Les autres taxes
La « taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises », bien que spécifiquement française, s’inscrit dans un mouvement transnational de taxation des poids-lourds lié aux directives de l’Union Européenne. Si la Suisse est la première à avoir mis en place une taxe sur les poids-lourds dans le cadre de la régulation du trafic transalpin, les autres pays européens, dont la France, ont très vite suivi le mouvement et d’autres projets de taxation des transports routiers sont en cours.
C’est pourquoi nous présentons ci-dessous les autres taxes européennes dans la lignée de l’écotaxe et nous vous proposons une comparaison entre ces taxes et la taxe poids-lourds française. Nous vous proposons aussi une comparaison entre l’écotaxe et les autres taxes françaises sur le transport de marchandise.
La Redevance sur le trafic des poids lourds liée au prestations (RPLP) est, selon le site suisse de l’administration des douanes, une “redevance fédérale qui dépend du poids total du véhicule, de sa catégorie d’émission et du nombre de kilomètres parcourus en Suisse et dans la principauté de Liechtenstein.”
Elle doit être payée par tous les véhicules à moteurs et leurs remorques qui :
- Ont un poids total autorisé de plus de 3,5 tonnes
- Servent au transport de marchandisees
- Sont immatriculés en Suisse et à l’étranger et circulent sur le réseau routier public suisse.
Pour une présentation officielle de la RPLP et de la politique suisse des transports par l’Office fédéral des transports (OFT), rendez-vous ici.
Historique
La taxe a été mise en place le 1er Janvier 2001 après avoir été votée par le peuple suisse.
L’Association transports et environnement (ATE) a contribué à “écologiser” le projet, notamment grâce à son “initiative alpine”, une initiative populaire adoptée par la majorité des cantons suisses le 20 février 1994, qui demandait la mise en place de cette taxe comme objectif dans la loi suisse. Cette initiative adoptée par vote populaire permet également d’interdire le trafic de marchandises à travers les Alpes avec des camions.
Principes
Les problématiques qui sous-tendent la taxe sont celles de la sécurité routière, de la lutte contre la pollution routière, de la gestion intérieure de la mobilité et plus largement des négociations entre la Suisse et l’Union Européenne sur la question de la gestion des flux du trafic transalpin. Elle s’inscrit notamment dans l’articulation entre la politique suisse des transports et dans la politique d’intégration européenne.
Selon l’office fédérale suisse du développement territorial, le passage à un système de redevance liée aux prestations avait notamment pour buts:
- De freiner la croissance du trafic routier poids lourds.
- D’encourager le transfert du trafic marchandises sur le rail.
- D’éviter des atteintes à l’environnement.
Modalités de calcul, de perception et de contrôle
Le tarif de la RPLP dépend du poids total du véhicule, de sa catégorie d’émission et des kilomètres parcourus en Suisse.
Le calcul se fait donc en fonction des catégories Euro des véhicules. Le taux moyen par tonne-kilomètre s’élève à 2,19 centimes d’euros depuis 2008.
Pour calculer la redevance, on multiplie la distance parcourue en Suisse en kilomètres par le poids maximum admissible du véhicule. Les tonnes-kilomètres obtenues sont ensuite multipliées par le taux de la redevance qui dépend des catégories Euro.
L’écotaxe suisse est applicable à l’ensemble du réseau suisse, soit les autoroutes, les routes cantonales et les routes communales sur une distance totale de 70 000 kilomètres. Elles s’applique autant aux véhicules nationaux qu’aux véhicules étrangers, qui payent le même tarif.
Les véhicules suisse reçoivent gratuitement un appareil de saisi qui détermine les kilomètres parcourus et la position satellitaire du véhicule. Lorsque le véhicule sort de Suisse, une radiobalise placée sur la route désactive la fonction de comptage, et l’opération inverse s’effectue lors de son retour dans le pays. Chaque mois, les données de l’appareil de saisie sont transmis sur une carte à puce et l’administration des douanes vérifie alors dans son système électronique la plausibilité des données. Ces données constituent la base de calcul et la facturation mensuelle de la redevance.
