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Travailler : une professionnalisation de la politique ?

 

Hyperprésidentialisation et cumul des mandats

 

« Passé le boulevard périphérique, la séparation des pouvoirs entre celui qui décide et celui qui contrôle (fondement de la démocratie) n’est plus qu’un hochet pour étudiant en première année de Sciences po. »

Christophe Bouchet 1

Au cours de l’étude de la controverse portant sur le cumul des mandats, nous avons pu remarquer combien le sentiment d’un paysage politique sclérosé est répandu. En revanche, bien que le constat soit présent chez la grande majorité des politiques, il y a deux façons diamétralement opposées de le traiter, de façon corrélée avec des positions antagonistes sur le cumul des mandats.

Ainsi, les partisans de l’abolition considèrent qu’interdire le cumul va permettre de renouveler, et donc d’assainir la sphère politique ; à ce titre, certains élus sont érigés en symboles de ce déficit de démocratie, tel Michel Delebarre, mis en avant par L’Express 2 en 2013 pour ses trois mandats et 23 fonctions. Cette approche du débat séduit évidemment les jeunes militants qui y voient souvent une opportunité unique de se faire une place sur le devant de la scène politique, sans non plus faire preuve de naïveté en pensant que le maire cumulant sortant abandonnera son influence en même temps que son mandat local. Antoine Carette, président des Jeunes Démocrates, lui-même jeune étudiant en faveur de la loi abolissant le cumul, conçoit que « l’ombre du maire », s’il était un personnage influent, persiste parfois bien au-delà de la durée légale de son mandat.

 

Requête "pouvoir président" depuis la création de l'outil Google Trends

La question du pouvoir présidentiel a toujours fait partie de l’actualité, avec un regain d’intérêt pour les élections de 2007 et 2012.

 

Les défenseurs du cumul des mandats, eux, pointent du doigt une toute autre cause au manque de dynamisme et d’émulation dans le paysage politique français : l’hyper-présidentialisation du régime. Il est en effet indiscutable que lors de la fondation de la Cinquième République, le Général De Gaulle avait dans l’idée de conférer une puissance décisionnelle très conséquente à la fonction présidentielle, mais ce n’est que récemment que ce champs des possibles constitutionnel est devenu fortement exploité par les gouvernements en place. D’autant plus que, depuis le changement constitutionnel de 2001 qui a instauré le quinquennat, la cohabitation est quasiment impossible, ce qui augmente encore le pouvoir du Président de la République. De tels mœurs engendrent inévitablement des levées de boucliers, motivés par la peur d’une confusion entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Certains vont même jusqu’à questionner le caractère fondamentalement démocratique du fonctionnement politique de la France aujourd’hui !

Une conséquence potentiellement néfaste de cette hyper-présidentialisation serait de favoriser la « politique des partis« , comme la critiquait le Général De Gaulle, qui restreint les possibilités pour les simples citoyens d’initier un débat politique, et astreint l’ensemble des acteurs politiques à un mode de penser policé et conformiste, selon la logique des votes de groupe. Cette notion de conformisme se trouve d’ailleurs au premier plan dans le débat concernant le cumul des mandats : la loi d’abolition du cumul, mise en place par le Parti Socialiste au pouvoir, est perçue par certains comme une la simple application du programme présidentiel de François Hollande, sans avoir fait l’objet d’une véritable discussion

C’est précisément là que le rôle des cumulants intervient, d’après les défenseurs du cumul : ils se doivent de constituer des pôles secondaires de pouvoir politique et de faire contrepoids face à la puissance présidentielle, et ceci en dépit de la présence de partis politiques cherchant à mettre en place des votes de groupe. Le cumul permettrait de diminuer cette dépendance aux partis, grâce à une légitimité locale renforcée, et ainsi d’exercer pleinement la capacité décisionnelle au Parlement. Il aurait pour vocation de lutter contre la « vitrification de l’accès au pouvoir », selon la formule de Christophe Bouchet.

Toutefois, les opposants au cumul des mandats mettent en garde contre  l’écueil qui consisterait à déclarer que le pouvoir politique au sens de l’influence ne provient que de l’assise locale, l’élevant au rang de pré-requis du cursus honorum politique classique tel qu’on le retrouve bien souvent dans les profils des élus.

« J’ai l’absolue conviction que le Parlement ne manque pas de pouvoirs mais de parlementaires pour les exercer [...]. Seulement, trop peu d’élus se saisissent de ces moyens pour en faire l’usage qu’il conviendrait. La véritable question n’est pas l’empilement ou l’accroissement des compétences et des prérogative, mais bien la capacité de les exercer. »

Guy Carcassonne

Suite : Comment rendre compte du travail parlementaire ?

 

  1. Bouchet Christophe, « Vive le cumul des mandats ! », Paris, édition Denoël, 1999
  2. Feltin-Palas, Michel, « Michel Delebarre, champion du cumul des mandats », 10 septembre 2013, en ligne