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Assistant parlementaire

 

Interview du 23/04/2014

 

Les assistants parlementaires sont au cœur de l’activité des parlementaires, et représentent donc un point de vue interne sur les différentes conceptions que les élus ont de leur travail, ainsi que sur l’impact du cumul sur l’organisation et le rôle des députés, au quotidien. Nous avons pu en rencontrer un (assistant d’un sénateur), ce qui nous a permis de nous renseigner sur la façon dont est perçue cette quantification du travail, notamment effectuée par les médias ou par les organisations citoyennes.

Est-ce qu’il vous semble souhaitable d’essayer de mesurer l’activité politique ? D’en rendre compte par une mesure ?

Je ne sais pas. La réponse émane forcément d’un avis personnel. Je peux juste vous dire les biais qu’il y a dans la mesure, les avantages qu’elle peut comporter, et les choses qui posent problème. Si moi je suis pour, je n’en sais rien. Il me semble que ça ne changera rien, de mesurer le travail des parlementaires, puisque – c’est ma conception, j’ai travaillé dans plusieurs assemblés et dans des conseils municipaux – dans ce genre d’assemblées, tout le monde ne travaille pas. En fait, on a 20 à 30 % des membres qui sont très actifs dans l’assemblée et les 70 autres vont suivre le travail des 30 %, et c’est souvent ce que j’ai vu, que ce soit en conseil municipal ou au Sénat.

Une deuxième chose est que ce n’est pas parce qu’on intervient beaucoup qu’on a des choses intéressantes à dire et qu’on fait avancer des lois fantastiques. Les deux ne sont pas liés. Mais revenons au cœur du sujet : on a beaucoup dit que le cumul des mandats empêchait un travail honnête de parlementaire, à cause du temps qui manquerait. En pratique, ce n’est pas vrai. Je connais des cumulards qui ne font rien et puis il y a des cumulards qui font beaucoup. Ce n’est pas aussi simple que « le temps ou pas le temps ». En fait, ça dépend surtout de l’élu lui-même, puisque il y a des élus, il faut être honnête, qui n’accordent pas beaucoup d’importance à leur fonction. Et puis il y a des élus très investis qui vont énormément travailler. Et là c’est assez variable, il n’y a pas de règles. Ça dépend de qui on a élu et de qui est cette personne, individuellement, c’est-à-dire qui elle est et comment elle conçoit le travail. Le problème, c’est qu’il suffit qu’on pose des questions orales, et on est enregistré comme quelqu’un d’actif pour le travail parlementaire. Sur nossénateurs.fr, vous trouverez des profils de sénateurs qui ne sont quasiment venus au Sénat, et qui n’ont quasiment aucune activité ! Mais il n’y a pas forcément de lien avec le cumul.

On peut citer ici certains textes de Laurent Bach et de Julien Navarro qui concluent de façon différente quant au lien entre cumul et présence en assemblée. Ils constatent que les cumulards sont effectivement moins présents à l’Assemblée Nationale et ce d’autant plus que l’exécutif local cumulé est important. Mais Julien Navarro explique, dans son ouvrage, que ce qui importe, pour avoir un bon représentant politique, ce n’est pas uniquement l’assiduité (la quantité d’activité) mais plutôt l’efficacité (la quantité d’activité divisée par le temps), contrairement à la position de Laurent Bach. Il constate que les députés cumulards sont plus efficaces que les autres en ce sens. On voit donc que les deux chercheurs, avec deux définitions différentes de l’activité politique, vont aboutir à des résultats différents.

Je ne connais pas ces deux études, mais les deux ont le même problème, c’est que le travail parlementaire est un travail de subjectivité. A ce moment là, on peut faire une question écrite par semaine sur des sujets inutiles, et qui n’iront nulle part : on aura une activité importante. Par exemple, on peut poser des PPL (propositions de loi), qui émanent des parlementaires –  sinon, ce sont des projets de lois.  C’est très rare, les sénateurs qui posent des PPL, parce que les PPL, c’est quelque chose d’important : c’est une loi, qui devra être votée en séance. Il y en a beaucoup qui n’ont jamais déposé de PPL.

