L’entretien est daté du 28 janvier 2011. Nous avons effectué l’entretien dans un café situé dans le quartier d’Odéon, dans le sixième arrondissement parisien.
Entre 2007 et 2008, vous avez fait partie d’un groupe de réflexion dénommé « Cancer du sein et facteurs de risque (déodorants / antitranspirants) ». Pouvez-vous préciser comment et pourquoi s’est formé ce groupe ?
Marc Spielmann : Devant les craintes suscitées par des articles scientifiques concernant le lien causal entre l’application d’antitranspirants et de déodorants à base de sels d’aluminium et le développement de cancers du sein, l’industrie cosmétique Unilever a mandaté un groupe de cinq oncologues et pharmacologues français pour tenter de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Nous n’avons touché aucune rémunération, en dehors de l’exonération des frais de transports et des repas. Nous avions un peu plus d’un an pour rendre nos conclusions.
Comment qualifierez-vous cette étude ? Pouvez-vous détailler la démarche adoptée ?
Marc Spielmann : Notre étude a été bibliographique. Il s’est agit d’une méta-analyse. Nous avons analysé l’ensemble de la littérature scientifique traitant du lien entre le cancer du sein et l’aluminium des déodorants et antitranspirants.
Nous avons travaillé avec le moteur de recherche Pub Med. En réponse aux entrées « cancer du sein » et « sels d’aluminium », nous avons obtenu quelques 1300 articles. Parmi ceux-là, seuls 60 élaborer une discussion quant au lien probable. Enfin, 16 étaient en lien direct avec le thème de notre étude.
Bien entendu, nous avons classé les différents documents en fonction de la pertinence scientifique du propos. Nous nous sommes donc réparti les 16 articles que nous avons individuellement évalués. L’évaluation repose sur l’attribution d’un niveau de preuve. Il existe en existe 4. Le niveau 1, le plus élevé est attribué aux études scientifiques randomisées, c’est-à-dire réalisées sur une très grande population et pendant un temps important. Aucune étude ne rentrait dans cette catégorie. En pratique, une telle étude est quasi-impossible à mener dans le cas des déodorants et antitranspirants. En effet, trop de critères, comme le niveau de vie, influençant l’apparition du cancer du sein rentrent en jeu. En outre, peut-on demander à des femmes de ne pas utiliser ce type de cosmétiques pendant 10 voire 15 ans ou bien de ne se raser qu’une seule aisselle ? Le niveau 2 regroupe des études similaires à celles randomisées mais réalisées sur peu d’individus. En conséquence le risque d’erreur augmente légèrement. Les études de niveaux 3 sont rétrospectives et effectuées sur un grand nombre d’individus. Le risque d’erreur est important. Enfin, les études de niveaux 4 sont isolées et ne constituent aucunement une preuve scientifique.
Dans notre cas, un seul article était de niveau 3. Il s’agit de l’étude menée par le professeur Mirick. Toutes les autres études, de Mme Darbre notamment, sont de niveau 4.
Quelle est méthodologie de l’étude du professeur Mirick ? Quelle en est sa conclusion ?
Marc Spielmann : L’équipe de Mirick a comparé les habitudes dirons-nous cosmétiques de deux échantillons, l’un de femmes saines, l’autre de femmes atteintes d’un cancer du sein. Il se trouve que l’utilisation d’antitranspirants, même après rasage des aisselles, n’augmente pas le risque de contraction d’un cancer du sein. Seule une petite augmentation, non significative, du taux de cancer a été observée dans le cas d’application de déodorants.
L’un des arguments de Mme Darbre concerne l’évolution voisine des ventes de déodorants et antitranspirants et du nombre de cancers du sein dans les pays développés. Comment expliquez-vous ce fait ?
Marc Spielmann : Effectivement les courbes se superposent presque. Comparez les ventes de machines à laver et le nombre de cancers du sein au cours du temps et vous obtiendrez exactement le même résultat. En fait, les déodorants se sont développés dans les pays riches avec le boom industriel, tout comme les machines à laver.
En outre, les courbes mises en évidence par Mme Darbre, dans le cas de la France, s’éloignent l’une de l’autre à partir de l’année 2002 environ. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’à cette date a été mis en place le dépistage du cancer du sein. Vous noterez d’ailleurs la décroissance du nombre de cancers du sein pendant les années suivantes, notamment suite à l’arrêt des traitements à base d’œstrogènes lors de la ménopause, facteurs avérés de développement de cancers du sein.
Quelle est donc la position du groupe de réflexion au sein de la controverse ?
Marc Spielmann : Notre méta-analyse nous a amenés à conclure quant à l’absence de lien causal entre l’application de déodorants et antitranspirants à base de sels d’aluminium et le développement du cancer du sein. Aucun lien scientifique n’a été démontré.
Dans plusieurs de ses articles, Mme Darbre fait référence à une teneur plus élevée dans le quadrant supéro-externe, zone qui abrite le plus de cancers. Que répondez-vous à cet argument ?
Marc Spielmann : Effectivement, c’est dans cette région du sein que se développent la majorité des cancers. Il s’agit également de la zone la plus proche des aisselles et donc celle renfermant la plus grande concentration d’aluminium, vraisemblablement issu des sels l’aluminium des déodorants et antitranspirants. En revanche, le quadrant supéro-externe a toujours été la région du sein avec la plus grande proportion de cancers, et ce bien avant l’explosion des ventes de déodorants.
Qualifierez-vous de close cette controverse ?
Marc Spielmann : Du point de vue scientifique, elle est en sommeil. Depuis 2005, aucun article de teneur scientifique n’a été rédigé. Une étude randomisée serait nécessaire mais malheureusement impossible à mettre en œuvre.
Du point de vue de l’opinion publique, il en est autrement. Les sites Internet et les forums de discussion alimentent l’affolement général. Les médias surfent aussi sur cette vague : plus les phrases sont marquantes, « choc » comme on dit, plus cela est vendeur.