Utilisation de la recette fiscale
Le produit annuel moyen attendu pour la période 2010-2015 a été estimé entre 1,39 et 1,47 milliards d’euros.
Selon le site fédéral du développement territorial :
- 1/3 du produit net est destiné aux cantons.
- 2/3 reviennent à la Confédération
Les cantons utilisent en priorité leur part au produit net pour couvrir leurs dépenses dans le domaine des coûts non couverts du trafic routier.
La part de la Confédération au produit net est destinée en premier lieu au financement des grands projets ferroviaires.
Comme pour l’écotaxe, on voit donc les problématiques de l’utilisateur-payeur et celle du pollueur-payeur se croiser, bien que la répartition entre ces deux principes soit bien délimitée par la séparation entre les cantons et la Confédération.
La GO-Maut est une taxe autrichienne qui s’applique sur les autoroutes et voies rapides autrichiennes, sur près de 7% du réseau national. Elle concerne les poids lourds et autobus de plus de 3,5 tonnes.
Elle est appliqué depuis janvier 2004 et le réseau taxable s’étend sur 2178 kilomètres.
Modalités de calcul, perception, contrôle et recette fiscale
La taxe est collectée à l’aide de la GoBox, un équipement électronique embarqué qui enregistre le passage du poids lourd sous les portiques de collecte. Le boîtier communique par ondes DSRC avec le portique et enregistre le passage du véhicule. Les informations sont ensuite transmises au centre de collecte de données en temps réel. Pour permettre la couverture du réseau taxable, il existe plus de 400 portiques.
Le tarif kilométrique de la taxe dépend du nombre d’essieux et de la catégorie Euro du véhicule. Ce taux est aussi variable selon les sections du réseau routier et il existe une majoration nocturne.
Le gouvernement autrichien s’est vu refuser son projet d’augmentation des taux en 2007 par l’Union Européenne, car la taxe ne peut couvrir que les coûts d’exploitation, construction, maintenance et développement du réseau.
Pour ce qui est du contrôle, il existe des dispositifs de contrôle automatique, fixes ou mobiles, qui permet de prendre une photographie d’un véhicule suspect et de l’envoyer aux officier publics ; il existe ainsi environ 130 caméras sur tout le réseau. Les officiers procèdent également à des contrôles manuels. L’amende en cas de manquement peut aller de 110 à 3000 euros.
En 2013, la recette s’est élevée à 1,13 milliard d’euros. Les bénéfices sont utilisés uniquement au financement des infrastructures routières.
La LKW-Maut est une taxe allemande mise en place en janvier 2005 s’appliquant aux véhicules de transport de marchandises avec un poids maximal supérieur à 12 tonnes sur les autoroutes fédérales, soit un réseau routier de 13 335 kilomètres.
Modalités de calcul
Les poids lourds sont taxés en fonction du kilométrage, de la catégorie Euro et du nombre d’essieux. Le système avantage les véhicules dotés de filtres à particules et peu polluants. En moyenne, le tarif est de 17 centimes du kilomètre.
Toll Collect
Toll Collect est un consortium qui rassemble plusieurs entreprises, dont Deutsche Telecom, Daimler et Cofiroute. Il est chargé de la mise en place et de la gestion du système de collecte.
Il reverse ses recettes à l’Etat et distribue un bénéfice à ses actionnaires qui investissent dans le système.
Collecte et contrôle
Le système conçu par Toll Collect permet deux types de recouvrement :
- L’enregistrement automatique par appareil embarqué permet la collecte de la taxe grâce à un équipement électronique embarqué, qui permet la localisation satellitaire en temps réel du véhicule. Les données permettant le calcul de la redevance sont alors envoyées à Toll Collect. Pour renforcer la précision de la localisation, Toll Collect a aussi implanté 50 balises d’assistance sur le terrain.
- L’enregistrement manuel au terminal de péage ou sur internet permet d’enregistrer le trajet a priori, en précisant la date, l’heure et le trajet parcouru.