Il y a des députés qui posent des PPL chaque semaine, des PPL très courtes, d’un article. Ces lois ont souvent une importance très subjective, on ne sait pas si elles sont importantes ou pas : elles le sont certainement pour le petit nombre de personnes concernées, mais pour d’autres peut-être pas. Comment on l’évalue ? Inversement, d’autres députés vont déposer une PPL mais pas 10, mais cette PPL va être une loi énorme, qui va modifier en profondeur le fonctionnement de la société ou des institutions, et elle a pris cinq ans à être travaillée, construite. La subjectivité du travail demandé fait qu’il est très dur de faire des comparaisons entre le travail des différents sénateurs, puisque justement ce travail, ce n’est pas de la maçonnerie : on ne peut pas dire « il a mis tant de briques dans le mur en tant d’heures ». Ce n’est pas faisable pour ce genre de travail. Ce n’est pas spécifique au travail parlementaire, mais les résultats ne sont pas une espèce de bien matériel qu’on peut évaluer facilement. C’est un peu comme pour les professeurs : comment comparer le travail de deux professeurs alors qu’ils ont des publics scolaires différents ? Il devient très difficile d’avoir une prise objective sur ce travail là. Vous voyez bien qu’on ne peut pas évaluer tous les travaux de la même façon.

Alors, vos deux études elles sont très biens : ça nous montre que suivant le biais que l’on prend, on ne trouve pas le même résultat. En plus de cette problématique, il y a la question : comment fait-on pour comparer des travaux de l’écrit et de la pensée qui sont, par essence, non évaluables en soit, non comparables ? Mais moi, de ce que je vois, ce n’est pas quelque chose d’automatique, cette corrélation entre cumul et qualité du travail. J’ai vu des cumulards travailler bien mieux et sur des choses bien plus intéressantes que des non cumulards qui n’ont rien à dire et qui ne font rien.

Donc, c’est une aporie : ce n’est pas raisonnable de vouloir quantifier l’activité politique ?

Je peux comprendre que les chercheurs tentent, par ce biais là, d’avoir une prise sur l’évaluation du travail parlementaire. Et eux-mêmes, je suis sûr, dans leurs articles, expliquent bien toutes les limites de l’étude qu’ils proposent. Alors c’est toujours mieux que rien.

Si on va au-delà du travail intellectuel et qu’on parle de la présence physique, alors oui, on peut dire que certainement la corrélation est plus forte. Évidemment, si on ne compare pas le travail de fond mais qu’on prend la présence physique des sénateurs, je suis près à parier qu’il y aura un lien entre le cumul et la présence. S’ils cumulent, ils vont devoir, de temps en temps, être au conseil général ou être à la mairie parce qu’il y a le conseil municipal ou le débat de rotation budgétaire. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne seront pas efficients quand ils seront là où qu’ils ne gèreront pas les affaires.

Au Sénat, il faut savoir qu’il n’y a pas grand monde dans l’hémicycle. Quand vous allumez votre télé, et qu’on discute des projets de lois, il n’y a jamais plus d’un quart de l’hémicycle qui est présent. C’est rare de voir l’hémicycle au complet. Ils viennent le mercredi pour les questions au gouvernement, parce qu’il y a la télé : on les voit en direct. Au Sénat, vous savez qu’un seul homme peut voter pour tout le groupe, ce n’est pas comme à l’Assemblée Nationale. Des fois, on se retrouve avec cinq personnes dans l’hémicycle qui représentent chacun un parti et qui votent pour tout le monde, en fonction de ce que les autres sénateurs leur ont demandé.

