Bien que l’OMS reconnaisse à l’alcoolisme le statut de maladie, son diagnostic reste délicat car ses symptômes sont souvent subjectifs. Les critères les plus communément répandus pour la définition de l’alcoolisme sont la dépendance physique associée à un syndrome de sevrage, la dépendance psychologique ainsi que la tolérance (le sujet alcoolique doit boire de plus en plus pour ne pas se sentir mal).
Comme montré à l’entrée de ce site, les questionnaires de dépistage de l’alcoolisme se multiplient sur internet mais ne donnent pas nécessairement le même diagnostic. De plus, les effets d’une consommation d’alcool abusive dépendent fortement de l’histoire du patient ainsi que de ses prédispositions génétiques, ainsi que de sa santé mentale. On définit ainsi la comorbidité comme la coexistence de troubles psychiatriques et de troubles liés à des substances psychoactives. Les deux troubles s’entretenant et s’aggravant mutuellement, il est extrêmement difficile de dissocier les effets donnant les mêmes causes et donc de les soigner, et ce d’autant plus qu’il existe un clivage historique entre les systèmes de soins psychiatriques et les systèmes de soins addictologiques.
Par ailleurs, les avis divergent quant à la compréhension des mécanismes d’addiction à l’alcool, ce qui influe sur les politiques de guérison. L’alcoolisme a longtemps été compris comme la conséquence de facteurs sociaux et psychologiques, ce qui conditionnait les modalités de sa guérison. Les traitements traditionnels consistent en effet en des suivis et des cures de désintoxication censés conduire à l’abstinence totale. Les médicaments utilisés dans ce cadre ont pour unique objectif de supprimer les symptômes du craving mais pas ses causes.
Depuis une vingtaine d’années, l’attention se focalise de plus en plus sur les causes neurobiologiques de l’addiction. Les travaux de Jean-Pol Tassin, chercheur à l’INSERM, sont précurseurs dans ce domaine. Ses travaux portent sur le circuit de récompense, qui repose essentiellement sur trois hormones : la dopamine, la sérotonine et la noradrénaline. La dopamine est associée à la sensation de plaisir, et est donc traditionnellement au centre des études neurobiologiques de l’addiction. Jean-Pol Tassin a mis en évidence le rôle de la sérotonine et de la noradrénaline.
Le système noradrénergique est chargé de rendre l’environnement intéressant, saillant, tandis que le système sérotoninergique est chargé de contrôler les impulsions ainsi déclenchées. Les deux systèmes sont couplés : l’activation de l’un entraîne l’activation de l’autre, ce qui régule la sécrétion de dopamine. L’effet de l’alcool -et des drogues en général-, est d’activer simultanément les deux systèmes, ce qui rompt la régulation et crée la sensation de plaisir.
La personne qui a pris de la drogue de façon régulière voit ses deux systèmes découplés, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de lien entre le désir et le contrôle de ses impulsions.
Elle devient alors toxicomane dans la mesure où chaque événement émotionnel intense devient trop intense et entraîne une situation de craving, un besoin compulsif et maladif. Un patient découplé peut le rester pendant des dizaines d’années, voire à vie, et la problématique du recouplage reste non résolue. La dépendance n’est donc plus comprise comme la dépendance psychologique à une sensation de plaisir, mais bien comme le résultat d’une altération au niveau neurologique. Toutes les addictions reposeraient donc sur le même mécanisme.
Avec les avancées de la recherche dans ce domaine, la frontière entre les maladies psychologiques et les maladies somatiques tend de plus en plus à s’estomper. Il devient nécessaire d’avoir une approche globale pour espérer guérir le patient. La recherche est de plus en plus tournée vers la personnalisation du traitement en fonction de son bagage génétique.