Quelles routes taxer ?
Autour de la question de la sélection des routes se superposent des problématiques territoriales, économiques et politiques suscitant un ensemble de débats et provoquant des critiques au niveau plus générale de la gestion politique du réseau routier national.
L’impact du réseau taxé sur le trafic routier
Selon les acteurs politiques à l’initiative de l’écotaxe, la question de la sélection des routes taxées commence en 2007. L’objectif était alors une sélection des routes par l’État au niveau national. L’expérience alsacienne d’avril 2013 a cependant montré que la mise en place d’un péage sur un axe routier produit des changements d’itinéraires. Ainsi, par effet de substitution, on observe une hausse du trafic sur les voies parallèles. C’est pourquoi il s’est avéré nécessaire de prendre en compte les interférences avec le réseau local, c’est-à-dire de mesurer les effets de report potentiels et d’adapter la taxe en fonction de ces effets. C’est pourquoi la loi sur l’écotaxe prend en compte ces effets qu’un ensemble de travaux scientifiques ont pu évaluer :
Dans la loi, dès le début, on a prévu des articles qui disaient que le réseau local était éligible pourvu qu’il y ait un risque de report significatif de trafic, donc ça c’était le critère général, qui était demandé d’ailleurs par les collectivités locales, et dont la mise en œuvre a conduit à toute une concertation et des études de modélisation de trafic, économiques, pour déterminer les différents itinéraires soumis à la taxe.
Entretien avec Olivier Quoy, Mission tarification
Cette sélection des routes a ensuite fait l’objet d’une analyse en Conseil d’État et d’une réflexion plus approfondie pour près de 800 itinéraires. Vous pouvez ainsi voir ci-dessous le réseau routier qui devait être taxé :
Néanmoins selon certains économistes, cette sélection des routes n’est pas judicieuse car elle ne touche pas les sections du réseau où les véhicules les plus polluants circulent et n’a par ailleurs aucun effet sur la congestion. Elle ne toucherait pas les autoroutes, qui sont pourtant les plus grosses sources de pollution, et elle n’amènerait en aucun cas une réduction du trafic sur les routes taxées puisque les poids lourds sont obligés de les emprunter :
L’écotaxe joue de plus sur un ensemble de paradoxes. En sont exonérés les camions empruntant les autoroutes privées, où se trouvent pourtant la majorité des plus gros et des plus polluants poids lourds circulant pour de longs trajets. Mais elle frappe ceux qui empruntent les routes et les autoroutes demeurées gratuites, c’est-à-dire toutes les entrées des grandes villes, où, d’ores et déjà, ils ne se hasardent que par nécessité.
Alain Guéry, (article), économiste
Le problème de la privatisation des autoroutes
Comme vous pouvez le voir sur la carte ci-dessus, les autoroutes concédées ne sont pas soumises à l’écotaxe. Ceci a suscité un ensemble de critiques et une remise en question de la politique globale de l’État en matière de gestion du réseau routier.
La privatisation du réseau autoroutier pose selon certaines entreprises de transport des problèmes de coordination fiscale entre public et privé. Certains transporteurs sont favorables à l’écotaxe mais refusent le principe de privatisation des autoroutes, considérant que la taxation du réseau routier devrait former un tout cohérent. Beaucoup sont en revanche favorables à un système de péage, sachant que les camions doivent payer le prix d’utilisation de la route en vertu du principe de l’utilisateur-payeur. Cependant, la bipartition de ce système de péage serait une source de dysfonctionnement et de mauvaise répartition de son prix. L’entreprise Lahaye a ainsi estimé que le coût représenté par l’écotaxe pour son entreprise allait être d’environ 5 millions d’euros par an, alors qu’ils payaient déjà 5 millions d’euros de péages autoroutiers. Or l’entreprise affirme que le prix maximal qu’elle devrait payer pour l’utilisation de la route est de 7 millions d’euros. L’écotaxe n’aurait donc de sens que dans une gestion globale et centralisée du système de péage qui permettrait de réduire le prix du péage autoroutier :
Alors il y a deux choses : je suis favorable à l’écotaxe mais je ne suis pas favorable au niveau du péage autoroutier qu’on a aujourd’hui : ça devrait faire un tout. (…) Il fallait intégrer les autoroutes là-dedans, la difficulté c’est ça, c’est de dire qu’on est en train de cumuler un deuxième système de péage (…). Le financement des routes est la responsabilité de l’État.
Entretien avec Patrick Lahaye, PDG entreprise poids-lourd
Certains acteurs politiques affirment également qu’il y aurait un manque à gagner supplémentaire pour l’écotaxe puisque celle-ci entrainerait un report du trafic vers le réseau concédé. Les autoroutes augmenteraient ainsi leur chiffre d’affaire, ce qui pose un problème d’acceptabilité politique puisque la hausse du chiffre d’affaire de compagnies privées serait directement due à une action de l’État. La collectivité perdrait donc cette création de richesse, alors que c’est elle qui est propriétaire des concessions. Certains acteurs considèrent ainsi que les revenus tirés de l’écotaxe devrait au moins permettre certaines mesures bénéfiques, par exemple baisser le prix du péage autoroutier ou rendre certaines autoroutes gratuites.
Il s’agirait donc d’utiliser l’éco-redevance pour l’inscrire dans une politique globale de gestion du secteur de transport de marchandises :
Si j’étais responsable de l’éco-redevance, il y aurait les autoroutes que je pourrais faire bouger comme je le souhaite, les rendre gratuites ou plus chères, j’aurais des politiques d’aide à la professionnalisation, à l’éco-conduite, et je joue sur les leviers pour que le transport de marchandises demain soit plus efficace économiquement et sert plus la collectivité, notamment en diminuant ses impacts.
François-Michel Lambert, député écologiste
Cependant, d’autres acteurs affirment que le système de péage autoroutier prend déjà en compte le prix d’usage de la route. Il n’est alors pas nécessaire de privatiser l’écotaxe. Si on considère l’écotaxe du point de vue du principe de l’utilisateur-payeur, il semblerait que l’écotaxe ne doive ainsi pas s’appliquer au réseau concédé.
Pour l’instant le projet de taxe kilométrique ne concernait que le réseau non concédé, puisque c’était une redevance d’usage qui était déjà, même si ce n’est pas parfait, prise en compte par les péages des concessions autoroutières.
Entretien avec Michel Dubromel, FNE
Cette sélection des routes dépend d’un processus de négociation avec les collectivités territoriales, qui joue un rôle important dans la définition du domaine d’applicabilité de la taxe et dans la revendication de changements dans ses modalités.
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