Mais la présence ne fait pas tout, car le vrai travail parlementaire ne se fait pas en séance publique, mais plutôt en commission. Par exemple, pour un texte venant de l’Assemblée Nationale, avant d’être discuté en séance publique, il va aller en commission, selon la nature du texte : soit la commission des lois, soit des finances, soit du développement durable. La commission va faire le travail sur le texte et même déjà l’amender. Et donc le texte que l’on discutera en séance publique ne sera déjà plus le texte de l’Assemblée Nationale, il est le texte de l’Assemblée Nationale transformé par la commission  du Sénat qui s’en est occupé. Et généralement, c’est là où se fait tout le travail parlementaire. Les grandes lignes et les points forts du texte ne vont plus beaucoup bouger ensuite, lors de sa discussion en séance publique. De toute façon, la commission émet des avis une fois qu’elle a étudié les textes : soit la commission est d’accord, dans son ensemble, pour faire passer le texte en séance publique – ça veut dire qu’il y a un accord sur le fond du texte – mais il y a aussi des fois où la commission n’a pas trouvé d’accord et là on sait déjà que, même en séance publique, le texte ne sera pas voté, puisque même en commission, il n’y a pas eu d’accord, donc on ne trouvera pas de majorité en séance publique. Aujourd’hui, il serait plus intéressant, à mon avis, de regarder l’activité en commission des sénateurs plutôt que leur activité en séance publique. Ensuite, on continue à amender le texte en séance publique, il y a quand même des amendements, mais le cœur, les grandes lignes ont été décidées en commission, parce que c’est là que se fait le travail juridique de fond, de détail : on est avec les administrateurs, on prend du temps, on est en petit groupe. Dans les commissions, il n’y a pas l’intégralité des sénateurs, il y a quand même des sénateurs de chaque parti, vous comprenez bien, la commission est pluri-partisane. Donc c’est plutôt en commission qu’il serait intéressant de voir les choses.

Que pensez-vous des différents sites internet qui proposent aujourd’hui aux citoyens une quantification  de l’activité des parlementaires, sur laquelle ils basent plus ou moins un jugement de la qualité de leur travail ?

Il y a plusieurs controverses dans le même sujet : la première concerne comment ces sites construisent leurs données quantitatives. C’est peut-être celles du Sénat, mais même celles du Sénat, on pourrait les questionner, parce que c’est toujours important de savoir comment on construit le chiffre qu’on va utiliser. Deuxièmement, l’utilisation de l’argument selon lequel le non cumul des mandats permettra que les parlementaires soient plus présents et que le travail parlementaire soit plus intense. La plupart des sénateurs ont donné un argument qui n’avait rien à voir avec le chiffre, mais qui était un argument de caractère institutionnel et d’esprit des institutions et qui expliquait bien que le député de l’Assemblée Nationale est député de la Nation. Même s’il est d’une circonscription, dans l’esprit de la Constitution, il représente l’intégralité du territoire français. Quand on est Sénateur, pas du tout. Le Sénat est la chambre qui représente les collectivités territoriales. L’argument des sénateurs est de dire que s’ils n’ont plus droit de siéger aussi dans un exécutif local, alors ils ne vont plus représenter ces collectivités territoriales. A ce moment là, la spécificité du Sénat va disparaître et le Sénat sera une Assemblée Nationale « bis ». Si on fait ça, on va contre l’institution et on peut même se poser la question de pourquoi le Sénat subsisterait. Les Sénateurs ont donc dit : «Il faut qu’on continue de cumuler, non pas parce qu’on est meilleur ou pas dans le travail parlementaire, mais parce que sinon, les collectivités territoriales ne seront plus représentées au niveau du pouvoir législatif ». Si aucun de ces hommes (NDLR : les sénateurs) n’a jamais siégé dans aucune collectivité territoriale, on risque de se retrouver avec des législateurs très loin des réalités pratiques des collectivités territoriales et qui risquent donc de faire des lois inadaptées. Il est vrai que si l’on n’a pas été soi-même dans un ou dans un conseil général ou municipal, on ne sait pas comment marche la machine de la collectivité territoriale de l’intérieur. Est-ce qu’on peut après prétendre faire appliquer les lois à des collectivités dont on ne connait pas le fonctionnement ? Donc c’était plutôt un argument assez valide, je pense, même s’il était discutable.

