Dans le langage courant, un sujet « controversé » est un sujet qui fait débat, qui ne suscite pas le consensus. En effet, le dictionnaire Larousse définit la controverse comme « une discussion suivie sur une question, motivée par des opinions ou des interprétations divergentes ». Ainsi, on comprend donc qu’une controverse, souvent dite sociotechnique, est un débat dans l’espace public, portant sur un sujet sur lequel notre connaissance n’est pas stabilisée, invitant divers acteurs à débattre sur des domaines aussi variés que le droit, la science, la technique, l’économie, la morale, etc. auxquels touche la controverse. La confrontation de ces opinions donne alors lieu à la formation de nouvelles opinions.
Qu’est-ce qu’une controverse ?
Tenter de définir ce qu’est une controverse n’est pas chose facile. Les scientifiques se sont penchés sur le sujet à plusieurs reprises. Si cette problématique semble être une controverse en elle-même, il reste qu’il est possible de dégager quelques axes essentiels, permettant de mieux cerner cette notion. En effet, trois dimensions centrales semblent structurer une controverse.
L’une des premières dimensions de la controverse est son aspect scientifique. En effet, comme le dit Cyril Lemieux[1], la controverse prend toujours naissance dans un groupe restreint de scientifiques, avant de s’étendre progressivement à l’espace public. Pierre Lascoumes[2] ajoute que la controverse est un « régime d’énonciation générale ». En effet, il ne s’agit pas d’oublier la problématique qui s’établit mais bien d’en cerner les enjeux afin d’arriver à une solution stable.
La deuxième dimension de la controverse se retrouve dans la notion de mise en scène d’un problème, que le public doit trancher. Dans cette optique là, Cyril Lemieux parle de « structure triadique » : la controverse est un différend entre deux parties qui est mis en scène devant un public juge. Toutefois, la composition de ce public ne fait pas consensus. Là où certains pensent, comme Lascoumes, que la controverse peut toucher la société, d’autres affirment que ne peut être qualifié de controverse que ce qui n’impacte pas les « profanes ». En effet, le premier affirme que la controverse est une « opposition stérile » entre le public et la communauté scientifique tandis que le second avance que, dès lors que la controverse touche les profanes, elle se meut en crise institutionnelle.
Un troisième aspect qui doit être nécessairement soulevé est le caractère très codifié de la controverse. Dans la mesure où elle oppose deux parties auxquelles sont conférées des armes égales, la controverse est marquée par une certaine civilité. Jean-Louis Fabiani parle ainsi de « combat civil », dans la mesure où il s’agit de limiter la violence face au public. Ce sont donc davantage des joutes oratoires qu’une lutte à proprement parler, d’où le caractère instable et presque tacite de la tournure que prend le débat.
Quels sont les enjeux d’une controverse ?
Soulignons que la controverse n’est pas un évènement anodin. En effet, elle ne peut prendre son essor que dès lors que lui préexistent des milieux institutionnels suffisamment autonomes, ainsi que le rappelle Cyril Lemieux. Dès lors, elle peut devenir un moment de renversement des valeurs et croyances jusqu’alors instituées. Ainsi, la controverse déstabilise, voire modifie le rapport des points de vue experts et profanes. Par conséquent, les scientifiques sont mis en difficultés et peuvent être amenés à relativiser leur savoir.
Etant profondément ancrées dans une réalité sociale plus large, les controverses permettent de mettre en lumière les grandes tendances dans lesquelles elles s’inscrivent. Elles permettent de mettre en scène les rapports de force à un instant t, mais également les enjeux qui mobilisent une sphère scientifique en particulier. Elle bouleverse néanmoins ce rapport : comme l’affirme Cyril Lemieux, une controverse ne peut être arrêtée par une autorité seule, quand bien même celle-ci posséderait l’avantage dans un groupe donné. Dans cette perspective, la controverse peut susciter deux grands types de comportements : ceux qui, par un sentiment élitaire, tenterons de dissimuler la controverse aux profanes et aux pouvoirs publics, tandis que d’autres, dans une optique de partage du savoir et une démarche de relégitimation, tenteront de la diffuser au plus grand nombre. La controverse pousse donc les acteurs à clarifier leur position et à le motiver, en avançant des arguments. On peut donc parler de « dispute », c’est-à-dire des moments où les agents sociaux se trouvent dans l’obligation de justifier leur action, au sens de Boltanski et de Thévenot[3]. On s’approche alors d’une sociologie de la critique ainsi que le prône Boltanski[4], dans laquelle il est légitime d’inclure les propos des agents sociaux, sans faire primer celui des experts ; la critique est une activité « de droit commun ». Lascoumes insiste sur l’importance de la prise en compte de la multiplicité des interprétations du phénomène étudié, sur les comportements qu’il engendre et sur les conséquences que ceux-ci ont sur la perception retenue, du phénomène lui-même.
Finalement, les controverses sont en elles-mêmes productrices d’ « effets enrichissant les rapports sociaux »[5] et permettent de traiter socialement les situations actuelles. On peut alors ou bien les étudier comme un révélateur d’une réalité plus profonde ou bien les étudier comme un fait social sui generis au sens de Durkheim. Quoiqu’il en soit, il s’agit d’étudier sérieusement et équitablement les positions des acteurs de cette controverse afin de réussir à en cerner à la fois toutes les dimensions, mais aussi et surtout toutes les implications.
Dès lors, dans le cadre du cours de Controverses proposé au sein de l’école des Mines, nous avons eu à choisir un sujet rendant compte de l’une de ces « controverses » contemporaines. Le but du cours n’est absolument pas de chercher des solutions à cette dernière, ou même prendre position, car cela reviendrait à dénaturer la controverse en elle-même ; mais bien plus généralement à nous initier au milieu de la recherche scientifique et technique. Pour réaliser ce projet, nous avons donc progressivement abordé le sujet, appris à cerner ce qu’était une controverse, ses enjeux, les acteurs qui la font tenir, son intérêt ainsi que sa portée, tant pour les étudiants profanes que nous sommes que pour les savants, les ingénieurs ou encore les scientifiques.
C’est à un tel travail que nous avons essayé de nous adonner. Ainsi, pour entrer directement dans la « vif du sujet », nous vous proposons de visiter le site, afin d’en savoir plus sur les MOOC (Massive Open Online Course).
[1] LEMIEUX Cyril, À quoi sert l’analyse des controverses ?, Mil neuf cent 2007/1, N° 25, p. 191-212.
[2] LASCOUMES Pierre, « Chapitre 7. De l’utilité des controverses socio-techniques », Journal International de Bioéthique, 2002/2 Vol. 13, p. 68-79. DOI : 10.3917/jib.132.0068.
[3]BOLTANSKI Luc, THÉVENOT Laurent, De la justification, Les économies de la grandeur, 1987.
[4]BOLTANSKI Luc, De la sociologie critique à la sociologie de la critique, Paris, Gallimard « NRF Essais », 2009.
[5] LASCOUMES Pierre, « Chapitre 7. De l’utilité des controverses socio-techniques », Journal International de Bioéthique, 2002/2 Vol. 13, p. 68-79. DOI : 10.3917/jib.132.0068.