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Comment rendre compte de l’activité parlementaire ?

 

Les acteurs de la mesure de l’activité parlementaire

 

Nous avons vu quelles sont les conditions qui ont fait émerger la volonté de rendre compte de l’activité parlementaire en la mesurant. Nous allons désormais nous intéresser de façon plus précise aux différents acteurs qui interviennent dans cette entreprise de mesure afin d’identifier leurs intentions respectives.

Le premier acteur dans cette démarche de restitution de l’activité parlementaire est l’ensemble des institutions qui publient un certain nombre de documents rendant compte de l’activité du Parlement. Ainsi les sites Internet de l’Assemblée Nationale, du Sénat et du Journal Officiel présentent, entre autres, des informations sur les débats en cours au Parlement, sur le travail des commissions, ainsi que des comptes rendus des débats passés. Sont aussi disponibles les contenus des lois, des projets de lois, les rapports et les dossiers rédigés par les parlementaires, ou encore les questions posées à l’écrit ou à l’oral. En termes de statistiques, ces sites se contentent de présenter l’activité globale du Parlement. Ainsi, on peut y trouver le nombre de réunions de chaque commission, le nombre de projets de lois adoptées, la répartition des heures de séance entre les différentes activités du Parlement et bien d’autres chiffres encore. Aucune statistique individuelle n’est proposée. L’esprit n’est pas de juger les parlementaires, mais bien de présenter aux électeurs de travail accompli par le Parlement dans son ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’un assistant parlementaire nous confirmera, au sujet du Sénat :

« le Sénat lui-même n’émet pas de classement, ni d’avis, […] le Sénat donne les données brutes»

 

Le site Internet de l'Assemblée nationale propose de nombreuses données, dont les comptes rendus des débats parlementaires.

Le site Internet de l’Assemblée nationale propose de nombreuses données, dont les comptes rendus des débats parlementaires.

 

Dans la démarche de restitution de l’activité parlementaire, l’acteur suivant est celui qui construit des statistiques représentant le travail individuel des députés. Nous citerons nosdeputes.fr, et son homologue nossenateurs.fr, sites émanant de l’association Regards Citoyens. Créée en 2009, elle réunie une petite vingtaine de personnes, essentiellement des ingénieurs et des informaticiens. L’objectif du collectif est, selon eux, de « proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions démocratiques à partir des informations publiques ».

 

Le site nosdeputes.fr propose un accès synthétique à tous les éléments relatifs à chaque dossier traité par le Parlement.

Le site nosdeputes.fr propose un accès synthétique à tous les éléments relatifs à chaque dossier traité par le Parlement.

 

Pour cela, le site constitue une dizaine de statistiques, à partir des données fournies par les sites de l’Assemblée Nationale, du Sénat et du Journal Officiel :
- nombre de semaines où le député a été relevé présent en commission ou a pris la parole en hémicycle ;
- nombre de réunions de commissions où le député est relevé présent ;
- nombre d’interventions orales en commission ;
- nombre d’interventions longues et courtes (limite : 20 mots) en hémicycle ;
- nombre d’amendements signés ou cosignés en séance plénière ;
- nombre d’amendements signés par le député en séance plénière qui ont été adoptés en séance ;
- nombre de rapports ou avis dont le député est l’auteur ;
- nombre de propositions de lois ou de résolutions dont le député est l’auteur ;
- nombre de questions écrites soumises par le député ;
- nombre de questions orales posées par le député.

Ce premier travail sur les données brutes fournies par les institutions républicaines prend donc la forme d’une traduction de données écrites en données chiffrées, avec le minimum d’interprétation possible. L’association se veut être un « observatoire de l’activité parlementaire ». Le site ne fournit d’ailleurs aucun classement de députés d’après ces statistiques. Il signale néanmoins, pour chaque critère chiffré et pour chaque député, si le député fait parti des 150 premiers ou des 150 derniers députés.

 

nosdeputes.fr propose aussi de nombreuses statistiques individuelles déduites des données fournies par les sites institutionnels.

nosdeputes.fr propose aussi de nombreuses statistiques individuelles des députés.

