Une révolution numérique ?
La première question porte sur le terme de « révolution numérique », au sens où les MOOCs sont fréquemment abordés comme un nouveau dispositif technologique, marquant un tournant dans l’intervention du numérique au sein de l’éducation. Comme nous l’avons vu dans l’onglet historique, l’e-learning a précédé les MOOCs[1]. Or, la question du procédé de fabrication du MOOC fournit en elle-même un argument contre l’idée d’une véritable révolution. En effet, les procédés utilisés existaient déjà sur le marché du e-learning. Certes, le dispositif est différent, mais ce n’est pas technologiquement révolutionnaire par rapport à ce qui se faisait déjà.
On voit donc la nécessité de nuancer, avec précaution, ce terme de révolution qui a pourtant été très en vogue dès le lancement des MOOCs. D’ailleurs, certains acteurs comme Rémi Sharrock préfèrent parler de transformation (remanier des supports pour les mettre à profit différemment). A ce propos, il a évoqué deux citations mentionnant le terme de « révolution » qui sont révélatrices de l’état de la controverse sur cette question :
- Thomas Edison, un inventeur, scientifique et industriel américain du XIXème siècle, aurait dit : « L’image animée est destinée à révolutionner notre système éducatif et dans quelques années, cela va supplanter largement si ce n’est entièrement l’utilisation de manuels scolaires ».
- Au XXème siècle, B.F. Skinner, penseur et psychologue américain, inventeur de la « Teaching machine », aurait dit : « Je crois que les machines à apprendre son destinées à révolutionner notre système éducatif et que dans quelques années, elles vont supplanter largement si ce n’est totalement l’utilisation de professeurs ».
On remarque alors que bien souvent, à la suite d’une innovation, le terme de « révolution » est galvaudé. Mais on constate que ces deux inventeurs s’étaient trompés. En effet, aujourd’hui, ni l’image animée ni la vidéo n’ont remplacé définitivement les enseignants (au sens physique du terme).
Toutefois, certains, comme François Taddéi, continuent de croire que « le numérique est plus important que l’imprimerie […] : c’est en train de faire des robots, de modifier toutes les dimensions de notre société », ce qui pourrait tout de même, à termes, constituer une révolution.
Finalement, si les MOOCs ne sont pas une révolution en soi, ils restent bien une grande étape dans l’évolution du système éducatif. Cette idée est d’ailleurs confirmée par Pascal Engel qui affirme qu’ils sont « les successeurs de l’online learning »[2], s’inscrivant alors dans une réelle continuité du passé.
Une révolution pédagogique ?
Il reste alors à savoir s’il serait possible de parler de révolution « relative », dans un cadre autre que celui de la simple technique, par exemple celui de la pédagogie. En effet, les MOOCs sont caractéristiques du caractère changeant de notre monde : en à peine deux ans, l’univers de l’enseignement supérieur semble avoir basculé. Dans un monde si instable, comment penser l’évolution de la pédagogie[3] ?
Les MOOCs présentent la particularité d’associer des caractéristiques qui n’avaient jamais été combinées auparavant. Fabienne Keller parle notamment « d’assemblage de techniques préexistantes » (vidéos en ligne, test rapides, forums et chats…), de façon « extrêmement astucieuse ». Ainsi, chacune d’elles n’est individuellement pas innovante, mais c’est cette association particulière qui fait la force des MOOCs[4]. De fait, les MOOCs ont créé une « révolution dans l’enseignement », en ce qu’ils permettent une personnalisation de ce dernier[5]. Par ailleurs, certains pensent qu’ils permettraient d’améliorer la qualité des cours. Cet argument est avancé par Fabienne Keller, et redoublé par Rémi Sharrock qui précise que du fait de leur caractère massif – c’est-à-dire de la grande audience à laquelle ils s’adressent – les enseignants s’efforcent d’être « plus qualitatifs ».
En réalité, ce nouveau dispositif ne bouleverse pas tant le fonctionnement des cours, mais plutôt le rapport entre les acteurs prenant part à la transmission du savoir[6], et éventuellement la pédagogie. En effet, actuellement, certains, comme Emmanuel Davidenkoff[7], pensent qu’ « en tant que forme pédagogique le MOOC ne révolutionne rien ». Néanmoins, une vraie révolution pourrait résider dans le changement de méthodologie et de pédagogie. Celle-ci serait impulsée non seulement par les enseignants, obligés de s’adapter à des conditions et à un public nouveaux, mais aussi par les apprenants eux-mêmes par le biais des forums par exemple.
Dans cette perspective, on voit bien que les MOOCs ne sont donc qu’une conséquence de l’évolution technologique. La question de la révolution relative est en débat. Mais alors quelle place accorder aux MOOCs ?
Complément plus que substitution ? →
[1]ENGEL Pascal, « Les MOOCs : des drones pour l’université ? » Le Débat, 180, 2014, p. 179- 185, doi:10.3917/deba.180.0179.
[2]ENGEL Pascal, « Les MOOCs : des drones pour l’université ? » Le Débat, 180, 2014, p. 179- 185, doi:10.3917/deba.180.0179.
[3]ISAAC Henri, « L’université numérique : rapport à Madame Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche », 2008, 54 pages. Disponible sur http://media.education.gouv.fr/file/2008/08/3/universitenumerique_22083.pdf (consulté le 6/05/2015).
[4]DURANCE Philippe, « Les MOOCs (massive open online courses), entre mythes et réalités », Annales des Mines – Gérer et comprendre, 115, 2014/1, p. 22-39.
[5]COLAJANNI Gautier, DELABRE Cyrille, LOBJOIT Dorian, GUILLEMOT Laura, ROMDHANE Nour , « Les MOOCs remettent-ils en cause le système de l’enseignement supérieur ? », INSA Rennes, 10/02/2014, 48 pages. Disponible sur http://moocs.insa-rennes.fr/download/moocs.pdf (consulté le 6/05/2015).
[6]IHEST (Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie), « Rapport d’étonnement de l’atelier : les cours en ligne ouverts et massifs », cycle national de formation 2013-2014, promotion Boris Vian, 17/07/2014, 74 pages. Disponible sur http://www.ihest.fr/IMG/pdf/20140717-rapport_etonnements_mooc.pdf (consulté le 6/05/2015).
[7]DAVIDENKOFF Emmanuel, Le tsunami numérique : éducation, tout va changer ! Êtes-vous prêts ?, Stock, 2014, 194 pages.