Les grandes institutions internationales, à l’instar de l’ONU et de l’Union Européenne, sont nées du grand conflit du XXème siècle avec comme objectif l’évitement d’un nouveau conflit par l’élaboration d’une voie politique et économique commune. Faire partie de ces institutions, c’est aussi partager une vision du monde et l’envie de l’orienter dans une direction bien particulière. C’est pourquoi il est important de revenir sur l’importance de leur engagement environnemental, principal déterminant mais aussi cadre de l’action des Etats. Ils ont aussi permis une harmonisation des systèmes de taxation des transports. Nous allons revenir sur les différents stades de l’engagement de ces institutions dans des perspectives environnementales ainsi que leur implication dans l’intérêt porté à un outil tel que l’écotaxe.
Organisation des Nations Unies (ONU)
L’ONU est une organisation internationale visant à garantir la paix et le dialogue interétatique dans le monde. Elle vient remplacer son ancêtre la Société des Nations à la fin de la Seconde Guerre Mondiale lors des accords de San Francisco en juin 1945. Elle s’est imposée comme un médiateur géopolitique incontournable et compte aujourd’hui 193 Etats membres (soit près de l’intégralité des Etats existants).
C’est en 1972, avec la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) – dont le siège est à Nairobi au Kenya – que la protection de l’environnement et la promotion du développement durable deviennent des objectifs explicites de l’organisation.
En 1994, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, est créée La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) laquelle reconnaît «que le système climatique est une ressource partagée dont la stabilité peut être affectée par les émissions industrielles de CO2 ainsi que les autres gaz à effet de serre » et appelle à une sensibilisation, une coopération et une action de la part des gouvernements afin de remédier à ce problème.
Le protocole de Kyoto de 1997 s’inscrit dans la même lignée écologique, chiffrant cette fois un objectif de réduction de 5 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012. L’appel à l’action des gouvernements en matière d’environnement est désormais clair : il faut trouver des solutions, maintenant. Bien qu’il ait été critiqué, ce protocole est à l’origine d’une prise de conscience, notamment européenne. Ces accords de Kyoto vont amener la question de la gestion des problèmes écologiques par l’utilisation d’instruments de marché, au sein des espaces de décisions européens. Depuis ce protocole se multiplient les décisions et projets politiques «durables» en France, au sein de laquelle s’inscrit l’ébauche d’écotaxe française.
L'Union Européenne (UE)
L’Union Européenne voit elle aussi le jour suite à la Seconde Guerre Mondiale, l’objectif est simple et progressiste : assurer la paix durable entre ses membres notamment à travers une union qui prend avant tout un caractère économique. Comptant initialement 6 membres fondateurs parmi lesquels la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, elle s’est élargie de manière rapide continue pour atteindre aujourd’hui 28 Etats membres.
Les différents textes fondateurs de l’Union tels que l’Acte Unique (1986) ou encore le Traité de Maastricht (1992) placent l’environnement et plus particulièrement les politiques en faveur du développement durable au sein des préoccupations européennes. Cela consiste principalement pour elle à instaurer des règles et des normes environnementales aux différents membres, dans le cadre d’une homogénéisation législative plus vaste.
Dans cette perspective, la directive « Eurovignette » est actée le 17 juin 1999 par le Parlement et le Conseil européen, laquelle :
Harmonise les systèmes de prélèvement, taxes sur les véhicules, péages et droits liés à l’usage des infrastructures routières, et institue des mécanismes équitables d’imputation des coûts d’infrastructure aux transporteurs.
Elle impose aux pays de l’Union de réaménager ou d’aménager le système de taxation concernant les infrastructures routières. La directive concerne dans un premier temps les poids-lourds d’au-moins 12 tonnes, impose un seuil de taxation minimal mais prévoit l’aménagement d’exonération sous des conditions particulières.