 

Les journaux affirment quant à eux participer à l’élaboration de ces classements au titre de l’information des électeurs. Ainsi, le titre de l’article de L’Expansion contenant le classement des députés est : « Votre député mérite-t-il ce qu’il gagne ? Les 577 élus touchent la même indemnité. Pourtant, dans l’hémicycle et en  commissions, tous ne mettent pas le même cœur à l’ouvrage législatif. Palmarès». Marianne explique qu’avec son classement, « c’est bel et bien le travail effectif des élus qui a été évalué », situant son travail dans le cadre d’ « une période de fracture entre les électeurs et leurs représentants politiques, entre le peuple et les élites ». On voit comment la professionnalisation de la politique est utilisée pour justifier cette entreprise de restitution, auprès des représentés, de l’activité des représentants.

Ainsi, que ce soit les institutions, l’association Regards Citoyens ou bien les journalistes concevant des classements de parlementaires, neutralité et transparence politiques sont systématiquement revendiquées. Ces acteurs de la mesure de l’activité parlementaire affirment que la quantification de l’activité parlementaire a accru l’assiduité des députés et des sénateurs. Ils estiment donc qu’il faut poursuivre cette démarche de retranscription de l’activité parlementaire. Regards Citoyens incite d’ailleurs les institutions à publier plus de données transcrivant le travail des parlementaires.

Certains politiques ne sont pas du tout de cet avis. Au sujet de la mesure de l’activité des parlementaires, un fonctionnaire de l’Assemblée a employé l’expression de « violence arithmétique de la quantification ». Elle désigne les conséquences négatives sur le travail parlementaire que produit cette mesure qui vise, in fine, à déterminer la performance relative des députés. Les politiciens craignent notamment qu’une telle démarche n’accroisse l’antiparlementarisme et la méfiance des électeurs à l’égard de la sphère politique. Aussi, certains doutent de l’efficacité sur le travail des parlementaires d’une telle transparence. Ainsi, l’assistant parlementaire que nous avons rencontré pense que de telles mesures ne « changeront rien » au fait que, dans les Assemblées, « 20 à 30 % des membres sont très actifs dans l’Assemblée et les 70 autres [suivent] le travail des [premiers] ».

 

L'hémicycle du Sénat est rarement très rempli.

« Bien sûr qu’il y a de l’absentéisme à l’Assemblée Nationale ! Heureusement d’ailleurs ! » (Pierre Avril)

 

Les politologues et chercheurs en sciences politiques constituent la dernière catégorie d’acteurs intervenant dans le débat sur la mesure de l’activité parlementaire. On peut les classer en deux catégories. La première catégorie regroupe les spécialistes de la politique, qui, comme Olivier Costa, que nous avons interviewé, réfléchissent à la méthode à adopter pour concevoir une mesure de l’activité parlementaire (cf. Comment évaluer le Parlement européen et ses membres) 1. La seconde comprend ceux qui ont effectivement eu recours à des formes de mesure de l’activité parlementaire pour servir leur argumentation. Par exemple, Laurent Bach, dans son ouvrage Faut-il abolir le cumul des mandats ? 2, montre que le cumul des mandats conduit à une moindre activité de la part des parlementaires. Julien Navarro, qui a participé à l’écriture de Mesurer l’efficacité des députés au sein du Parlement français, 3 s’intéresse à l’efficacité des députés plutôt qu’à leur activité brute. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de classer les députés, mais de définir une mesure de l’activité parlementaire, et de voir avec quels facteurs – parmi lesquels : le groupe d’appartenance du député, sa catégorie socioprofessionnelle, son sexe, son âge, le fait qu’il cumule ou non des mandats – cette activité est corrélée.

Suite : Rendre compte de l’activité parlementaire : le problème normatif

 

  1. Costa Oliver, « Que fait l’Europe ? », Chapitre 6 : Comment évaluer le parlement européen et ses membres ? 2009, Presses de Science Po pp 103-119
  2. BACH Laurent, « Faut-il abolir le cumul des mandats ? », Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2012
  3. Navarro Julien, “Mesurer l’efficacité des députés au sein du parlement français. L’apport des techniques de frontières non paramétriques”, Revue française de science politique, Presses de Science Po. 2012, vol 62, pp 611-636.