Vous savez bien que ce qui a été interdit c’est le cumul avec un mandat exécutif, donc on peut toujours être élu dans une collectivité territoriale, mais pas dans l’exécutif. Le problème, c’est que si on n’est pas dans l’exécutif, on ne voit pas le fonctionnement de la machine : c’est l’exécutif qui fait fonctionner la machine des collectivités territoriales. Dans une mairie, l’opposition a un pouvoir tellement faible qu’être élu de l’opposition ne permet pas de voir grand-chose.

Donc il y a eu plusieurs arguments. Évidemment, ceux qui étaient pour la fin du cumul se sont servi abondamment de ces mesures de l’activité parlementaire pour aller dans leur sens. Ils s’en sont servi à tord ou à raison : ils ont trouvé que ces chiffres-là allaient dans le sens de leur argumentation. De l’autre côté, on a des sénateurs qui ne peuvent pas utiliser l’argument chiffré, puisque le chiffre n’est pas bon pour eux, et qui ont préféré un argument qui n’a rien à voir avec le chiffre : un argument institutionnel. Notre raison d’être, c’est que l’on représente les départements, on représente les régions, on représente les municipalités ou les intercommunalités et si l’on ne peut plus siéger dans les deux, nous ne sommes plus représentant de ces entités administratives.

A propos des entités qui établissent ces classements : d’une part on a des associations comme Regards Citoyens dont le but affiché est de favoriser l’émergence « d’expertises citoyennes ». D’autre part on a des journaux, comme l’Expansion ou Marianne, qui proposent des classements, et qui semblent vouloir informer les électeurs – dans le cas de 2011, juste avant les élections législatives – en concevant leur propre indicateur. Dans les deux cas, est-ce que selon vous il y a des motivations politiques plus profondes à l’établissement de ces classements ?

Officiellement, il n’y a pas de motivation politique aux journalistes : ils sont censés être neutres. Après, je ne sais pas, peut-être qu’il y en a. La logique voudrait qu’on parte à priori du fait qu’il n’y en a pas et qu’ils veulent juste faire de l’information. Je ne connais pas ce qu’on fait Marianne et l’Expansion, lorsqu’ils reconstruisent un classement. Vous avez été voir comment ils ont fait ?

Oui, et la plupart justifient très peu leur méthode de construction de ces indicateurs. Certains chercheurs reprochent aux journalistes de ne pas assez expliciter leur conception de la représentation politique qui guide le choix des critères qu’ils font après : il y a un reproche méthodologique. Il est très important de présenter le jugement préalable qui définit une conception de la représentation politique, puis comment d’après cette conception on choisit de pondérer telle ou telle donnée quantitative pour fabriquer un indicateur.

Je pense que ces histoires de quantitatif ne servent à rien. De toute façon, il y a des sénateurs qui ne font rien. Mais qu’on les évalue ou pas, ils ne feront pas plus. Je ne comprends pas bien où ceux qui souhaitent évaluer les parlementaires veulent en venir. Vous verrez que le jour où il n’y aura plus de cumul, ce qui va être le cas en 2017, on aura quand même un Sénat où 30 % des gens font le travail pour 70% des autres. Ca ne changera pas le mode de fonctionnement du Sénat. On ne va pas avoir 100% des Sénateurs à fond sur 100% des textes.

