Image Map

Antoine Carette

 

Interview du 12/03/2014 au siège du Modem

 carette

 

Investi très tôt dans la politique, Antoine Carette a pu nous donner le point de vue d’un jeune acteur de terrain sur cette loi qui vise aussi à faciliter l’intégration en politique de nombreux jeunes profils qu’il préside.



Vous avez à plusieurs reprises exprimé votre opposition au cumul des mandats. Votre position est-elle motivée par des convictions personnelles (éthique, responsabilité vis-à-vis des électeurs), par des arguments techniques (disponibilité, connaissance des dossiers) ou les deux ?

Les deux ont un lien. Il s’agit de convictions, parce qu’on observe que l’ubiquité est impossible, en particulier dans le cas des conseillers régionaux ou généraux. La plupart du temps, ce sont les collaborateurs qui font le gros du travail, mais certains élus travaillent vraiment leurs dossiers. C’est sûr, les assistants peuvent faire le travail. Un député a deux à quatre assistants : un ou deux à l’Assemblée, et un ou deux en circonscription. Ils ont des formations identiques mais des rôles différents : ils travaillent notamment sur la visibilité du député en circonscription, et accomplissent aussi un travail technique.

Un peu de souplesse dans l’application du non-cumul est cependant nécessaire. Le sénateur doit pouvoir avoir une fonction d’adjoint, de petite mairie, mais pas de conseiller général ou régional. Le taux de présence au Sénat doit être faible.

Il faut faire très attention à la mesure du travail parlementaire.

Ces idées de retrouvent dans le programme de François Bayrou pour l’élection présidentielle de 2012 : il ne faut plus de procuration à l’Assemblée, et il faut que les élus votent selon leur idée, pas en suivant les consignes.



Comment expliquez-vous que le cumul des mandats se soit ainsi imposé dans le système politique français ?

Il n’y a quasiment pas de renouvellement de la classe politique en France, seuls des partis comme le Front National ou EELV, à la faveur de positions disruptives, y parviennent. Cette professionnalisation de la politique est nuisible. La première solution que l’on pourrait avancer est le non-cumul des indemnités. La rentabilité est énorme pour les cumulards. La deuxième solution serait une prime à la journée de présence en séance plénière, ce qui obligerait les députés à choisir, comme cela est fait au Parlement Européen. Si on est contre le cumul, c’est parce qu’on est contre la professionnalisation de la politique.

Il existe cependant un gros écueil qui est une vision de l’élu cumulard comme « super-politique ». C’est surtout le fait que la tête est connue qui favorise la réélection. La société dans son ensemble est conservatrice, et pas plus la droite que la gauche. Le progressisme est devenu la défense des intérêts de quelques-uns. Il faut plus de fluidité. Dans les entreprises, les nouvelles générations ont du mal à s’intégrer parce que, schématiquement, les vieux ne laissent pas les jeunes s’installer, comme c’est le cas en politique. On peut citer comme exemple une campagne qui a été faite à la mairie de Saint-Mandé, contre le maire en place. On a sorti des dossiers contre lui (notamment financiers) et sa majorité a explosé, mais les gens continuent de voter parce qu’il y a cette résistance au changement. C’est aussi très difficile pour les partis politiques de mettre des jeunes parce qu’il y a un certain rejet : moi qui suis candidat pour être adjoint aux finances, je ne peux pas le dire clairement car les gens ne me reconnaissent pas la légitimité.

C’est un phénomène très prégnant dans le cumul des mandats. Le changement va être long. La question est de savoir qui va reprendre ces postes laissés libres par des gens qui ont en moyenne une soixantaine d’années. Même les gens de 20 ou 10 ans de moins qu’eux ne sont pas crédibles pour une image nationale. Même lorsqu’on regarde les personnalités qui ont une image jeune, elles de ne le sont pas. On peut citer pour EELV Daniel Cohn-Bendit et Eva Joly, et pour le Parti Socialiste François Hollande ou Ségolène Royal.



La professionnalisation de la politique est-elle exigée par la technicité des dossiers ?

Non, absolument pas. Par exemple : je suis ingénieur, et mon engagement politique est citoyen ; c’est pour ça qu’il y a des indemnités. Quand on est élu parlementaire, on peut légitimement penser qu’il faut suspendre sa vie professionnelle. C’est sûr qu’on ne peut pas revenir facilement dans la vie professionnelle ensuite, mais ça ouvre aussi d’autres portes : le consulting notamment. De plus, il existe beaucoup de postes parapublics avec les Etablissements Public à Caractères Industriel et Commercial (EPIC) tels que la RATP, la SNCF, RFF, EDF, GDF Suez,… qui ont dans leur comité de direction des personnes nommées en conseil des ministres. Par exemple Anne-Marie Idrac a été plusieurs fois secrétaire d’Etat, et elle a également été présidente de la RATP puis de la SNCF. Donc il y a des portes de sortie.

Il n’est pas besoin d’être professionnel pour faire de la politique, un ingénieur par exemple peut l’être. Il y a des fonctions techniques sur concours (directeur financier par exemple), mais de façon générale on confond le rôle du politique et de l’expert. Le politique doit être là pour impulser, pour poser les jalons. Si je suis adjoint aux finances, je vais y passer cinq heures par semaine, pas plus, car il y a beaucoup de support tels que les directeurs financiers, justement. Tout citoyen peut faire ce travail, car un bon élu, s’il doit avoir une culture générale, ne peut pas tout savoir. On demande n’importe quoi aux politiques en exigeant d’eux des connaissances sur tout. C’est un tort : les élus qui se perdent dans les détails perdent le recul qui est nécessaire.



