Si on considère la privatisation de l’enseignement comme un risque – problème de la rentabilité des MOOC – quel rôle l’Etat doit-il jouer ?
Les avantages du financement public
L’enseignement peut être financé par le domaine public ou privé. Quels seraient alors les avantages du financement par le privé ?
François Taddéi souligne que l’Etat peut débloquer bien plus de fonds qu’un grand nombre d’acteurs et ainsi mobiliser des professionnels pour des recherches sur la question de la pédagogie par les MOOCs. Cela permettrait d’être innovant et créatif, donc de devenir compétitif à l’échelle internationale. De plus, si l’Etat finance la formation de ses citoyens, il peut légitimement espérer une sorte de « retour sur investissement » : les citoyens mieux formés contribueraient davantage à la création de richesse nationale et chacun apporterait une plus-value, représentative des moyens déployés à l’échelle nationale.
Pascal Engel rappelle, en outre, qu’il faut veiller à protéger l’enseignement car il est porteur de « l’idée que ça peut être accessible par tout le monde et utilisable par tout le monde », tandis que les promoteurs privés favoriseraient avant tout le profit.
Le risque de la privatisation de l’éducation
Par ailleurs, la privatisation de l’éducation comporte de véritables risques, ainsi que le rappellent plusieurs acteurs. Pascal Engel prend l’exemple des fondations en Angleterre, acteurs privés qui peuvent intervenir et renforcer tel ou tel cursus.
Certains soulignent les dérives idéologiques qui pourraient découler d’une telle privatisation de l’éducation[1]. Dans cette logique, une des dérives pourrait aboutir à l’utilisation des MOOCs comme « arme idéologique ». Le danger serait d’avoir affaire à un univers où quiconque aura l’initiative de promouvoir une idée sur n’importe quel sujet pourra créer un MOOC, ce qui aboutirait à faire de la « propagande », laquelle ne pourra être ni régulée ni contrôlée du fait de la fluidité du net. Un exemple frappant de cela pris de l’actualité pourrait être celui des Koch Brothers. Ce sont deux milliardaires américains ayant investi des dizaines de millions de dollars dans des écoles et qui ont notamment décidé des programmes à enseigner. A la tête d’un empire pétrolier, les programmes qu’ils ont financés niaient le réchauffement climatique. Si le monde de l’enseignement en venait à être accaparé par des personnes privées, on peut supposer que ce type de comportement risque de se multiplier et de décrédibiliser l’enseignement fourni par les MOOCs.
L’Etat français et les MOOCs aujourd’hui
L’Etat français a décidé de se lancer dans les MOOCs avec la création de la plateforme FUN. Avec la volonté de promouvoir le numérique dans l’enseignement supérieur, le Gouvernement parle de « démocratisation » de l’éducation par les MOOCs et compte favoriser la formation continue[2].
Cette création intervient lors d’un constat d’étape peu glorieux. Pascal Engel souligne en effet le problème de « l’éducation à deux vitesses » en France, avec les universités gratuites qui ont peu de moyens et qui accueillent tous les étudiants, et les Grandes Ecoles ayant beaucoup de moyens et accueillant les plus privilégiés (par exemple, dans la promotion 2014 de l’Ecole des Mines de Paris, on ne compte que 4% de boursiers, contre 30% en moyenne dans l’enseignement supérieur). De plus, François Taddéi souligne que rien n’est fait pour faire évoluer ce système dans la mesure où, contrairement aux universités dans les pays anglo-saxons, l’Etat français ne finance aucune recherche sur la pédagogie ni même sur comment améliorer l’enseignement. Il reproche à la France de ne pas investir dans la Recherche et le Développement de l’éducation et affirme que l’Etat français aurait tout intérêt à s’intéresser à un dispositif « post-MOOC, encore mieux », pour ne pas se contenter d’une logique de rattrapage du retard pris par rapport aux Etats-Unis mais viser toujours plus loin.
Soulignons toutefois, ainsi que le rappelle la sénatrice Fabienne Keller, que ce constat tend à évoluer. Des fonds considérables (27 milliards d’euros) ont été bloqués pour ce que l’on appelle « les investissements d’avenir ». Dès lors, le financement de France Université Numérique et d’autres évolutions qui semblent prometteuses dans le domaine de l’éducation ne serait pas pris sur les dotations des universités. Il ne s’agirait donc pas à proprement parler d’un arbitrage entre université et MOOCs, mais d’une sorte de collaboration.
[1]RAFFAELE Simone, « Est ce l’avenir de l’éducation ? », Le Débat, 180, 2014, p. 186-192, doi:10.3917/deba.180.0186.
[2] POMEROL Jean-Charles, EPELBOIN Yves, THOURY Claire, Les MOOC – conception, usages et modèles économiques, 7 mai 2014, premier chapitre.