Ensuite, moi je ne suis pas chercheur en sciences sociales, je n’ai pas fait le boulot : je vous donne une vision d’acteur, comme ils disent. Je ne connais pas bien votre sujet. Ce que je voulais vous dire, c’est qu’il est très dur de dire par du quantitatif si le travail parlementaire est bien fait ou non. J’ai juste vu comment ces données ont été utilisées – je ne parle pas des associations, ce sont des gens intègres – par des journaux ou des hommes politiques désirant telle ou telle chose au sujet du non-cumul des mandats. Le problème est toujours : est-ce pertinent ? Je ne sais pas. Je n’en suis pas certain. Mon sénateur est quelqu’un d’extrêmement actif et il cumule : il est aussi conseiller général. Et je vous ai dis que je connais des gens non cumulards qui ne font rien. Moi, humainement, j’ai vu des choses qui ne correspondaient pas aux statistiques, après je veux bien croire que quand on fait une étude globale, on peut trouver une corrélation. Mais dans les cas particuliers, il n’y a pas vraiment de règle pure.

On a vu au cours de notre travail que la question du cumul des fonctions, par exemple avec la présidence d’office HLM, était soulevée. Est-ce qu’elle ne vous semble pas négligée par le débat politique ?

Alors oui, mais à mon avis c’est à cause des médias, parce que les médias, ça ne les intéresse pas. Comme ce sont des choses assez confidentielles, ils ne s’occupent pas de savoir qu’un sénateur est en plus président du syndicat mixte ou d’office HLM. Il y a plein d’autres choses : syndicat mixte d’électricité, de déchets. Il y a des présidents, des vice-présidents et des élus qui siègent à l’intérieur. Pourtant, la seule chose qui frappe les médias, ce sont les cumuls de mandats politiques. Effectivement, il y a tout un autre cumul en France qui est hors de l’élection. Cela permet surtout, en tant que maire, de cumuler le pouvoir, puisqu’ils ont un œil : quand on est maire, et qu’on est en plus président dans un syndicat mixte, ça permet déjà de vérifier ce que fait le syndicat mixte. Le syndicat mixte, c’est rarement sur l’échelle d’une commune. Il y a des syndicats mixtes intercommunaux, que ce soit pour l’électricité, les déchets ou pour l’eau. Le maire n’a rien à faire dedans, ce n’est pas lui qui fait l’administratif, les rapports écrits … Son travail sera un travail de contrôle politique. Ce sont des cumuls qui se font énormément mais on ne les connait pas bien, pour des raisons purement médiatiques.

Par contre, on a beaucoup parlé du non-cumul des députés et des sénateurs, c’est-à-dire des élus nationaux. Mais n’a on pas posé de loi contre le cumul horizontal. On interdit le cumul vertical, c’est-à-dire d’avoir un mandat national avec un mandat local, mais par contre, au niveau local, il n’y a pas d’interdiction, et on peu multiplier à volonté. On peut se poser la question. Si on interdit le cumul en prétextant que le travail est mal fait au niveau national, la logique voudrait que l’on fasse exactement le même reproche au cumul au niveau local. On peut être maire, président de la communauté de communes, peut-être bientôt président de la métropole, président des syndicats, conseiller général ou président du conseil général.

Je vous dis ce que je pense de cette loi – c’est un avis personnel : elle n’a été faite que sous la pression de l’opinion publique, ou en tout cas – parce que vous savez que l’opinion publique n’existe pas – de l’imaginaire que les médias ont fait croire aux politiques comme étant l’opinion publique. Depuis longtemps cela revient : « les sénateurs, les députés, ils cumulent ». En fait, le non-dit derrière – c’est mon avis, ce n’est pas la vérité – c’est l’argent : de dire qu’ils cumulent et qu’ils touchent trop d’argent. Il y a des sénateurs, du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), qui ont posé une PPL avant le vote de la loi du non-cumul : ils ont proposé d’interdire le cumul des indemnités. C’était une façon de dire « on est intègre : on cumule les fonctions, mais ce n’est pas pour l’argent ».  Stratégie qui n’était pas inintéressante. Ensuite, ils ont fait un autre contre-feu, en posant une autre PPL pour interdire aux collaborateurs des élus et aux cabinets de mairies de devenir eux-mêmes élus dans la communauté où ils ont travaillé. Vous savez qu’il y a beaucoup de directeurs de cabinet qui deviennent maires de la ville. Ce sont des contre-feux pour se protéger eux et donc protéger leur cumul. Ils ont préféré lâcher le cumul d’indemnité et même lâcher leurs propres assistants et directeurs de cabinet. Cela a évidemment échoué. On verra bien ce qui va se passer : dans 5 ou 10 ans, on verra bien si ce non-cumul a transformé ou non le travail parlementaire. On ne le saura pas tout de suite, de toute façon. En tout cas, sachez que les plus actifs au Sénat sont les cumulards, au niveau des fonctions locales. C’est aussi parce que les cumulards sont les chefs de groupe.

