Quelle place l’écotaxe doit-elle prendre ?
Doit-on envisager l’écotaxe comme simplement une taxe en plus ? Ou doit-on penser une reformulation de la fiscalité, pour mettre en place une fiscalité verte ? L’écotaxe est-elle efficace en elle même ou doit-elle s’articuler avec une politique fiscale plus large ?
Ce sont de nombreuses questions qui se posent sur la place que doit prendre l’écotaxe dans la fiscalité française.
La place de la taxe au sein d’une politique fiscale
Selon certains acteurs politiques, dans des pays comme la Suisse ou la Suède, une véritable réforme du système fiscal autour de l’écologie a été entreprise dans les vingt dernières années. En Suisse par exemple, selon François-Michel Lambert, l’éco-redevance ne serait qu’un élément d’un ensemble de réformes dans le cadre d’une stratégie de transport routier globale, avec des aides au changement de camions, l’autorisation d’un tonnage plus important, le développement lié d’infrastructures ferroviaires adaptées et la formation de professionnels à l’éco-conduite.
L’intégration de l’écotaxe à une politique plus large, qu’elle soit écologique ou bien lié à l’entretien des infrastructures, semblerait être une condition de sa réussite. Ainsi, certains économistes affirment que l’efficacité de l’écotaxe dépend de la mise en œuvre de dispositifs complémentaires, ce que le Ministère de l’Environnement n’aurait pas pris en compte :
Pour revenir à des conditions de transport moins productrices de CO2, préalablement à l’institution d’une écotaxe dissuasive dirigée contre le transport routier, il aurait fallu mettre en place une infrastructure alternative de transport de fret, fluviale et ferroviaire, afin qu’un choix véritable existe pour les chargeurs et qu’un transfert de la route vers elle puisse s’opérer.
Alain Guéry, (article), économiste
Cependant, d’autres économistes voient l’écotaxe comme un premier pas vers une telle politique. Sa mise en place serait ainsi bénéfique car elle amorcerait un mouvement positif vers la fiscalité verte :
[L’écotaxe est] le pilier d’une politique écologique verte et de principe pollueur payeur.
Entretien avec Bernard Perret, économiste
Selon certains scientifiques, il semblerait que le défaut d’une telle intégration politique et fiscale ait été une cause de son échec. Un « rapport mobilité 21 » avait proposé une politique générale et cohérente des transports. Or, selon France Nature Environnement, ce gouvernement et les précédents n’ont proposé que des mesures « distinctes, ponctuelles et séparées » qui ne peuvent aboutir, car elles rencontrent toujours une résistance importante de la part des secteurs qu’elles visent.
Des économistes, qui abordent le sujet en considérant l’homme rationnel sur le modèle de l’homo œconomicus, considèrent que l’écotaxe seule ne peut avoir un effet durable puisque les agents ne changeront pas leur comportement. Dès qu’on enlèverait la taxe, ils reviendraient à leur comportement d’origine. Il est alors nécessaire d’engager un dialogue sur la place de l’écotaxe dans la politique écologique afin de ne pas donner l’impression qu’elle n’est qu’une contrainte supplémentaire :
S’agissant de l’articulation avec la réforme fiscale générale, l’engagement d’une réflexion d’ensemble fournit l’occasion de clarifier et affirmer la place de la fiscalité verte dans la réforme fiscale générale. Ceci peut crédibiliser qu’elle n’est pas « un impôt de plus ».
Entretien avec François Lévèque, économiste
Une politique fiscale ou une superposition de taxes?
Divers acteurs, tels que des transporteurs et des experts, ont perçu l’écotaxe comme une taxe de plus sur le secteur des transports, déjà défaillant. C’est ce problème de perception de la taxe qui a par ailleurs abouti au mouvements des Bonnets rouges.
Le MEDEF a soulevé le fait que, du point de vue environnemental, une taxation supplémentaire des poids lourds ne pourrait qu’empirer la situation : cette taxe inciterait à l’utilisation de plus de véhicules de moins de 3,5 T et donc entraînerait une augmentation des émissions de CO2 (on peut retrouver cette critique au niveau de la controverse sur la délimitation des véhicules taxés).
En effet, il existe déjà, pour financer l’entretien des routes, la taxe spéciale sur certains véhicules routiers (TSVR) dite « taxe à l’essieu » qui s’applique aux poids lourds de fort tonnage. Par ailleurs il existe aussi diverses taxes sur les carburants, comme la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques).
De nombreux acteurs ont ainsi perçu l’écotaxe comme une taxe de plus dans un contexte de superposition de taxes. Ces acteurs se sont prononcés dans les médias contre cette taxe supplémentaire considérée injuste et inutile. Ils ont soulevé l’existence de nombreuses taxes pesant déjà sur les poids lourds. Selon certains, l’intégration de cette taxe à une politique plus cohérente et englobante était donc essentielle et l’écotaxe n’a pas respecté ce principe.
Par ailleurs, des acteurs du secteur privé se sont manifestés contre la superposition des taxes en argumentant qu’elle élevait les coûts de gestion. Selon un chef d’entreprise, il serait plus efficace de fusionner les taxes en une seule, certes plus importante que chacune des autres indépendamment, mais qui permettrait d’éviter des calculs longs et coûteux pour l’évaluation du montant payé par l’entreprise.
Il n’y a néanmoins pas eu consensus sur ce point. Ainsi, la Direction des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) se prononce en faveur d’une écotaxe indépendante des autres taxes sur les poids lourds. Le transport a un prix, un coût qui va au-delà de l’entretien des routes, non seulement parce que les poids lourds ont besoin d’autres services assurés par l’État mais aussi car celui-ci s’est endetté pour réaliser de nombreux investissements dans ce secteur qui doivent être amortis.
Ainsi, une taxe kilométrique comme l’écotaxe viendrait pallier cette défaillance fiscale, d’autant que les modalités de calcul des autres taxes comme la taxe à l’essieu ne permettent pas de prendre en compte l’ensemble de ces facteurs.
Une partie intégrante de l’écotaxe et essentielle en ce qui concerne son efficacité est l’affectation de ses recettes, ce qui est intrinsèquement lié au type de politique publique qu’on souhaite mettre en place. C’est ce que nous vous proposons de découvrir par la suite.
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