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Luc Rouban

 

Interview du 30/01/2014

 

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Luc Rouban a publié en Août 2012 une note sur la cumul des mandats (cf. « Sources ») qui a été très citée par les divers acteurs de la controverse  dans laquelle il remet en cause le bien-fondé des arguments qui sont habituellement avancés envers le cumul des mandats et où il affirme en particulier que l’élaboration d’une quantification du travail parlementaire selon un certain nombre de critères ne montre pas de corrélation entre le cumul des mandats et le sérieux du travail de nos députés.

 
Quel est le contexte politique actuel du cumul des mandats ? 

Le contexte est celui de la professionnalisation de la politique, en particulier au niveau local. Plusieurs intérêts sont en jeu : carriéristes, professionnalistes, pécuniaires (dans une moindre mesure). Un professionnel de la politique est quelqu’un qui passe a fait de la politique sa vie et son métier, mais ce n’est pas pour cela qu’il est nécessairement concentré sur les intérêts de son parti. Il y a de plus un vrai problème de recrutement, qui est de plus en plus encadré par les partis. C’est le vrai et le seul contexte du cumul des mandats.

 
Quelle sont les causes du cumul des mandats ?

C’est lié à l’évolution de la sociologie électorale, avec deux phénomènes qui ont conduit au cumul « naturellement » :

-la décentralisation fait qu’il est de plus en plus difficile d’être un élu local sans avoir de solides compétences en politique car les questions de gestion sont de plus en plus pointues. De moins en moins de questions peuvent se régler au niveau strictement local, et c’est pour cela qu’une expérience et un savoir-faire politique est nécessaire.

-un phénomène plus complexe d’évolution de la fonction politique, qui fait que les partis sont un peu « attrape-tout », brouillent les frontières politiques car on est moins dans l’idéologie et plus dans la gestion politique professionnelle. Cela alimente les extrêmes et le populisme, comme on le voit avec le FN qui stigmatise l’ « UMPS » car on a effectivement ce brouillage des frontières gauche-droite. La politique devient une préoccupation des élites, mais seules les élites reconnaissent et comprennent les élites et donc hors d’elles on a une incompréhension de cette professionnalisation. On en revient à la question : faut-il avoir des représentants efficaces ou des représentants représentatifs ?

 
Pourquoi le cumul des mandats prend-il une telle importance dans les mœurs politiques françaises ?

La fonction principale du cumul est d’avoir plus de poids dans le processus décisionnel, par exemple auprès des préfets. Le problème est la fragmentation des collectivités, dont le cumul est une « sécrétion naturelle ». En effet, les collectivités sont impuissantes et, contrairement à ce que l’on pense, il existe très peu de problèmes qui sont vraiment ancrés dans un territoire et qui peuvent s’y résoudre à ce niveau ! Les collectivités n’ont pas assez de moyens pour tout contrôler : il faudrait les regrouper mais personne ne veut faire de fusions car il y aurait trop d’emplois perdus, et ce serait également un risque politique trop grand, d’autant plus que l’on doit passer par un référendum.

 
Quelles conséquences va avoir la fin du cumul des mandats ?

La fin du cumul des mandats récemment votée par la loi présente de gros risques : les députés qui veulent cumuler seront sans doute conseillers généraux à la place d’être maires, mais on continuera à se tourner vers eux pour les décisions importantes car ils seront beaucoup plus influents et donc les maires seront des hommes et des femmes « de paille ». L’autre danger est que l’on crée des grandes métropoles dans lesquelles les maires vont complètement absorber les fonctions du conseil général si ce sont eux qui sont puissants et influents à la base. On assistera également probablement à une augmentation des parachutages (ce qui va peut-être provoquer une augmentation de l’abstention) et ça ne va pas augmenter la confiance dans les élus locaux.

 
L’argument de l’exception française est-il recevable contre le cumul des mandats ?

On fait sans cesse des analogies avec d’autres états qui n’ont rien à voir. Les régions françaises sont très peu puissantes par rapport aux régions allemandes ou aux provinces espagnoles par exemple. Il faut supprimer les départements et donner plus de pouvoirs aux régions, par exemple en termes de fiscalité. C’est un système hypocrite car parce que l’on prétend que le cumul est nuisible alors qu’il est le fruit d’un système que l’on refuge de changer.

De plus, les français ne sont pas autant demandeurs de « local » que ce que tout le monde tente de nous faire croire, ils préfèrent en grande majorité que les affaires majeures soient traitées au niveau national (éducation, environnement, emploi). La décentralisation surtout est vue comme un projet qui a coûté beaucoup d’argent.

 
Que pensez-vous de la recherche permanente de la transparence quant au travail des députés, et de l’image générale de ces derniers qui en est la conséquence ?

L’obsession du contrôle et de la transparence à laquelle on assiste aujourd’hui est malsaine, car le travail juridique n’est pas seulement celui du contrôle de la norme mais c’est surtout celui de la création de la norme, travail qui demande des vraies compétences juridiques, une vraie recherche qui n’est absolument pas prise en compte dans les jugements du travail des députés habituellement menés.

De plus, il y a trop de représentations des élus cyniques, qui calculent…alors que beaucoup sont extrêmement dévoués, « meurent au travail », et aussi on a un contexte partisan, amical (on se présente pour aider des amis, sur demande, pour rendre un service…) qui est très fort. Il faut sortir de la vision purement carriériste de l’individu.

 
Le débat se concentre autour de la question du cumul des mandats, mais qu’en est-il du cumul des fonctions ?

Il y a effectivement un problème du contrôle des ressources locales, de leur distribution,  et un risque de clientélisme pour des fonctions du type organismes d’HLM. Pour les professions libérales par exemple, c’est une question mais encore une fois il faut arrêter de patauger dans le simplisme , dans un cadre faussement théorique. Il faut observer sur le terrain et construire une sociologie.

 
Le Sénat doit-il être considéré à part dans cette question ?

Le Sénat est l’héritière de la Chambre Haute, c’est-à-dire constitue, avec les Corps, les deux principaux héritages de l’Ancien Régime (ou plus précisément de la Monarchie de Juillet) et soutient un pouvoir notabiliaire qui devrait tout simplement être éliminé. Il n’y a pas d’utilité d’une représentation, au niveau national, de collectivités qui sont territoriales.