Présentation de la controverse
Paris peut-il couler? Titre sensationnel comme ceux qu’aiment à nous vendre les média. Mais que se cache-t-il derrière cette peur instinctive de l’inondation dévastatrice et meurtrière en cas de crue de la Seine? Phobie irrationnelle, produit de la surmédiatisation, ou conscience d’un risque réel, issue d’une démarche d’information et de sensibilisation? De quoi parle-t-on au juste? Le risque en question est-il quantifié, si tant est qu’il soit quantifiable? Sur quels éléments historiques, scientifiques et politiques se basent ces prévisions? Dès lors, des mesures effectives sont-elles prises pour prévenir ou protéger du risque d’inondation? Quels acteurs trouve-t-on à l’origine de cette prise de décision? Remportent-ils l’adhésion de tous en agissant ainsi? Autant de questions qu’évoque le simple titre de notre sujet d’étude. Le champ d’exploration est vaste et nous nous concentrons sur l’analyse d’une controverse socio-technique plus restreinte, portant sur le projet d’un cinquième ouvrage de protection contre le risque d’inondation en Île-de-France. Celle-ci permet d’évoquer l’ensemble des questions soulevées ci-dessus, et ce dans le contexte précis d’un projet porté par divers acteurs et en concernant de nombreux autres.
Il y a plus de cent ans, durant l’hiver 1910, Paris connut la plus grande crue de toute son histoire. Le 28 Janvier 1910, la Seine atteint son niveau maximal, 8, 62 mètres sur l’échelle hydrométrique du pont d’Austerlitz. Les parisiens ont les pieds dans l’eau, coupés du monde, s’apercevant bien vite des limites de l’électricité et des autres nouvelles technologies du début du siècle en cas d’inondation d’une telle ampleur. Finalement, la crue de 1910 dura plus d’un mois, et laissa dans les mémoires, le souvenir inoubliable de l’impuissance de l’homme vis-à-vis de la nature.
Une crue semblable à celle de 1910 est appelée crue centennale : chaque année, la probabilité de voir se reproduire un tel évènement est de 1/100. Les administrations parisiennes, à la fois inquiètes et rassurées de ne pas avoir eu à assister à un tel évènement depuis plus de 100 ans, ont bien conscience que le paysage urbain parisien s’est particulièrement développé à la fin du XXème siècle. Elles ont alors pris la décision de réagir.
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Dans une dynamique de préservation de la ville de Paris en cas de crue, l’Établissement Public Territorial de Bassin (EPTB) Seine Grands Lacs a lancé le projet d’aménagement de la zone de la Bassée, située en aval de Paris. Celui-ci est à l’étude depuis les années 90 et s’ajouterait aux quatre barrages-réservoirs déjà existants pour protéger la région parisienne contre le risque d’inondation. En réaménageant une zone inondable, l’objectif est de retarder la montée des eaux de l’Yonne afin d’éviter la simultanéité de sa crue avec celle de la Seine puisqu’il s’agit de son principal affluent. Cet aménagement prendrait la forme de casiers réservoirs vers lesquels les eaux excédentaires seraient drainées grâce à un système de pompage. Cependant, ce projet d’envergure pose de nombreuses questions techniques, économiques, environnementales et politiques. Si certains acteurs peuvent présenter des positions très tranchées sur ces problématiques, d’autres en revanche sont assez partagés quant à la réelle plus-value de cet ouvrage.
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Ainsi le lancement du projet en phases de concertations et d’études a pu permettre une grande diversification des avis à propos de ce projet. A titre d’exemple, le débat public sollicité par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) en 2011-2012 a permis de donner la parole à tous les acteurs dans le cadre de réunions publiques ainsi que d’établir une vue d’ensemble de leur positionnement par rapport au projet. Aujourd’hui, les nombreuses études et expertises menées après les phases de dialogue permettent de faire évoluer le projet dans sa dimension technique.
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Il ressort de la concertation de nombreuses zones d’ombre quant à certains aspects économiques, politiques et environnementaux du projet. L’ensemble du questionnement concernant l’aménagement de la Bassée semble reposer sur un état d’incertitude généralisé.
En effet, la première incertitude concerne les différentes études et expertises menées dans le cadre du projet. Tout d’abord, ce manque d’informations est dû au caractère imprévisible de la nature et à l’imprécision des mesures et des expériences. Ainsi, on a des résultats qui ne sont pas exacts et donc un degré d’incertitude inévitable aussi bien concernant les données de la crue qu’à propos de la viabilité des solutions techniques utilisées. De plus, la technologie utilisée sur le 5ème ouvrage est totalement innovante et n’a jamais été expérimentée auparavant, du moins elle n’était pas couplée à un système de pompage. Il en découle alors une incertitude sur l’efficacité d’un tel système technique. Cette lacune en termes de données scientifiques entraîne alors un certain scepticisme, notamment parmi les ingénieurs et les experts.
On distingue aussi une incertitude économique découlant de la nouveauté de la technologie utilisée. Comment savoir si le budget, déjà considérable, sera bien respecté ? Cette question du financement est centrale dans le projet d’aménagement de la Bassée et suscite de nombreuses réactions notamment parmi les politiques et les scientifiques.
Un autre doute subsiste sur le caractère écologique d’un tel ouvrage. En effet, sa construction est présentée comme un acte en faveur de l’environnement. Par la construction de casiers-réservoirs, l’Établissement Public Territorial de Bassin (EPTB) Seine Grands Lacs pense rétablir la zone humide de la Bassée, asséchée à la fin du XIXème siècle par les aménagements dédiés à la navigation sur le fleuve. Cependant, on ne sait si la mise en place d’un dispositif artificiel permettra vraiment de remplir cet objectif écologique puisque l’eau puisée n’est pas forcément de la même nature que celle qui se serait répandue en cas d’inondation naturelle. Ainsi, les associations de protection de l’environnement sont sceptiques. Cette justification environnementale est-elle réellement fondée ?
Enfin, comment ces incertitudes sont-elles présentées, y a-t-il une totale transparence ou n’hésite-t-on pas à dissimuler le manque d’informations sur certains points du projet ? Comment la communication essentiellement menée par les médias qui établissent le lien avec l’opinion publique rend-elle compte de ces incertitudes ?
On voit bien que la controverse autour de la construction du 5ème ouvrage est alimentée par un grand nombre d’incertitudes qui sont plus ou moins admises ou dissimulées et qui suscitent de nombreuses réactions parmi les principaux acteurs du débat. Une grande question émerge alors : comment peut-on faire émerger de la décision publique et de l’information dans un état d’incertitude généralisé ?