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La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Un fonctionnement technique incertain : les pompes

3 avril 2014 | Commentaires fermés

Un fonctionnement technique incertain : les pompes

 

Le système de casier réservoir n’est pas nouveau ; il est déjà en fonctionnement dans des dispositifs anti-crues au Royaume-Uni, aux Pays Bas, en Belgique ou encore en Allemagne. L’innovation technologique réside dans leur alimentation via un dispositif de pompage plutôt que par voie gravitaire, comme c’est le cas dans d’autres pays. Pourtant, étant donnée l’incertitude intrinsèque de la prévision d’épisodes de crue, comment concevoir un système de pompage techniquement fiable, rentable économiquement et suffisamment flexible pour s’adapter à l’aléa, le tout sans retour d’expérience possible? Ces questions font l’objet de nombreuses études et discussions entre acteurs. Ceux-ci peinent pourtant à trouver un terrain d’entente, notamment quand aux enjeux écologiques qui cristallisent les tensions. Nous verrons que la question des pompes permet même de mettre en évidence des désaccords quant au degré de concertation et de négociation auprès des différents acteurs.

Un fonctionnement incertain: les pompes. Cartographie des acteurs

 »Comment

Les pompes ne sont pas prévues pour fonctionner en continu mais uniquement en cas de crue. L’EPTB Seine Grands Lacs, en charge de l’exploitation, demande le lancement des pompes dès qu’un certain seuil de risque de crue est franchi. L’enjeu est alors double puisqu’il faut lancer les pompes suffisamment tôt pour bien retenir la crue de l’Yonne, sans pour autant surestimer le risque et consommer de l’énergie pour rien.

Ceci soulève la question de la rentabilité économique de l’ouvrage . En effet, si les différentes études menées par le bureau d’étude Hydratec (Hydratec/Terrasol. Etude des ressources disponibles de matériaux dans le cadre de l’opération « d’aménagement de la Bassée », 016FR079 – IIBRBS [en ligne]. 2011. 87 pages. Disponible sur http://www.debatpublic-crueseinebassee.org/DOCS/ETUDES/CONCEPTION/HYDRATEC_TERRASOL_2011/DISPONIBILITE_DES_MATERIAUX/DISPONIBILITE_MATERIAUX_HYDRATE.PDF (Consulté le 14/01/2014). – cf. Bilan Bibliographique) à la demande de l’EPTB, montrent que le projet est économiquement viable, ces conclusions reposent sur des hypothèses indispensables, étant donnée l’incertitude inhérente au danger d’inondation. Les ingénieurs de ce bureau d’étude font notamment l’hypothèse que les pompes ne fonctionnent pas hors épisode de crue.

« Je pense que la difficulté est d’avoir un modèle de prévision qui marche plutôt bien et qui marche avec une échéance relativement longue. Au niveau des délais temporels, c’est assez tendu. Il faut mettre les pompes en marche, cela prend 24h. Si on les allume pour rien, ce sont des euros qui sont perdus inutilement, mais si on ne les allume pas assez tôt, ça ne marche pas. D’un point de vue économique, cela me semble un point faible.» (cf. Entretien avec Ludovic OUDIN)

Dans les études réalisées à l’heure actuelle, on envisage parfois le scénario d’une crue d’ampleur inférieure aux prévisions mais pas encore celui d’une véritable fausse alerte. Celui-ci permettrait de mieux prévoir le coût d’exploitation du dispositif de pompes, qui risquerait d’atteindre des sommes faramineuses en l’absence de modèles de prévisions de crues précis et fiables.

« On n’arrivera pas à rendre le modèle fiable sur un délai de 4 jours. Il faut  des bonnes prévisions de précipitation et ce n’est pas facile. Si ça coûtait rien d’allumer les pompes inutilement pourquoi pas, même si les modèles de prévision ne sont pas parfaits. On pompe et si on a pompé pour rien, ce n’est pas grave. Mais là, je m’interroge.» (cf. Entretien avec Ludovic OUDIN)

 »Comment

Le retour d’expérience est un outil clef tant pour l’élaboration d’un projet d’aménagement viable, que pour remporter la confiance des différents acteurs impliqués.

