Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Michel Poulin Entretien

27 mars 2014 | Commentaires fermés

Rencontre avec Michel Poulin

  • La neutralité hydraulique est l’un des problèmes majeurs du projet d’aménagement de la Bassée.
  • Le dispositif de pompage permettant l’acheminement les eaux excédentaires en cas de crue n’est pas viable.
  • De ce point de vue, le choix d’effectuer un casier pilote est totalement justifié. Il permet de tester la viabilité d’une solution technique complexe et coûteuse.
  • Il y a un véritable risque de contamination des nappes phréatiques et plus particulièrement des réserves d’eau potables de l’Agence de l’Eau en Bassée.

La neutralité hydraulique est l’un des problèmes majeurs du projet d’aménagement de la Bassée.

« Sur ce point, il y a vraiment un gros problème et je ne pourrais pas vous aider au-delà de ce que vous pourrez lire dans les synthèses. Les gens que j’ai rencontrés avaient des avis variables sur la question et ce n’est pas un problème simple. Mais on peut tout de même en parler puisque c’est probablement le plus délicat dans ce projet. »

« nous avions parlé de la neutralité lors d’une rencontre avec des personnes d’une antenne de l’Agence Seine-Normandie. Les élèves et moi avions alors constaté qu’ils n’étaient pas convaincus de la neutralité. »

La question de la neutralité hydraulique est récurrente lors du débat public étudiant de manière concommitante les projets d’aménagement de la Bassée et de mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur –Seine : « Bien  que,  comme  le  précise  le  représentant  de  VNF lors  d’une  réunion  commune,  «  les  deux  projets  sont indépendants », on s’interroge à de nombreuses reprises sur la neutralité hydraulique de ces aménagements. Par exemple,  le  Conseil  scientifique  du  comité  de  bassin  Seine-Normandie  juge  que  «  la  question  de  la  cohérence entre les deux projets semble encore mal établie, notamment pour la gestion hydraulique » et que « la mise en perspective  économique  comme  environnementale  des  deux  projets  reste  à  faire  ». » (cf. Bilan Documentaire, extrait du bilan du débat public) C’est dans ce contexte que la CNDP commande une expertise portant sur cette notion.

Amélie ASTRUC affirme que les rapports d’expertise hydraulique commandités par la CNDP prouvent la neutralité hydraulique des deux ouvrages : « Voilà donc neutralité hydraulique c’est un concept que les gens ont beaucoup, beaucoup de mal à comprendre. Je pense que personne n’a compris et même une fois qu’il y a eu l’expertise hydraulique, personne n’a vraiment compris. » (cf. Entretien avec Amélie ASTRUC).

Ludovic OUDIN, lui, n’est pas aussi radical, assurant que la neutralité serait assurée dans le cas de la mise en place des mesures compensatoires d’une grande complexité technique : « c’est une conclusion de l’expertise mais pas de la partie hydrologique, cela fait partie de l’expertise  hydraulique et je pense que mes collègues hydraulicien ont bien fait leur travail. Effectivement, c’est une conclusion forte de l’expertise. Après, il y a des points qui avaient été soulevés lors de l’expertise qui questionnent la faisabilité des mesures compensatoire pour la mise à grand gabarit de la Seine pour qu’il y ait cette neutralité. »

Julien SCHWARTZ assure que ces mesures ont été évoquées dans le cadre débat public portant sur le projet de VNF. Il explique qu’il s’agira pour l’AGRENABA de veiller à ce que ces aménagements soient bien compris dans le projet et ne tombent pas sous le coup de mesures compensatoires a posteriori : « Ça je me souviens effectivement. Malgré qu’on soit au stade des pré-études seulement, par exemple ils ont indiqué qu’avec les travaux, le fonctionnement du nouveau canal sur cette partie-là, que même avec une baisse du niveau d’eau de quelques centimètres, et que la neutralité ils l’assuraient, effectivement, en faisant des aménagements. Alors est-ce que ces aménagements justement ce sera des compensations ou pas ? Logiquement pour nous, ça doit pas être des compensations. »

D’après Violaine MESLIER, la neutralité hydraulique est demeurée pour les auditeurs du débat public une notion très floue : « c’est vrai qu’on a une vision globale du coup des écoulements, sur le terrain, superficielles et des échanges qu’il peut y a voir au niveau des différentes annexes hydrauliques… On a une vision qui est pas… qui est floue en fait. On sait pas trop comment ça fonctionne… »