Le contrôle est réalisé par L’Office fédéral du transport de marchandises, qui procède à une double procédure : d’une part, 300 portiques fixes utilisant des ondes infra-rouges enregistrent les poids lourds en circulation ; d’autre part, 300 équipes mobiles vérifient que les véhicules sont en ordre.
En 2013, 80% de la taxe a été perçue sur les transporteurs allemands et 20% sur les véhicules étrangers.
Utilisation de la recette fiscale
La taxe a rapporté 4,5 milliards d’euros à l’Etat en 2013. La répartition de la recette fiscale est divisée en 3 domaines :
- 74% de la somme revient à la Société fédérale de financement des infrastructures.
- 12% finance des mesures de compensation.
- 14% rémunèrent le prestataire.
L’Allemagne a accompagné la taxe d’une série de mesures pour les poids lourds, notamment une diminution de leur fiscalité, une modernisation des véhicules et un programme de soutien à la formation professionnelle.
La Suisse, l’Allemagne et l’Autriche sont les précurseurs et les pionniers de la taxation des poids lourds. C’est sur leurs modèles et à la suite de leurs expériences que d’autres systèmes de taxation se sont instaurés dans les autres pays européens. Nous vous proposons une bref présentation des autres taxes européennes ci-dessous.
La Slovaquie
Myto est une taxe sur les poids lourds ayant un poids maximum supérieur à 3,5 tonnes. Mise en place en janvier 2010, elle porte sur un réseau taxable de 17 770 kilomètres.
Les tarifs applicables dépendent de la catégorie du véhicule, du nombre d’essieux et des normes d’émissions Euro.
Le système de péage fonctionne à l’aide d’un boitier embarqué qui associe technologie GPS, GSM et DSRC. La mise en place et la gestion du système de collecte sont assurées par la société Sky Toll, alors que la Compagnie nationale des autoroutes s’occupe de la perception. Le contrôle est assuré par 46 portiques et 30 voitures de la police des péages.
La Pologne
Via TOLL est une taxe mise en place en juillet 2011, sur un réseau taxable de 2690 kilomètres. Elle s’applique aux poids lourds de plus de 3,5 tonnes. Elle s’inscrit dans la modification du système de péage polonais du fait de la directive Eurovignette de 2004.
Le tarif varie en fonction du poids total et de la catégorie d’émissions Euro.
La taxe est collectée via un boitier embarqué, viaBox, qui enregistre le passage du poids lourd sous les portiques assurant la collecte et le contrôle.
Tout la recette fiscale est redistribuée au Fonds national pour la route et est dépensée pour l’investissement en faveur du développement routier et la modernisation du réseau existant. La taxe a notamment permis une diminution du nombre de véhicules polluants.
Le Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a instauré en avril 2014 la HGV Road User Levy, une taxe sur les poids lourds de plus de 12 tonnes qui s’applique à l’ensemble du réseau routier britannique.
Son tarif varie selon le nombre d’essieux et le poids maximal autorisé du véhicule. Celui-ci n’est pas kilométrique, mais dépend d’une durée : il s’agit donc d’une vignette et non d’une redevance. Les véhicules étrangers doivent s’acquitter de la taxe avant même de rentrer sur le territoire.
La gestion et la perception de la taxe pour les redevables britanniques relève de l’administration, mais la création et la gestion du système de paiement pour les véhicules étrangers ont été confiées à la société privée Northgate Public Services.
La recette reste assez faible, étant estimée entre 18,7 et 23,2 millions de livres sterling. Cette eurovignette est compensée par une baisse équivalente de la fiscalité nationale applicable au secteur routier des poids lourds.
La Belgique
Viapass est une future taxe belge qui devrait entrer en vigueur en 2016. Elle concernera les poids lourds de plus de 3,5 tonnes et sera basé sur un système de redevance kilométrique mesurée par un dispositif satellitaire. Les critères de tarification seront la classe Euro, le nombre d’essieux et la congestion du trafic.
