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Olivier Costa

 

Interview du 13/03/2014

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Lors de nos recherches, nous avons étudié le point de vue de M. Costa sur la question du cumul des mandats exprimé dans une vidéo de l’Institut Montaigne (disponible ici), organisme indépendant qui préconise l’abolition du cumul du cumul des mandats depuis 2002.



Vous avez travaillé sur la représentation politique incarnée par les députés européens. Vos remarques sont-elles transposables au parlement français et éventuellement au Sénat ?

Les deux questions sont différentes, car au Parlement Européen (PE) on trouve des cas extrêmes et une grande diversité qu’on ne retrouve pas au parlement, ainsi que différentes nationalités bien sûr. De plus, il n’est pas du tout défini quelle est la mission d’un PE, et tenter de quantifier le travail d’un député européen revient à tenter d’imposer une norme de ce qu’est un PE, de ses activités, mais c’est illusoire. On ne peut donc transposer ces résultats que dans une moindre mesure car on n’a pas non plus de normes même si la diversité est beaucoup moins présente et donc on a une vision plus homogène de ce métier. Cependant, on va avoir des députés qui vont plutôt faire certaines activités que d’autres (commissions, budgets…) soit parce que ça leur correspond mieux, soit parce que c’est ce que leurs électeurs attendent d’eux aussi : exemple des électeurs de Marion Maréchal Le Pen qui a été élue pour contester le système, avoir une forte présence journalistique, et non pas vraiment pour être attentive en séance parlementaire et faire des actions au niveau du processus législatif. Il ne faut pas du tout tenter d’imposer des critères d’évaluation du travail parlementaire, qu’on tente de résumer leur travail dans des scores car cela présuppose une norme et il n’y en a pas !

De plus, on constate aussi que des députés trafiquent leurs scores en demandant par exemple à des amis de poser des questions en leur nom, ou bien en transmettant directement des questions de citoyens au parlement afin d’avoir plus de questions, alors qu’ils ne les ont même pas lues. C’est donc une bonne chose de vouloir examiner le travail parlementaire mais il faut faire au cas par cas selon la représentation que chacun se fait de son travail et selon ce qu’attendent les électeurs. Il faut faire confiance aux citoyens pour ne pas leur donner des scores pré faits mais les laisser juger par eux-mêmes selon ce qu’ils attendent. On voit que les chiffres sont parlants pour certains cas (par exemple de cumul excessif) mais ils sont aussi pour une grande part totalement arbitraires et on ne sait pas du tout sur quels critères se reposer tout simplement parce que les visions de ce travail divergent. C’est donc bien la construction de scores qui est gênante et peut favoriser la triche des élus afin d’améliorer leurs chiffres. C’est donc aussi une question d’éthique.

La subjectivité reste quand même, même si on ne donne pas tout prémâché une interprétation des données du travail parlementaire, car rien que le choix est subjectif. De plus, cette activité n’est en général basée que sur les deux jours et demi de présence des députés en saison et tout le reste su temps ils le passent dans leur circonscription et tout ce qu’ils y font n’est pas quantifié ! On occulte donc ainsi une réalité du travail parlementaire qui est celle d’un travail majoritairement de terrain, de présence médiatique aussi, qui est effectivement attendu et apprécié par les électeurs, qui sanctionnent dans le cas où ce n’est pas suffisant.



 La professionnalisation de la politique que vous identifiez vous semble-t-elle souhaitable ?

C’est un problème normatif : il n’y a pas de réponse à cette question. On peut considérer qu’il faut des députés très connaisseurs du grand public pour être efficaces et assurer un fonctionnement démocratique. A contrario, il y a un discours qui dénonce le détachement du grand public d’une élite politique. On a une vraie aporie de la théorie politique. Aujourd’hui, personne ne peut donner de réponse et beaucoup de gens se contredisent même là-dessus. Il y a des points de vue contradictoires et intéressants. Il y a une tension entre ces deux représentations.



 Quel lien faites-vous entre professionnalisation de la politique et cumul des mandats ? 

Les gens qui font de la politique essaient d’engranger des ressources car ils souhaitent faire de la politique toute leur vie, ce qui les incite à cumuler. Faire de la politique de façon exclusive implique d’assurer ses arrières. La preuve est que, depuis 1981, on a des alternances systématiques, ce qui rend la carrière politique très incertaine ! D’où le fait que le cumul permette d’assurer de ne pas devoir attendre.

Lorsqu’on a essayé de limiter le super cumul, le cumul s’est toutefois généralisé, et cela est logique, et d’une certaine façon légitime : le métier est risqué, et le statut de l’élu est problématique.



Le statut de l’élu est donc en lien avec le cumul ?