Julien SCHWARTZ confirme que VnF comme l’EPTB ont semblé manquer de transparence sur cette question au cours du débat public et que leur argumentation autour de la neutralité hydraulique ne l’a pas convaincue : « Bah pareil, c’était le mot magique pour faire plaisir à tout le monde. Ils nous ont un peu menés en bateau, j’ai un peu l’impression, parce que y avait à la fois neutralité hydraulique de chaque projet indépendant, de chaque projet pris indépendant l’un de l’autre. Et après ils nous sortaient aussi souvent « Oui mais le projet, ça a été prouvé au niveau hydrogéologique, il est neutre ». Et on savait jamais si ils parlaient de neutralité que pour le projet, ou de neutralité par rapport aux deux projets. C’est-à-dire que y a très bien un projet VnF, on reconnaissait qu’il pouvait avoir des impacts négatifs, mais ces impacts négatifs ils étaient compensés par les effets du deuxième projet qui étaient contrebalancés. »

« Et j’avais l’impression qu’à certains moments dans le débat public qu’ils jouaient un peu sur les deux tableaux. On savait jamais vraiment de quelle neutralité ils parlaient : si c’était vraiment la neutralité par rapport à l’autre projet dont ils parlaient ou si c’était la neutralité interne du projet. Et bon, bon ils sont malins, ils savent sortir les bons mots au bon moment. »

Quoi qu’il en soit les éléments avancés pendant le débat public ne sont pas suffisants : « Je pense que ce serait vraiment intéressant de vérifier cette neutralité hydraulique au moment des études d’impact, pour voir si elle est toujours assurée ou pas. »

Le dispositif de pompage permettant l’acheminement les eaux excédentaires en cas de crue n’est pas viable.

Si la zone de la Bassée très adaptée au projet de casier-réservoirs, la solution technique de pompage n’est pas satisfaisante sous sa forme actuelle et peut s’avérer d’une grande complexité dans la réalisation. Michel Poulin reconnait cependant que la solution gravitaire n’est pas viable économiquement.

« Au départ, il s’agit de réduire le risque d’inondation et le projet s’avère d’une complexité extrême. Plus on se met à l’amont, plus c’est facile d’implanter des réservoirs grâce au relief, mais on intercepte qu’un pourcentage limité du bassin versant. Si on est à l’aval, par exemple vers Montereau, on a des reliefs faibles, il faut faire des digues compliquées d’où le système de casiers. Pour la vallée de l’Yonne il y a eu tout un tas de raisons qui ont rendu la chose impossible, à mon avis. Mais si on est vers l’aval, on intercepte un pourcentage plus important du bassin versant mais on a de gros problèmes techniques. […] Je pense que le secteur de la Bassée était le seul endroit que l’on pouvait imaginer. »

« En pratique, pouvoir disposer d’un ensemble de pompes capables de véhiculer 200 mètres cubes par seconde, ce n’est pas trivial, surtout si ces pompes ne sont pas mises en route souvent. C’est un problème d’ingénierie qui n’est vraiment pas évident. Mais tout le monde sait que ce n’est pas simple. On avait posé la question aux gens de l’Agence de l’eau qui s’étaient occupés du dossier. Une autre solution serait de créer un canal qui apporterait, grâce à la gravité, les eaux dans ces casiers. Il faudrait prélever l’eau en amont, avec un bon débit, et l’apporter vers les casiers. On a étudié cette solution durant le MIG qui n’était pas viable financièrement. »

Pour Amélie ASTRUC, un acheminement gravitaire des eaux n’est simplement pas possible en Bassée (cf. Entretien Amélie ASTRUC) : « Mais pour nous, c’est pas possible de le faire gravitairement parce que comme la Seine a été recalibrée au début des années 80, la Seine ne déborde plus. Donc on est obligés de recourir à du pompage pour remplir ces casiers. […]on n’avait pas d’archives sur les éventuelles alternatives gravitaires qui ont été menées donc après le débat public on a fait faire des études hydrauliques par notre bureau d’étude Hydratech avec un recensement de toutes les alternatives gravitaires envisageables et on les a toutes étudiées à un stade très préliminaire. Mais c’était un stade suffisant pour démontrer qu’il n’y a aucune alternative gravitaire qui permette d’avoir l’efficacité de la Bassée, ou s’il y a des alternatives gravitaires qui étaient comparables, il y a des contraintes énormes sur le territoire. »

