Image Map

Histoire du cumul

 

Phénomène réputé typiquement français, le cumul des mandats n’est pas un phénomène récent, puisque l’Institut Montaigne 1 évalue respectivement à 30% et 40% la part des parlementaires cumulant plusieurs mandats au cours des Troisième et Quatrième République.

Institut Montaigne, "Député : un job à temps plein". http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/depute-un-job-temps-plein

Institut Montaigne, « Député : un job à temps plein ».

 

Toutefois, cette part a sensiblement augmenté aujourd’hui, au point que des analystes comme Guillaume Marrel, maître de conférences en sciences politiques, parlent d’une « systématisation du cumul«  sous le régime politique mis en place par la Constitution de 1958 2. Ainsi, l’institut Montaigne, dans la même étude, évaluait en 2006 à 90% le nombre de parlementaires cumulants.

 

L’émergence d’une volonté de limiter le nombre de mandats simultanés

 

« Le 27 novembre 1985, il y a aujourd’hui vingt-cinq ans, s’ouvrait le débat à l’Assemblée nationale sur le premier projet de loi organique tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives susceptibles d’être exercées par les parlementaires. »

Jacques Valax3

La mise en place du premier acte de la décentralisation par la loi Defferre du 2 mars 1982 a rendu sensible le besoin de mettre en place des barrières législatives à la détention par une même personne de plusieurs mandats électifs. Cette exigence nouvelle a pris forme dans la loi organique du 30 décembre 1985, qui a en particulier modifié les articles suivants du code électoral :

« Art. L.O.141.

Le mandat de député est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats électoraux ou fonctions électives énumérés ci-après :

représentant à l’Assemblée des communautés européennes, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, maire d’une commune de 20000 habitants ou plus autre que Paris, adjoint au maire d’une commune de 100000 habitants ou plus autre que Paris. »

« Art. L.O.297.

Les dispositions du chapitre IV du titre II du livre Ier du présent code sont applicables aux sénateurs. »

Cette interdiction n’est que partielle, puisqu’elle ne concerne que les mandats européens, de conseillers régionaux et généraux, et de maire d’une grande ville ; le point d’intérêt étant que le mandat supplémentaire est toléré pour un mandat en plus de celui de parlementaire, et non totalement prohibé.

De plus, paradoxalement, cette loi, loin de simplement limiter les mandats, a bien plutôt consacré dans la loi un usage qui n’était pas explicitement précisé. En fait, seuls les cas de cumul les plus extrêmes ont été impactés, à l’exemple du centriste Jean Lecanuet, qui était en 1985 maire de Rouen, président du conseil général de Seine-Maritime, conseiller régional de Haute-Normandie, sénateur et représentant au Parlement européen 4.

Par ailleurs, cette loi interdit le cumul de plus de deux mandats parmi la liste précédente :

« Art. L.46-1

Nul ne peut cumuler plus de deux des mandats électoraux ou fonctions électives énumérés ci-après : représentant à l’Assemblée des communautés européennes, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, maire d’une commune de 20 000 habitants ou plus, autre que Paris, adjoint au maire d’une commune de 100 000 habitants ou plus, autre que Paris. »

Enfin, cette limitation est accompagnée, en vertu de la loi du 25 février 1992, d’un plafonnement des indemnités à une fois et demie l’indemnité parlementaire.

 

La deuxième étape : la loi du 5 avril 2000

 

Il a fallu attendre 1998 et le retour d’un gouvernement de gauche pour que revienne sur le devant de la scène politique la question du cumul des mandats, donnant notamment lieu à un débat télévisé entre le premier secrétaire du PS d’alors, François Hollande, et Nicolas Sarkozy.

La loi votée à l’issue de ce débat, loi organique du 5 avril 2000, met en place trois principales innovations 5.

« Art. L.O.141.

Le mandat de député est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats énumérés ci-après : conseiller régional, conseiller à l’assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d’une commune d’au moins 3 500 habitants. »

La première est l’extension des mandats cumulables de manière unique avec celui de parlementaire : il ne s’agit plus simplement des fonctions de maire ou d’adjoint au maire, mais de tout le conseil municipal, le seuil démographique étant aussi ajusté de manière à rendre la mesure plus efficace que celle mise en place 135 ans plus tôt.

« Art. L.46-1

Nul ne peut cumuler plus de deux des mandats électoraux énumérés ci-après : conseiller régional, conseiller à l’assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal. »

La deuxième innovation est le durcissement du régime d’incompatibilité local-local, puisque désormais un président de conseil général ou régional ne peut plus faire partie d’un conseil municipal, alors qu’il ne pouvait pas être maire d’une ville de plus de 20 000 habitants dans la législation précédente.

