Précision des termes de la controverse

 

Dans un premier temps, nous avons voulu maîtriser le vocabulaire employé dans le débat afin de préciser nos recherches et d’obtenir des résultats pertinents aux questions que nous nous posions sur le cumul des mandats. Après avoir lu des textes sur ce thème et repéré les mots-clés du débat, nous avons testé ces expressions dans les moteurs de recherches Google Trends et NGramViewer. Enfin, Cortext Manager nous  a fourni une cartographie des grands thèmes de la controverse par mots-clés.

Google Trends permet d’étudier l’utilisation, par les internautes, de certains mots clés dans leur recherches sur le moteur Google. Google Trends propose de tracer une courbe représentant, en fonction du temps, le nombre d’occurrences d’une recherche divisé par le nombre total de recherches. Le tout est « coefficienté » de façon à obtenir un résultat variant entre 0 et 100. Cela nous a permis de trouver les termes les plus utilisés par le grand public et, indirectement, par les médias généralistes. En outre, nous avons ainsi pu identifier les moments clés de la controverse, qui se caractérisent par de fortes variations sur les courbes.  Nous présentons ci-dessous un exemple de résultat obtenu :

 

Nous constatons qu’avant mai 2006, il est peu question de cumul des mandats sur Internet. En revanche, nous pouvons voir des pics indiquant un nombre de recherches très important fin 2012 et en 2013. Ils correspondent aux périodes où le débat est réapparu sur la scène politique. Nous avons fait l’hypothèse, à partir de ceci, que le sujet était peu médiatisé avant 2006 et que, par conséquent, le grand public s’y intéressait peu (sur le graphe, la valeur zéro signifie en effet qu’il y a eu trop peu de recherches pour dégager des tendances) et ne prenait pas part au débat.

Nous avons également pu constater que certains termes étaient devenus populaires à l’occasion du projet de loi sur l’interdiction du cumul des mandats. Il en est ainsi pour le terme « cumulard », pour lequel on voit apparaître un nombre croissant de recherches à partir de juillet 2013  – moment où l’Assemblée a adopté le texte pour la première fois – et atteindre un pic en septembre 2013, date à laquelle le Sénat a refusé d’adopter le texte de loi.

 

On voit donc que c’est surtout le refus du texte de loi par les sénateurs qui a intéressé la plus grande partie des internautes. Nous avons retrouvé ce résultat intéressant lors de nos recherches sur les bases de données : Europresse pour la presse généraliste, Cairn pour la presse scientifique, ainsi que sur la cartographie représentant les liens entre les acteurs, que nous vous présentons également dans ce site.

Des termes comme « cumulard » n’ont été utilisés que récemment. En effet, nous nous sommes rendus compte lorsque nous avons lu des textes antérieurs à 2007 (campagne présidentielle lors de laquelle il avait également été question de cumul des mandats) que le terme « cumulants » était celui que l’on rencontrait le plus souvent. Il était employé par les universitaires (Pierre Avril par exemple) et par certains hommes politiques ou journalistes. Plus récemment, nous avons vu beaucoup de journaux inclure dans les gros titres le terme « cumulards », on a pu notamment lire : « Le palmarès des cumulards » (L’Express), «Allez-vous élire un futur cumulard » (Le Monde, 28 février 2014), « Mandats : les plus gros cumulards sont … » (La Tribune, 21 janvier 2014) … Parallèlement, une page Wikipédia a été créée sur ce terme.

Enfin nous avons pu remarquer que certains termes de recherche n’avaient pas un grand succès auprès des internautes. On peut citer à titre d’exemple « notabilisation» ou «professionnalisation politique » :

Les recherches sur « notabilisation » ou « professionnalisation politique » ne donnent rien

Dans la mesure où nous souhaitions également faire des recherches dans les bases de données scientifiques, nous avons testé la pertinence de nos mots-clés sur NGramViewer. Cet outil permet de tracer la courbe donnant, en fonction du temps, le nombre de fois qu’un terme a été publié dans la littérature scientifique, divisé par le nombre total de termes publiés. En supprimant tout lisseur de courbe nous avons obtenu des résultats comme celui présenté ci-dessous :

Les pics sont parfois difficiles à interpréter, on peut toutefois noter que les variations les plus brutales correspondent à la montée de la gauche au pouvoir en 1997 ainsi qu’à l’adoption de la seconde loi sur le cumul en 2000. On peut également mentionner les résultats suivants :

 

 

On voit, en comparant les courbes d’occurrence des mots « cumulard » et « cumulants » (nous avons choisi de mettre le terme au pluriel pour éviter toute confusion avec le participe présent) que l’on a une utilisation accrûe de ces deux termes ces dernières années.  On remarque également que ce terme est utilisé trois fois plus, en moyenne, que le terme « cumulard ». Nous pouvons essayer d’expliquer ceci par la nature des données analysées par NGramViewer : ce sont des écrits scientifiques : les débats sont donc moins passionnés que  ceux que l’on trouve dans la presse. Ces résultats nous confirment bien que « cumulants » est le terme utilisé par les sociologues et politologues dans leurs écrits.