Aujourd’hui, la taxation belge implique que seuls les véhicules de plus de 12 tonnes de masse maximale autorisée doivent payer une Eurovignette pour pouvoir utiliser les autoroutes et voies rapides. Avec cette nouvelle taxe, toutes les routes seront soumises à la redevance kilométrique, hormis certaines voies exonérées dont le tarif sera nul.
Depuis octobre 2013, les régions ont sélectionné 5 candidats, dont Autostrade, pour un partenariat privé qui s’occuperait de la gestion du système Viapass. Les recettes reviendraient aux trois régions au prorata des kilomètres parcourus.
L’écotaxe s’inscrit dans un processus européen de taxation des transports routiers et elle s’inspire tout particulièrement des expériences allemandes et suisses.
Quel est le rapport entre l’écotaxe et les taxes qui la précède? Le modèle français est-il plus efficace que les modèles étrangers de taxation des véhicules de transport de marchandise?
L’écotaxe, la RPLP et la LKW-Maut
Afin d’avoir une comparaison objective des trois taxes, nous vous proposons un tableau récapitulatif qui met côte à côte les modalités techniques et fiscales de l’écotaxe française, de la RPLP suisse et de la LKW-Maut allemande.
Type de taxe, types de véhicules, critères de tarification, types de routes, système de perception, système de contrôle, recette fiscale.
La taxe poids-lourds (France) | La LKW-Maut (Allemagne) | La RPLP (Suisse) | |
Type de taxe | Redevance kilométrique | Redevance kilométrique | Redevance kilométrique |
Véhicules taxés | Poids lourds de plus de 3,5 tonnes | Poids lourds de plus de 12 tonnes | Poids lourds de plus de 3,5 tonnes |
Critères de tarification | Nombre d’essieux, poids total et classe EURO | Nombre d’essieux et classe Euro | Poids total et classe Euro |
Réseau routier taxé | Réseau national (sauf autoroutes) et réseau local | Autoroutes, routes cantonales et communales | Autoroutes fédérales |
Système de perception | Boitier GPS embarqué | Equipement électronique satellitaire embarqué ou enregistrement manuel au terminal de péage | Appareil de saisi satellitaire embarqué |
Système de contrôle | Portiques | Portiques et équipes mobiles | Vérification des données par l’administration des douanes |
Utilisation de la recette fiscale | Financement des infrastructures de transport et rémunération du partenaire privé | Financement des infrastructures de transport, rémunération du prestataire privé et financement de mesures de compensation | Financement de projets ferroviaires et recouvrement des coûts du trafic routier |
La taxation suisse des transports : un modèle à suivre selon François-Michel Lambert
François-Michel Lambert, député écologiste, considère qu’à la différence des initiateurs de l’écotaxe, “les Suisses qui sont les précurseurs n’ont jamais eu l’idée de mettre la redevance toute seule sans une politique de transport des marchandises globale”.
Il fait l’éloge de la politique de taxation des transports dans la confédération, affirmant que bien que la mise en place ait été longue entre la votation populaire et l’application du projet, elle a permis, en l’articulant avec une politique globale, un ensemble de changements durables tels que “aide au changement de camions, autorisation du tonnage plus important, développement lié d’infrastructures ferroviaires adaptées, formation des professionnels pour qu’ils soient plus performants, et l’éco-redevance était un des éléments d’un tout.”
La RPLP, selon le député écologiste, est donc un modèle à imiter, et la suisse n’est pas seulement le pays précurseur dans le domaine, mais également le pays qui a su tirer profit au mieux la taxation des transports routiers et changer radicalement l’aménagement de son territoire :
En moins de 15 ans, on est passé d’un pays où on avait 28 tonnes maximum à 40 tonnes, tous les types de camions étaient autorisés – et ce n’était plus de l’artisanat – à des professionnels qui ont fait de la performance, avec des camions modernes moins polluants, des tunnels en cours de percement, certains en lancement, ferroviaires, une stratégie de transport ferroviaire très appuyée, une planification.