Elle sera révisée en 2006 et intègre dès lors une dimension de taxation des émissions carbones : elle prend un tournant plus écologique. Elle offre le cadre législatif et juridique permettant aux Etats-membres de mettre en place des dispositifs différenciés en fonctions du type de carburant utilisé et de la zone parcourue et met en avant la solution du report modal. La proposition d’une seconde révision est lancée en juillet 2008 qui vise cette fois à internaliser les coûts liés aux externalités (nuisance sonore, pollution…) : le virage vert est définitivement emprunté.
Institutions nationales
Nous avons rencontré M. Olivier Quoy, qui appartenait à l’équipe inter-ministérielle créée en 2007, mêlant des membres du ministère de l’écologie ainsi que du service douanier, en charge du projet de l’écotaxe française. Il décrit ainsi l’équipe engagée dans le projet :
On a choisi une structure qui n’est pas une structure interministérielle au sens fort, mais plutôt la coordination de deux équipes, avec une équipe côté ministère de l’écologie et une équipe côté douanes. Cette dernière oriente son travail sur les définitions législatives et règlementaires.
Le Ministère de l'Environnement
Il est l’acteur central de l’écotaxe à la française, de sa conception jusqu’à sa suspension. Poussé par les directives européennes, engagé par la signature de nombreux traités environnementaux, le gouvernement français va s’orienter progressivement vers l’idée d’une taxe poids lourds qui permette de réaménager les infrastructures routières ainsi que d’éventuellement accroître le report modal par l’effet d’un signal-prix, la perspective est donc double : entretien et protection environnementale.
Le Ministère de l’environnement sera tout le long de l’avancée du projet, le référent principal : c’est lui qui fait appel aux scientifiques qui théorisèrent la taxe française et qui pensèrent sa conception et la manière dont elle allait être mise en place. C’est lui qui lance un appel d’offre en 2009 et fait le choix d’Ecomouv’.
On connaît la fin de l’histoire et la responsabilité de Mme Ségolène Royal dans le recul et l’abandon définitif de la taxe : après avoir pris position contre l’éventualité d’une «taxe punitive», elle annonce avec Alain Vidalies son gel définitif le 9 octobre 2014.
Nos divers entretiens furent catégoriques sur le sujet : la suspension du projet eut tous les atours d’un acte purement politique. Le dispositif conçu par Ecomouv‘ était fonctionnel, la plupart des portiques déjà installés sur les tronçons routiers concernés…Doit-on lire cet acte comme la volonté de marquer l’alternance politique ? La pression des bonnets rouges était-elle trop forte ?
Nous faisons simplement ici acte de la difficile lisibilité des actions gouvernementales au propos de l’écotaxe, une opacité dont tous les acteurs que nous avons pu rencontré ont fait le témoignage.
La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer
Au sein du ministère du développement durable, la DGITM a en charge l’ensemble des sujets relatifs aux transports terrestres et maritimes ainsi qu’à la planification des aéroports, à l’exception de la sécurité routière. Impliquée dans la dynamique du développement durable, elle cherche dans cette perspective à favoriser des modes de transports respectueux de l’environnement et compte aux nombre de ses objectifs :
La planification intermodale des infrastructures de transport, en prenant pleinement en compte tous leurs effets directs et indirects sur l’environnement, l’économie, les territoires et la recherche d’une plus grande complémentarité, pour une mobilité durable, innovante au service de tous les usagers des transports.
Elle est composée de trois directions et d’un service :
La direction des infrastructures de transport, en charge de la planification du multimodal mais aussi de la gestion et de la modernisation des différentes voies de transport.
La direction des services de transport, est chargée de la règlementation, la sécurité, la sûreté, la régulation et les aspects sociaux des transports terrestes et des grands ports maritimes et fluviaux.
La direction des affaires maritimes se concentre sur la sécurité maritime, la formation du personnel mais aussi du développement du pavillon national et des activités nautiques.