« Art. L.46-1

Quiconque se trouve dans ce cas doit faire cesser l’incompatibilité en démissionnant d’un des mandats qu’il détenait antérieurement. Il dispose à cet effet d’un délai de trente jours à compter de la date de l’élection qui l’a mis en situation d’incompatibilité ou, en cas de contestation, de la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif. A défaut d’option ou en cas de démission du dernier mandat acquis dans le délai imparti, le mandat ou la fonction acquis ou renouvelé à la date la plus ancienne prend fin de plein droit. »

La troisième innovation, plus technique mais marquée par la volonté de prévenir une utilisation détournée de la nouvelle législation anti-cumul, consiste à forcer la démission des deux mandats pour un élu en situation de cumul non-autorisé : ainsi, cette disposition rend impossible les « candidats-locomotives », c’est-à-dire des candidats, déjà élus par ailleurs, qui ne remportent l’élection que pour faire place à leur suppléant en démissionnant immédiatement.

 

Le constat de l’insuffisance de la législation mise en place en 2000

 

Rapidement cependant, la question du cumul des mandats, loin d’être totalement résolue par la loi de 2000, a resurgi dans le débat politique.

Google Trends, requête "cumul des mandats". Période de visualisation : janvier 2007 - mai 2014

Google Trends, requête « cumul des mandats ». Période de visualisation : janvier 2007 – mai 2014

 

Le graphique ci-dessus, obtenu grâce à l’outil de mesure d’audience Google Trends, fait apparaître plusieurs pics d’intérêt par les internautes pour la question du cumul des mandats à partir de 2007 (date de mise en place de l’outil de mesure).

Ainsi, si l’on retrouve logiquement une croissance de l’intérêt porté à cette question en juin 2007 à l’occasion des élections législatives, un premier pic d’audience (noté I) apparaît à l’occasion de la décision du Premier Ministre François Fillon de ne pas légiférer à propos du cumul des mandats.

En octobre 2009, l’intérêt est exacerbé par la consultation interne au PS sur la position à adopter quant au cumul des mandats. Ceci donne lieu à de nombreuses prises de position publiques, ainsi qu’à la publication de classements des élus cumulants, notamment par le journal Le Monde.

S’ensuit une période de faible intérêt pour la question, épisodiquement relancé par les élections locales. Toutefois, la question s’impose de nouveau, et avec plus d’intérêt, à partir du choix du candidat François Hollande par le Parti Socialiste en novembre 2011, aboutissant à une audience jamais atteinte alors en mai-juin 2012, soit à l’accession à la présidence de François Hollande, qui a dès lors indiqué que les ministres devraient respecter le non-cumul.

La mise en place et les conclusions de la commission Jospin pour la rénovation de la vie politique, entre juillet et novembre 2012, permettent à la question du cumul des mandats de se maintenir dans le champ politique ; par la suite, les nombreuses incertitudes quant aux dates d’application – et à d’adoption – du projet de loi sur le cumul des mandats ont assuré une audience élevée.

Enfin, de fin 2013 à janvier 2014, le processus législatif ayant abouti à l’adoption de la loi organique du 14 février 2014 a fait l’objet d’un intérêt particulier de la part des internautes.

 

Le futur : l’élargissement de l’interdiction en 2017

 

« Art. L.O.141-1 :

Le mandat de député est incompatible avec :

1° Les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire ;

2° Les fonctions de président et de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;

3° Les fonctions de président et de vice-président de conseil départemental ;

4° Les fonctions de président et de vice-président de conseil régional ;

5° Les fonctions de président et de vice-président d’un syndicat mixte ;

6° Les fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;

7° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ;

8° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

9° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;

10° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

11° Les fonctions de président et de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

12° Les fonctions de président et de vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

13° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger, de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire. »

La loi organique n°2014-125 du 14 février 2014 met en place un nouveau régime d’incompatibilité, applicable au 1er avril 2017 ; celui-ci en durcit les conditions, en supprimant la tolérance d’un mandat  pour les mandats électoraux cités : on passe de deux mandats pour un élu, à un mandat pour un élu.

Suite : Présentation des acteurs de la controverse

 

  1. Institut Montaigne, « Député : un job à temps plein ». Disponible ici.
  2. Cité par le rapport n°832 de M.Simon SUTOUR, 11 septembre 2013
  3. Rapport législatif n°2844, 6 octobre 2010. Disponible ici
  4. Caille Pierre-Olivier, « Le cumul des mandats. Contribution à l’étude du statut des parlementaires », Mémoire de recherche dirigé par Gérard Marcou, 1998. Disponible ici
  5. Patrice Gélard, rapport législatif n°41 du 13 octobre 2010