Il y a une conception libérale du cumul qui dit que ce sont les plus grands talents qui ont tendance à cumuler.

Non, je ne suis pas d’accord ! Si on cumule, ça ne veut pas dire qu’on est bon intellectuellement. Si on cumule, c’est qu’on est bon politiquement, ce qui n’est pas pareil : ça veut dire que l’on est un homme qui pèse politiquement : soit on gère le parti, soit on est devenu un ponte, donc on va pouvoir cumuler. Vous savez que les partis, en interne, ont des règles : si vous voulez être la tête de liste, il faut gérer le parti en interne. Donc les cumulards ne sont pas obligatoirement des gens intellectuellement bons, par contre ce sont des gens qui pèsent dans leur partis, puisqu’ils on les moyens de dire : « c’est moi la tête de liste pour la mairie, et ce sera moi aussi la tête de liste au conseil général, et c’est moi la tête de liste au Sénat ». Quand on fait de la politique, on se bat bien sûr contre les partis extérieurs, mais avant, on se bat en interne.

A mon avis, on s’est fait avoir par un agenda médiatique : on a mis de côté le cumul horizontal, et des fonctions non électives, car on a fait une loi pour les médias et pour l’opinion publique, qui n’existe pas. L’important n’est pas la réalité de l’opinion publique, l’important est la subjectivité de l’acteur politique : si lui pense que l’opinion publique pense ça et que les Français veulent ça, alors il agira comme ça. Mais on ne sait pas ce que veulent les Français …

Vous pensez qu’il n’y a aucun moyen de le savoir ? Par des sondages ?

Non, je ne le pense pas. C’est de la fausse science, ça ! Parce que les sondages ont des problèmes d’argent, donc ils ont des échantillons extrêmement faibles. Et puis il y a des biais énormes dans la façon dont les questions sont posées. Je vous donne un exemple précis : le sondeur dit aux gens « Il y a un déficit des caisses de retraites, quelle est la meilleure solution pour le résorber ». Il donne ensuite 3 possibilités : soit on augmente les cotisations, soit on allonge le temps de travail, soit on fait les deux. Le sondeur va proposer les trois solutions qui sont les trois solutions du sens commun libéral, et à la fin on dira « 65% des Français sont d’accord pour augmenter l’âge de départ à la retraite ».  Mais on n’a pas mis la 4ème réponse : on aurait pu mettre « augmenter les cotisations patronales, taxer … ». On a mis 3 réponses libérales, qui vont dans le sens de l’ordre établi. Le sondage, dans sa conception même, est biaisé. Il est très rare que les sondages ne le soient pas.

Ensuite, les sondages sont commandés par des gens et que quand on est un institut de sondage, on a plutôt intérêt à aller dans le sens de la personne qui a commandé le sondage. Je ne crois pas aux sondages. Je ne dis pas qu’ils ne sont rien, mais je pense qu’ils ne sont pas la réalité, et encore moins de la science. Et pourtant les sondages guident les médias, qui imposent leur agenda aux politiques.

Digression de quelques minutes sur le fantasme de l’opinion publique, et de l’explication, par des commentateurs des votes de millions de personnes, qui n’ont pas de sens collectif parce qu’ils sont des actes individuels.