Le service des affaires générales et de la stratégie s’intéresse plus particulièrement au budget, et est notamment en charge de la tutelle de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF).
C’est en son sein qu’est créée la Mission de Tarification à laquelle appartenaient Olivier Quoy et Antoine Maucorps, et qui était consacrée à la mise en place de l’écotaxe française. Cette mission était composée de 10 personnes, sélectionnées pour leur expérience, leur connaissance du secteur du transport et des modes de taxation, raccordées soit au Ministère de l’Ecologie (c’était le cas d’Olivier Quoy) ou aux Douanes.
On a choisi une structure qui n’était pas une structure interministérielle au sens fort, mais plutôt la coordination de deux équipes, avec une équipe côté ministère de l’écologie et une équipe côté douane.
Le Ministère du Budget
En collaboration avec la Direction Générale des Infrastructures des Transports et de la Mer (DGITM) et le service des douanes. Ce ministère se préoccupait principalement des questions règlementaires et législatives. C’est-à-dire qu’elle devait se concentrer sur l’harmonisation avec les autres taxes, telle que la taxe à l’essieu ainsi que sur l’interopérabilité. On soulignera que le vocable même de «taxe», qui a pu prêter à confusion, est du à sa gestion par le service douanier.
Il faut noter qu’une fois le montant revenant à Ecomouv’ prélevé, l’intégralité restante devait être réallouée à la Douane et que c’est via cette instance que l’argent allait être reversé à l’AFITF, l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France.
Il s’était donc mis en place un service douanier qui devait se consacrer intégralement à la collecte de l’écotaxe…Suite à son gel, Christian Eckert, Secrétaire d’Etat chargé du Budget, se rendra à Metz le 19 décembre 2014 pour annoncer la création d’un service national de la fiscalité des transports routier prévu qui permettra la reconversion interne du service.
Les Conseils Régionaux et Départementaux
Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission tarification, nous a rappelé lors d’un entretien le rôle joué par les collectivités dans le projet de loi :
Pour tout ce qui concerne le volet territorial, il y a eu des groupes de travail spécifiques avec les acteurs économiques. […] C’était surtout la Bretagne, il y en a eu deux ou trois réunions avec d’autres régions mais c’est tout.
La Direction Générale des Infrastructures des Transports et de la Mer (DGTIM) a un correspondant local dans toutes les Directions régionales (Dréal) qui suit les discussions et les évolutions du projet localement, assurant une bonne coordination entre les organisations centrale et territoriale. Par ailleurs, l’État a délégué l’organisation de concertations régionales aux préfets de régions; concertations dont les aboutissements ont ensuite été soumis aux collectivités gestionnaires des voieries.
Les dialogues ont principalement porté :
Sur la définition du réseau taxable
Il était à l’origine prévu que seul le réseau national soit taxé, mais après négociation avec les régions on a préféré taxer certaines routes régionales plutôt qu’un réseau routier national qui aurait alors provoqué des reports sur de plus petites routes et auraient pu causer des problèmes de congestion importants voire de pollution de zones plus sensibles.
Sur les possibles exonérations
La Bretagne, l’Aquitaine ou les Midi-Pyrénées ont pu obtenir un abattement de la taxe en raison de leur position périphérique. Sur ce sujet, Olivier Quoy nous a également rappelé que :
Dans la loi, dès le début, on a prévu des articles qui disaient que le réseau local était éligible pourvu qu’il y ait un risque de report significatif.
Outre les concessions déjà effectuées, le dialogue entre l’Etat et les régions est un bien une des problématiques centrales de l’écotaxe. C’est d’ailleurs à son propos que le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault annonce la suspension temporaire de l’écotaxe le mardi 29 octobre :
J’ai décidé la suspension de la mise en œuvre de l’écotaxe pour nous donner le temps nécessaire d’un dialogue au niveau national et régional.