Le cumul des mandats ne sera vraiment traité que quand la question du statut de l’élu le sera.

Ceci explique que tant de parlementaires qui ont certains types de métier (professeur, avocat, médecin) soient surreprésentés par rapport à d’autres au Parlement, et peuvent plus cumuler : si on imagine un commercial qui abandonne son poste 2 ans pour un ou plusieurs mandats, la probabilité pour qu’il soit techniquement dépassé, que la boîte ait fait faillite ou bien qu’elle ne le reprenne pas est énorme. Le problème du statut de l’élu conditionne donc une certaine sociologie du Parlement.


La loi vous semble-t-elle suffisante par rapport aux buts qu’elle s’est fixée ?

La loi va jouer à la marge. Elle va engendrer de la compétition, surtout au sein même des partis et moins entre les opposants, ce qui va permettre aux nouvelles têtes d’émerger. Une personne qui ne peut plus cumuler a plus à craindre qu’une personne qui peut cumuler.

Deux choses que cela ne changera pas :

-                    L’investissement des députés à l’échelle locale, alors que la plupart des personnes craignent le contraire. Sans cela, il est impossible d’espérer se faire réélire, car le contact avec le grand public et la culture du réseau est indispensable pour se faire réélire. Ceci à l’exception des députés dont la circonscription est sûre, c’est-à-dire dont les électeurs réélisent toujours le même parti.

-                    Cela ne va pas empêcher la professionnalisation de la politique. Ceux qui cumulent pourront toujours cumuler des fonctions, ce qui n’est pas interdit : être à la tête d’établissements publics, rédiger des rapports …

Plein de politiques ont échoué en abandonnant le rapport au grand public. Sauf dans les cas de clientélisme maffieux avancé !



 En complément de la loi, ne faudrait-il pas poursuivre la décentralisation ?

« Le député est le jardinier de la circonscription, mais il doit aller chercher du terreau à Paris ». Il sera possible d’être véritablement élu local quand la dépendance à l’égard de Paris décroîtra. Les électeurs ont de moins en moins le sentiment qu’il est nécessaire d’être député pendant le mandat de maire.

Une réforme pourrait être radicale : la limitation du cumul dans le temps. Cela dé-professionnaliserait la vie politique de façon très rapide et saine.



 Et quant à la loi qui vient d’être votée ?

C’est un premier progrès. Elle ne fera pas avancer tant que cela. Il y a un discours contradictoire de la part de certains électeurs qui exigent à la fois présence à l’Assemblée et sur le terrain … Ça va jouer à la marge. Il ne risque pas d’y avoir de « maires de paille » car les gens perdent vite leur influence politique s’ils n’ont pas le poste le plus haut.



Cumul des mandats et activité parlementaire : quelque soit la norme, y a-t-il une corrélation ?

Il n’y a pas de bonnes corrélations, du fait de nombreuses considérations particulières. A part pour une conception d’un député national qui perçoit son activité parlementaire comme centrale, où présence à l’Assemblée Nationale est le critère le plus fiable à prendre en compte. Mais encore une fois cela dépend de la conception que les élus ont de leur propre mandat. Le problème est que tout le monde cumule. Les super-cumulards sont évidemment peu investis dans le travail.

Il y eu beaucoup d’évolution dans la manière d’aborder le mandat parlementaire. Un député qui ne fait rien peut donner l’impression d’une activité très forte et inversement grâce à la présence des collaborateurs. Il peut y avoir aussi des activités artificielles qui ne servent que les chiffres. D’autant plus que les cumulards ont des ressources considérables, même pour le travail qu’ils génèrent. On peut comparer le travail d’un député avec celui de la gestion d’une entreprise. Il y a un vrai problème de démocratie et d’équité : les cumulards accaparent les positions de pouvoirs mais aussi les moyens pour résoudre les problèmes et s’exprimer.



Et quant au Sénat ?

L’argument du Sénat ne tient pas : dans plein de pays les sénateurs ne cumulent pas. Cela tient plus du conservatisme grognon et d’une attitude réactionnaire.  Les sénateurs sont bien moins soumis à la pression du fait du mode d’élection, ce qui leur permet d’avoir des positions qui ne sont pas sanctionnées.



Est-il légitime de comparer la France avec d’autres pays étant donné les différences d’organisation politique et surtout les différents niveaux de décentralisation ?

C’est légitime, car en Europe on observe des niveaux très différents de décentralisation, et pourtant il n’y a qu’en France qu’on cumule autant, donc il y a l’évidence d’un problème. L’argument selon lequel la France est spéciale est absurde : si on ne le fait pas, c’est juste qu’on a jamais eu le courage de le faire, mais on le peut.