La limitation dans le temps du nombre de mandats est-elle une solution ?

En Allemagne, on dit qu’en 3 mandats, on a le découpage suivant : découverte de la fonction, mandat « au top », puis passation. Le rôle du président des Jeunes Démocrates est entre autres d’organiser des formations, mais ce n’est pas pour autant que la fonction à laquelle nous les formons constituera leur métier.

Dans les autres mouvements, les postes équivalents sont des postes de salariés, occupés par des assistants parlementaires qui sont déjà dans le bain. Ce n’est pas le cas au Modem, ça ne l’était pas à l’UDF. Chacun a son rôle, il n’y a pas de mélange. Etre assistant, ce n’est pas négatif, il faut étudier la faisabilité. Idem pour le directeur de cabinet, qui fait le lien avec le directeur des services.



Le 22 janvier dernier, avec le soutien des deux députés Modem (Thierry Robert et Jean Lassalle), l’Assemblée Nationale adoptait la loi organique restreignant le cumul des mandats, mais pas le cumul des indemnités, que vous avez appelé de vos vœux dans un article publié sur le site du MODEM en septembre dernier. Êtes-vous déçu par cette loi ?

Elle va dans le bon sens sans résoudre le problème. Il ne faut pas choquer les français, c’est un danger. Il vaut mieux un changement amené dans la durée qu’un changement brusque : n’importe quel outil apporte un résultat, mais l’important est la crédibilité politique.

Si on prend l’exemple de l’endettement de la France, c’est un problème en raison de la confiance, car il n’est pas trop grand en soi. Si François Hollande avait annoncé un endettement sur un an de la « bonne manière », les conséquences économiques auraient été quasi-nulles. En économie comme en politique, la confiance est la clé de voûte, même forcée.

Sur la loi, oui, je suis tout de même déçu, parce que François Hollande avait prévu une loi de moralisation entre les deux tours (ce qui a motivé le ralliement de François Bayrou).



La possibilité laissée aux parlementaires de siéger au sein d’un conseil municipal vous fait-elle craindre l’émergence de « maires de paille » ou « maires pantins » dont la conduite serait dictée par un parlementaire membre de son conseil municipal, entraînant de fait une opacification du processus décisionnel ?

On ne pourra jamais l’empêcher, c’est de la sociologie. C’est une organisation en corporations : les maires UMP d’un côté, les maires PS de l’autre, les PC entre eux, etc. De toute façon, l’ombre du maire, s’il a été marquant, règne toujours en un sens. C’est aux électeurs de choisir. Il n’y a pas de jugement de valeur. On peut citer les exemples de Devedjian, Balkany, Santini : il y a des clans, avec les mairies autour de leurs villes. Les électeurs ont l’impression d’élire un surhomme.



Le statut de l’élu est-il un problème en France aujourd’hui ?

Ce qui existe de facto est suffisant, c’est la même question que pour une femme enceinte. C’est certain qu’on ne peut pas avoir des parcours qui soient acceptables pour les entreprises, mais il n’y a pas de solution. Si, pour les professions libérales, c’est facile, la question se pose vraiment pour les employés. Mais pour un maire, l’indemnité est suffisante. Non, il ne faut pas augmenter les indemnités. Ce serait contre-productif.



Pour les personnes pour qui il y a un vrai problème, comment donner la possibilité d’inciter les jeunes ?

Si on est contre la professionnalisation de la politique, c’est parce qu’on estime que l’élu a un métier à côté. Avoir un mandat n’est pas un métier, il ne doit pas y avoir d’assurance chômage, en plus les députés ont une indemnité qui court 6 mois après. C’est une question de train de vie, il n’y a rien de normal.

A l’étranger, la politique est perçue différemment : j’ai pris une bière avec le Premier Ministre belge, et Angela Merkel va au supermarché. En France, c’est anormal d’avoir cette sacralisation.

Il faut qu’on puisse valoriser de bons profils. Je regrette qu’il n’y ait pas plus de scientifiques. Sciences Po et l’ENA ne sont pas représentatifs. Les paysans peuvent être de bons maires. Il y a beaucoup de retraités, pour une question de temps. Ça n’est pas un problème, c’est une manière de résoudre le problème de la reconversion (même s’il ne faut pas que des retraités). Il n’est donc pas nécessaire de fixer un âge limite.



Alors que la loi s’appliquera en particulier aux maires élus en 2014, n’y a-t-il pas un déficit de notoriété de ce facteur dans la campagne pour les municipales ?

De toute façon, les gens ont tendance à élire un cumulard. Il y a une certaine dichotomie chez les électeurs, entre suivre ses idées et suivre la personne. C’est bien de marteler, mais ça ne change pas souvent. Les gens ne posent pas de question. Par exemple, André Santini va très probablement être réélu parce qu’on ne voit qu’à sa portée, on ne peut rien y changer.



La question du cumul des fonctions s’est posée notamment à Paris, avec Anne Hidalgo attaquée sur son appartenance à un organisme de gestion public. Pensez-vous que cette question soit importante et, si oui, qu’elle fait l’objet d’un déficit de notoriété ?

Oui, c’est la même chose, cela relève des conflits d’intérêt.