier à des partenaires privés des missions qui relèvent normalement de l’Etat.
Le dialogue compétitif est un choix purement technique « d’organisation de passation d’un marché ». Un tel choix ne suppose pas obligatoirement la signature d’un contrat de partenariat.
Le Partenariat Public-Privé est un mode de financement par lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public. Le partenaire privé reçoit un paiement en contrepartie du service qu’il génère, de la part du partenaire public et/ou des usagers de ce service.
Pourquoi choisir un PPP ?
Des raisons économiques
Les premières raisons avancées par l’Etat pour justifier le choix d’un PPP sont économiques. En effet, l’Etat jugeait qu’il n’avait pas les moyens d’investir, d’où l’obligation de faire appel à un financement privé.
Selon France Nature Environnement, le gouvernement était obligé d’avoir recours au PPP pour pouvoir couvrir les frais et le coût de financement de la mise en place de l’écotaxe de façon immédiate, puisqu’il ne disposait pas des fonds nécessaires pour le faire.
Des raisons techniques et pratiques
Selon certains économistes, le partenariat public-privé apporte certains avantages lors de la mise en place et de la collecte de la taxe :
Entretien avec Bernard Perret, économiste
D’autre part, selon le Ministère de l’Environnement, le PPP offre un mode de gestion spécialisé ainsi que des compétences de maîtrise d’ouvrage. Compte tenu de la complexité technique de l’écotaxe, le partenariat permet à l’Etat d’avoir accès à des sociétés spécialisées disposant des outils, des compétences et/ou des technologies permettant une mise en place efficace d’un système performant. L’appel d’offre a permis la confrontation de sociétés autonomes et indépendantes disposant de leur propre technologie.
Le choix du partenaire, selon la DGITM, s’est fait à partir de cinq critères :
- La qualité technique
- Les délais de mise en place
- Le coût
- Les objectifs de performance
- La part réservée aux PME
Le choix du PPP avec Ecomouv’, filière d’Autostrade, s’explique par l’ancienneté de cette dernière, son savoir en terme de taxation routière et sa capacité à mettre en place le projet rapidement.
Organisation pratique du PPP
Un rapport de l’Assemblée Nationale précise les grandes lignes des devoirs du prestataire :
- 1) La collecte des informations nécessaires à l’établissement de la taxe
- 2) La liquidation du montant de la taxe
- 3) La communication aux redevables non abonnés ou aux sociétés habilitées fournissant un service de télépéage pour le compte de leurs redevables abonnés, du montant de la taxe due
- 4) Les recouvrements de la taxe facturée aux redevables non abonnés ou aux sociétés habilités fournissant un service de télépéage pour le compte des redevables abonné, y compris le suivi des procédures collectives
- 5) L’instruction des demandes en restitution
- 6) Le versement au comptable des douanes et des droits indirects
- 7) L’archivage des données
En ce qui concerne la mise en place de l’écotaxe, l’Etat avait seulement défini les grandes lignes à respecter, c’est-à-dire les exigences fonctionnelles. La conception d’un dispositif technique et de son application revenait au prestataire. Des écarts peuvent être possibles entre ce qui est demandé par l’Etat et ce qui est techniquement recommandé. Il faut donc une entente, une coordination et une discussion claire et régulière entre les deux acteurs. Un autre problème se pose, celui du suivi.
Toute la difficulté pour l’Etat est de suivre l’avancée du projet sans pour autant rentrer dans la conception elle-même et d’en prendre la responsabilité. Néanmoins l’Etat opère des vérifications de bon fonctionnement qui vérifient que le projet avance de façon conforme à sa conception étatique.
Les limites d’un PPP
Le directeur général adjoint d’Ecomouv’ montre bien le problème de l’opinion publique sur la mise en place d’un PPP pour la gestion et la collecte de la taxe :
L’idée principale circulante était que le privé s’en met plein les poches.
Entretien avec Jean-Christophe Damez-Fontaine, Directeur Général Adjoint Ecomouv’
Le PPP fait en effet face à un problème d’acceptabilité de la part de plusieurs acteurs, qui sont particulièrement réticents à l’idée d’une implication du privé dans un projet public de taxation. Les nombreuses critiques formulées à l’égard du PPP portaient sur le sujet de la récupération d’une partie de la taxe par une société privée.
Ainsi, certaines entreprises de transport s’opposent à l’idée de payer une taxe dont une grande partie reviendrait à une société privée :
Depuis le début, dire qu’on va collecter un milliard mais que ça va coûter entre 250 et 300 millions pour récolter 1 milliard, c’est un problème, excusez-moi, mais c’est absolument un scandale.
Entretien avec Patrick Lahaye, PDG entreprise poids lourds
Cependant, selon certains acteurs politiques, si c’est bien Ecomouv’ qui gère la récupération des recettes, la quasi-totalité de ces dernières étant reversée à l’Etat, qui décide alors de leur allocation. Le reste des recettes est reversé au secteur privé, qui touche une rémunération pour la conception et la gestion de la taxe. Sur près de 1200 millions de dépenses envisagés, près de 280 millions d’euros (23%) sont consacrés à la rémunération du prestataire. Mais, en retirant à cette somme la TVA, le coût de recouvrement tournerait autour de 20%.
Si ce taux de rémunération semble acceptable pour certains, certains scientifiques le comparent au coût d’entretien des autres taxes françaises. Le coût global annuel de l’administration fiscale française serait d’environ 1,20% du montant perçu par an et en conséquence, l’écotaxe serait une taxe archaïque et anti-démocratique :
C’est la première fois depuis la Révolution française qu’un impôt prélevé sous l’autorité de l’État est affermé à une entreprise privée, qui plus est majoritairement étrangère, et à un taux sans commune mesure avec celui de la perception de l’impôt en France depuis la Révolution française.
Alain Guéry, économiste
Le choix d’un PPP, selon certains scientifiques, pose également un problème juridique. En effet, les lois relatives aux taxes stipulent que toute taxe doit obligatoirement passer par le Trésor Public. Légalement, aucun impôt ne doit servir à son propre financement ; or, l’écotaxe dérogerait à cette contrainte. Finalement, elle contournerait également le vote annuel et obligatoire du budget de l’Etat. Elle poserait ainsi un problème d’adéquation avec le système fiscal français :
À ne considérer que ces trois principes fondateurs des finances publiques démocratiques, nous pouvons observer que l’écotaxe, en y contrevenant, a en fait tous les caractères des finances de la monarchie française d’Ancien Régime, caractères qu’elle ne fait que réactualiser.
Alain Guéry, économiste
Le PPP entraînerait également certains risques, surtout financiers. Le premier risque d’un tel partenariat est le surendettement car l’Etat lance de grands projets coûteux, sans moyens de financement, et reporte à plus tard son paiement. Ainsi vient le risque des compensations financières envers l’entreprise privée dans le cas d’un abandon de la taxe. Les revendications des entreprises de péage montrent bien les risques financiers du PPP :
Globalement, nous avons investi 200 millions d’euros dans cette opération. Si l’État ne nous indemnise pas, nous l’attaquerons en justice pour obtenir réparation.
Entretien avec Phillipe Duthoit, PDG Eurotoll
L’abandon du contrat représente donc un réel risque en ce qu’il entraîne la nécessité de verser des compensations envers les sociétés privés. C’est exactement ce qui s’est passé. L’Etat doit non seulement 800 millions à Ecomouv mais également 200 millions à la société Eurotoll.
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