A mon avis, le non cumul ne mènera à rien. Je ne suis pas contre, c’est juste que d’en faire une solution aux problèmes de la démocratie en France et croire que c’est la solution miracle, c’est juste illusoire.

L’argument du Sénat qui m’est revenu, et qui n’est pas idiot, est de dire : si jamais vous interdisez le cumul, vous aurez une République de partis. Les sénateurs vont dire qu’ils sont les représentants des collectivités locales, ce qui veut dire que l’on peut devenir sénateur en ayant un fief local. Par exemple, prenons un maire d’une ville de 5000 habitants, comme il y en a plein en France. Il va passer conseiller général, parce qu’il connaît des gens sur place, mais pas parce qu’il est dans un parti. Et ensuite, il arrive à devenir sénateur. On peut citer l’exemple de Nicolas Dupond Aignan. Il se fait élire député, sans « gros » parti, sans grosse machine nationale. Avec le non cumul des mandats, on va se retrouver dans l’impossibilité de devenir sénateur en s’étant fait un fief local, parce que ce sera interdit. Ils devront choisir entre leur fief local et le Sénat. Donc on n’aura plus de personnalités qui se seront construites seules et en dehors du parti. Donc, il y a des chances que dans la désignation des membres du Sénat, on ait un retour en force des partis, puisqu’aucun des candidats ne pourra être élu sans avoir l’étiquette d’un parti. Si la personne qui possède un fief local le lâche pour essayer de devenir sénateur, elle prend des risques car elle perd ses ressources politiques. Certains pensent qu’on va se retrouver avec une présence renforcée des grands partis au Sénat. Même si c’est déjà le cas aujourd’hui : les indépendants, il y en a très peu. Il n’y en aura carrément plus du tout.

Je pense qu’on se fait un film sur la richesse des élus. Les élus nationaux ne sont pas pauvres. Il faut aller voir combien sont payés les maires des villes de moins de mille habitants, qui sont un peu moins de la moitié des villes de France. Ils touchent des sommes vraiment ridicules, de l’ordre de 1000-1200 €par mois, pour un travail important. Là, on digresse, mais c’est pour vous dire que toute cette histoire d’argent en politique est surfaite. On se fait une image. Le pouvoir économique n’est pas aux élus. Vous avez remarqué que les fils des grandes fortunes de France, ça ne les intéresse pas d’être élus : pourquoi s’embêter à être élu, alors qu’on est déjà millionnaire et qu’on a déjà beaucoup de pouvoir ? Il ya sûrement des gens malhonnêtes, il y en a toujours eu, partout. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de corruption, mais vous remarquerez que la corruption ne vient pas des parlementaires. Les scandales de corruption en France viennent toujours de l’exécutif ! Pour des raisons claires d’ailleurs : comme c’est l’exécutif qui prend les décisions, il est bien plus facile d’y être corrompu. D’une façon générale, les lois sont trop vite écrites depuis quelques années. Ainsi, alors que les parlementaires devraient prendre leur temps et les rédiger clairement pour que leur application soit la plus facile possible, ils se précipitent, ce qui conduit à des textes mal rédigés, d’autant plus qu’ils sont de moins en moins rédigés par des juristes. Cette « inflation législative » est due à ce que chaque ministre veut justifier sa place en faisant passer sa loi. Ainsi, de nombreuses lois inutiles, ou alors sans conséquences, faute de moyens, passent. On peut citer la réforme de rythmes scolaires de Vincent Peillon, qui se fait sans budget permettant de mettre en place les activités extrascolaires. Il va en résulter des inégalités entre les collectivités riches et pauvres parce que l’argent aura une origine locale. Cette grande vitesse des lois à passer, qui se constate lors qu’on compare le nombre de lois votées aujourd’hui et il y a 30 ans, ne permet plus de réfléchir suffisamment au travail parlementaire.