 

Nous pouvons enfin noter qu’on observe une nette augmentation de l’emploi des termes « démocratie représentative » et « notabilisation » au fil des années. Ce sont des thèmes qui ressurgissent à chaque fois que le débat sur le cumul des mandats est relancé. Leur utilisation croissante pourrait nous faire penser que  l’on s’intéresse de plus en plus à ce sujet. 

En testant nos mots-clés traduits en anglais dans des bases scientifiques anglophones (comme Web of Science ) nous n’avons obtenu que très peu de résultats. Nous avons tout d’abord remis en question la pertinence de nos mots clés et nous en avons cherché de nouveaux, les résultats furent tout aussi décevants. L’une de nos lectures nous a toutefois éclairés : un sociologue anglais a publié un livre intitulé « The cumul des mandats » et justifie le choix de ce titre en disant qu’il n’existe pas de terme réellement équivalent en anglais car c’est un phénomène peu répandu en Grande-Bretagne et dans les autres pays anglophones. Nous avons alors envisagé de nous restreindre aux écrits français dans la mesure où le cumul était partout décrit comme un phénomène typiquement français, en tout cas dans ces proportions. Cette idée a également été confirmée par les résultats de Google Trends en ce qui concerne la provenance des recherches des internautes (pour cumul mandats) :

 

Les analyses réalisées avec CorText nous ont permis de faire apparaître les grands noeuds de la controverse et de voir comment ceux-ci se chevauchaient. CorText analyse les termes présents dans un corpus d’articles de presse et produit des groupements de termes révélateurs de la façon dont ces derniers sont associés dans la presse généraliste. Le corpus a été choisi de la manière suivante : nous avons sélectionné les textes comprenant, dans leur introduction, les termes « cumul » et « mandats » afin de sélectionner les articles ayant pour sujet principal le cumul des mandats. En effet, nous avons constaté que de très nombreux articles mentionnaient le cumul à titre d’exemple, dans le cadre de la description d’un autre phénomène. Nous avions envisagé de réduire notre sélection aux articles comprenant « cumul » et « mandats » ou  « cumul des mandats » dans le titre mais nous nous sommes rendus compte que ce choix était trop restrictif.

Nous avons obtenu les deux cartes disponibles sur le lien ci-dessous. Nous avons tout d’abord cherché à identifier à quoi correspondait chaque groupement. Après avoir fait des recherches sur les personnalités mentionnées, sur les termes les plus employés nous avons obtenus les schémas simplifiés suivants. L’importance relative de chaque thème dans la presse est figurée par la taille des disques, la couleur a simplement été ajoutée pour différencier clairement les sphères. Le texte entre chaque sphère récapitule les termes que l’on a pu trouver à l’interface entre les sphères et qui motivent l’analyse suivante.

 

 

Cliquer ici pour ouvrir la carte originale produite par CorText

Les résultats fournis par CorText nous ont permis de disposer de nouveaux mots-clés, (que nous nous sommes contentés d’utiliser à ce stade de l’étude) et nous ont également montré comment les grands thèmes de la controverse étaient présentés par la presse. Nous remarquons aussi que cette analyse présente des termes techniques d’ordre législatif (commission des lois, avis du rapporteur …) et institutionnel (conseil général, conseil régional, société d’économie mixte …) mais ne fait pas ressortir d’autres thèmes de la crise de la représentation en politique (notabilisation, représentativité …) que l’on trouve dans la presse scientifique. Cela renforce l’hypothèse que nous avions émise sur l’existence de champs lexicaux différents entre presse scientifique et presse généraliste (liée à une approche différente du problème, cf. partie suivante intitulée  » Arènes spatiales et temporelles du débat »). Nous pouvons enfin observer que cette analyse présente des noms propres : Lionel Jospin, Alain Vidalies, Jacques Mézard, Christophe Borgel … Nous avons cherché à comprendre pourquoi ces noms apparaissaient et cela nous a permis de constater qu’il s’agissait des hommes politiques ayant  eu un rôle particulièrement important dans la controverse. Les personnalités politiques que nous avons citées précédemment ont respectivement exercé les fonctions de : président de la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, Ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, sénateur et député très impliqués. Nous avons utilisé ces noms pour choisir les sites de notre cartographie du web et les personnes à interviewer.

Plus tard, nous avons analysé les positions relatives des différentes sphères, quand nos connaissances sur le sujet et sur les acteurs se sont révélées plus approfondies. Cette analyse des relations entre les grands groupes d’acteurs est présentée par la suite, dans la partie intitulée « Liens entre les acteurs ».

Suite : Arènes spatiales et temporelles du débat