Conclusion

Le traitement médicamenteux de l’alcoolisme est controversé : en effet, aujourd’hui, de nombreuses questions subsistent quant à la définition de l’alcoolisme, mais aussi sa guérison. L’irruption du baclofène sur la scène a, pour sa part, redistribué les cartes : la controverse est ouverte. Le baclofène fait apparaître de nombreuses interrogations sur la vision de l’alcoolisme en société. Nous avons vu qu’il redéfinit aussi la notion de guérison, puisqu’il « guérit » sans pour autant rendre abstinent.

Le futur du baclofène est incertain, vu qu’il a deux usages : l’un règlementé, utilisé en tant que myorelaxant. L’autre, que l’on pourrait qualifier d’interlope, puisqu’aucune AMM (autorisation de mise sur le marché) n’a été délivrée. Dans les deux cas, le médicament est remboursé.

Devrait-on payer pour les alcooliques, alors que l’usage du baclofène pour traiter les dépendances n’est pas licite ?

Faut-il préférer le baclofène aux milliards d’euros que coûtent les conséquences de l’alcoolisme à la collectivité française ?

Enfin, si jamais l’autorisation de mise sur le marché est délivrée par l’ANSM, peut-on être sûr de la fiabilité de celle-ci ? La légitimité de l’agence est certes établie mais a été fortement ébranlée par l’affaire du Mediator, traumatisme dont le souvenir est encore frais dans la mémoire collective. L’étude en double aveugle « Bacloville » menée par l’ANSM aurait « provoqué » deux morts, ce qui jette un voile d’incertitude supplémentaire sur les effets secondaires de cette pilule miracle, ceci malgré le fait que ces deux morts ne soient pas nécessairement la conséquence de la prise de baclofène.

Derrière le devenir règlementaire du baclofène se cachent des problèmes de responsabilité. Le plus évident est celui du patient, puisque certains n’hésitent pas à considérer les alcoolodépendants comme responsables de leur propre maladie. La seconde est celle des médecins généralistes : en prescrivant du baclofène dans le cadre d’un traitement antialcoolisme, ils endossent la lourde responsabilité des effets néfastes que pourraient avoir les traitements qu’ils ont préconisés ; ils sont censés être en tort, que ce soit du point de vue déontologique ou légal.

Depuis quelques années, les ventes de baclofène en France connaissent une augmentation sans précédent et sont passées de 70 millions de pilules vendues en 2004 à 100 millions en 2010.

Les défenseurs du baclofène semblent, quant à eux, être unanimes et catégoriques sur la règlementation de l’utilisation du baclofène dans le cadre de l’alcoolodépendance. Pourtant, tous les témoignages semblent converger : il est impossible d’arrêter le baclofène, à moins de sombrer à nouveau dans la consommation non maîtrisée d’alcool, ou pire, de subir des effets secondaires chroniques variables d’une personne à l’autre.

Cette molécule miracle va-t-elle se vulgariser, ou rester marginale ? Le baclofène remplacerait ainsi l’addiction à l’alcool par une autre, dont les effets semblent assez mystérieux. Cela pourrait remettre en question les notions de guérison et d’amélioration. Le futur du baclofène dépend de la décision de l’ANSM à ce propos, mais aussi, et surtout, de ce qu’en pensent les profanes. La pilule miracle bénéficie pour l’instant d’un battage médiatique qui pourrait cependant se retourner contre elle : pourrait-elle se transformer en cauchemar, et devenir le paria des médicaments? La question fondamentale « dois-je prendre du baclofène ? » s’entend de plus en plus. Encore faudrait-il savoir ce qu’est l’alcoolisme…

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