Christophe PARISOT ne partage pas ce point de vue et estime que l’EPTB ne veut simplement pas remettre en question sa technologie au profit d’une solution gravitaire ou autre. Il leur reproche de ne pas avoir suffisamment analysé les solutions alternatives ayant un impact inférieur sur l’environnement, un intérêt économique équivalent et un impact sur les crues presque identique : « On est resté suer un projet qui était déjà dans les cartons et qu’on nous vend comme tout prêt. C’est dommage parce que justement il y avait une réflexion à avoir sur quelque chose de plus novateur qui soit multi facette.» Pour lui, il aurait été possible de faire des restaurations écologiques. « Je pense qu’il y avait possibilité de trouver un compromis acceptable par le plus grand nombre qui permettait de faire quelque chose d’intéressant. […] Je pense que l’on pouvait faire quelque chose de plus intéressant pour moins cher. »

Le choix d’effectuer un casier-pilote est justifié, car il permet de tester la viabilité d’une solution technique complexe et coûteuse.

« Il y a un doute de certains gestionnaires et de certains politiques sur la faisabilité du projet. Faire un casier pilote fournit une expérience à échelle réduite. On peut tester la faisabilité technique mais il est évident qu’il n’y a pas le financement pour ce projet. »

D’après Violaine MESLIER, la proposition de réaliser un unique casier-pilote remet en cause l’opportunité du projet : « Donc, est-ce que c’est bien ? Bah, à voir parce que si ils en avaient prévu dix c’est que les dix avaient une raison d’exister et une efficacité. Si ils en font qu’un euh… Voilà, du coup pourquoi en faire un, si il va servir à rien ? Autant rien faire… »

Elle va même plus loin en dénonçant le coup du projet comme inadmissible aux vues de son efficacité moindre en termes de protection contre le risque d’inondation à Paris : « Ben, oui, faire des travaux qui vont coûter une fortune pour quels effets derrière, pour quelle efficacité ? On n’en sait rien et c’est des sommes astronomiques qui sont mises en jeu. »

Il y a un véritable risque de contamination des nappes phréatiques et plus particulièrement des réserves d’eau potables de l’Agence de l’Eau en Bassée.

 « Si on fait venir dans les casiers de l’eau de la rivière, on va modifier la qualité de l’eau des nappes phréatiques, ces dernières étant considérées depuis très longtemps comme des réserves stratégiques pour l’agglomération parisienne. »

 « C’est une réserve particulière. Ce n’est pas un grand réservoir. Quand on prélève dans une nappe alluviale ce n’est pas la même chose que lorsqu’on prélève dans un grand aquifère. Une nappe alluviale, c’est un aquifère qui a un temps de renouvellement assez rapide mais qui est très productif. Actuellement ces nappes phréatiques de la Bassée sont de bonne qualité. L’Agence de l’eau depuis les années 60 a repéré ces nappes phréatiques et a classé certains secteurs afin de pouvoir implanter des puits pour alimenter l’agglomération parisienne grâce à des tuyaux déjà présents. Il y a donc un conflit entre l’Agence de l’eau et l’EPTB. C’est un conflit « soft » car ce sont tout de même deux institutions publiques. »

 Pour Amélie ASTRUC, le problème de la contamination n’est pas inhérent à la construction de l’ouvrage mais est simplement naturel (cf. Entretien Amélie ASTRUC) : « Je ne sais pas, je me demande toujours pourquoi les gens ne se posent jamais la question d’une inondation naturelle. Dans le cadre d’une inondation qui se fait naturellement ou la Seine déborde dans son lit majeur c’est pareil. Enfin, peut-être que la dynamique n’est pas la même, effectivement par pompage on remplit plus vite que dans le cas d’une inondation naturelle et peut-être sur des hauteurs supérieures mais voilà, pas plus loin qu’à l’amont de Bray sur Seine, la Seine déborde naturellement.»

Cependant, Amélie ASTRUC, ne parle pas d’un éventuel conflit avec l’Agence de l’Eau qui devrait même participer au financement du projet : « L’Etat finance les actions, à concurrence de 40-50 % et on veut compléter le tour de table du financement avec l’Agence de l’Eau Seine Normandie et la région Ile de France.»