Pour en savoir plus sur le dialogue entre l’Etat et les régions, vous pouvez consulter la partie « Qui taxer et à quel niveau » de notre parcours :
En parallèle de l’implication des acteurs que nous vous avons présenté se met en place un comité interministériel, chargé de relier les différents ministères. En effet, si les Ministères de l’Écologie et du Budget étaient les protagonistes essentiels du projet, leur action s’inscrivait dans une dynamique plus globale à laquelle d’autres ministères étaient parti prenant : Par exemple, le ministère de l’Intérieur était en charge de la mise en place du dispositif contrôle aux côtés du ministère de la Justice (la vérification du fait que les camions soient bien équipés des fameux boîtiers devait se faire évidemment par les portiques mais il était aussi prévu de mobiliser ponctuellement des hommes de la police et de la gendarmerie).
Les mouvements sociaux contestataires
Mêlant intérêts économiques des entreprises de transport routier, revendication de l’identité régionale et expression d’un ras-le-bol généralisé envers la politique économique française, le mouvement des Bonnets Rouges paraît difficile à étiquetter précisément. Il faut à l’évidence constater que cette opposition à l’écotaxe contient donc d’autres enjeux mais dans une volonté de cohérence avec le reste de notre étude nous nous restreindrons à cette partie de l’analyse du mouvement en exposant ici la motivation sous-jaçente à la création de ce rassemblement ainsi que les actions qu’il a effectivement menées.
Les Bonnets rouges
En Bretagne, dès 2008 le Medef et les agriculteurs de la FNSEA des départements bretons se sont mobilisés contre la taxe – notamment Frédéric Duval le président du Medef à l’époque. Le 4 février 2009, manifestation organisé au péage de la Gravelle (entrée sr les routes bretonnes gratuites). Elle rassemble entre 1000 et 2000 personnes, dont les fondateurs du mouvement des Bonnets rouges Christian Troadec et Thierry Merret. En parallèle, Marc Le Fur (député UMP) intervient à l’Assemblée Nationale pour signaler ce refus de la taxe. Ainsi, selon B. Loyer et B. Guyader (2014) :
On a donc, dès 2009, une union contre la taxe d’acteurs capables de mobiliser au sein de milieux variés, à l’échelle régionale et dans les milieux parisiens du pouvoir.
p227
Ainsi le site des Bonnets rouges totalise plus de 12 000 doléances. On retrouve à sa tête deux acteurs dont l’importance locale permet de donner une impulsion décisive au mouvement :
Christian Troadec, 48 ans, maire de Carhaix (7 700 habitants) dans le Finistère portant une écharpe de maire aux couleurs du drapeau breton. Il est élu conseiller régional en 2004, notamment avec le soutien des verts et réélu maire de Carhaix aux municipales 2014 avec les deux tiers des voix. Il est ainsi à la charnière du politique et de l’économique, d’où son importance clé en tant qu’acteur local au sein du mouvement.
Thierry Merret, producteur de légumes de 52 ans sur la commune de Taulé au Nord-Ouest de Morlaix dans le Finistère. Il décrit l’écotaxe comme une volonté politique de couper la Bretagne du reste du territoire, ou selon ses propres mots rapportés par Ouest France (26 août 2013, « Thierry Merret fustige la décroissance ») :
L’apologie des circuits courts et de l’agriculture urbaine est une ineptie qui conduit inexorablement au repli sur soi, au déclin. La Bretagne a toujours été une terre d’expédition ! Ne nous laissons pas faire, face à ces intégristes idéologiques enfermés dans leur tour d’ivoire.
La pose des premiers portiques en Bretagne en octobre 2013 provoque une crise majeure. Ainsi Le 25 octobre 2013, le représentant du Medef-Bretagne refusent de rester à la réunion de concertation organisée par le préfet. S’ensuit des manifestations ainsi que du sabotage des dispositifs techniques en signe de protestation, qui vont aboutir au gel du projet de loi :