Dans la situation actuelle, l’EPTB Seine Grands Lacs ne peut pas s’appuyer entièrement sur ce retour d’expérience et doit proposer une solution innovante répondant à des critères techniques bien particuliers. Pourquoi avoir privilégié alors un dispositif de pompages plutôt qu’un acheminement gravitaire des eaux excédentaires, comme cela se fait déjà dans de nombreux pays ?

Premièrement, l’EPTB Seine Grands Lacs n’a a sa disposition que de maigres ressources scientifiques, puisqu’on constate que les publications se cantonnent à des revues extrêmement spécialisées, trahissant un intérêt limité de la communauté scientifique pour la question. Les principaux acteurs du débat scientifique restent les français, directement concernés par le problème. De plus, les revues spécialisées explicitement sur le sujet représentent la très grande majorité des publications tandis qu’une fois éliminées, le sujet reste toujours assez confidentiel.

L’EPTB Seine Grands Lacs a donc dû faire preuve d’un esprit d’innovation pour développer des solutions techniques adaptées. En effet, comme le montre la quantification, les publications scientifiques, très peu nombreuses sur le sujet, n’ont commencé à augmenter qu’à partir du débat public en 2011.

DocSci5De plus, les pays publiant le plus à propos de la protection contre les inondations sont  les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Angleterre. Ce sont ces mêmes pays qui utilisent déjà le système d’alimentation gravitaire au service de leurs technologies de casiers-réservoirs. Il est alors difficile pour la France de se fonder sur les publications scientifiques étrangères puisqu’elles ne s’intéressent qu’à la méthode la plus utilisée dans ces pays: l’alimentation gravitaire.

DocSci4Enfin, seule une faible part des publications traitant de la protection contre les inondation concernent les techniques ingénierie (17%). Les aspects techniques sont donc peu abordés, expliquant le point de vue de certains acteurs comme celui de Christophe PARISOT qui dénonce « un ouvrage hydraulique à l’ancienne sauce ».

DocSci1Une étude comparative de différents scénarii est commanditée par le maître d’ouvrage au bureau d’étude Hydratec en septembre 2012 qui établit la supériorité de la technologie de pompage sur toutes les autres solutions envisagées, dans le contexte de la zone de la Bassée (cf. Hydratec. Etude complémentaire de faisabilité d’un mode d’alimentation alternatif de l’ouvrage de la Bassée V7. 016FR26239 – IIBRBS [en ligne]. Septembre 2012. 84 pages. Disponible sur http://seinegrandslacs.fr/docs/La%20Bass%C3%A9e/Etudes/1209_Bassee_etude_gravitaire.pdf (Consulté le 14/04/2014).).

De nombreux acteurs s’accordent à dire que le système de pompage représente un défi technique d’envergure. On soulève d’une part la question du débit pouvant être géré par le dispositif de pompage afin que celui-ci puisse faire face à des épisodes de crue conséquents.

« Est-ce que les pompes auront suffisamment de puissance pour mettre assez d’eau assez rapidement pour laisser passer une crue naturelle de l’autre côté, c’est une grosse incertitude. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

D’autre part l’inquiétude porte sur le régime de fonctionnement irrégulier du dispositif de pompes et susceptible d’endommager l’équipement.

«En pratique, pouvoir disposer d’un ensemble de pompes capables de véhiculer 200 mètres cubes par seconde, ce n’est pas trivial, surtout si ces pompes ne sont pas mises en route souvent.» (cf. Entretien  avec Michel POULIN)

Sur le plan technique, d’autres associations environnementalistes expriment des craintes. Nature Environnement 77, s’inquiète notamment d’éventuelles pannes du dispositifs. Dans ce contexte d’incertitude scientifique et en l’absence de garanties, le projet est ainsi affaibli aux yeux de nombreux acteurs.

« L’aménagement de la Bassée vise à réduire les risques et dégâts des inondations en Île-de-France ; sans nous opposer totalement à ce projet, nous demandons des garanties et émettons des réserves.» (cf. Nature Environnement 77. Site Internet de Nature Environnement 77, fédération des associations de protection de la nature, de l’environnement, et du cadre de vie de Seine et Marne [en ligne]. Disponible sur http://www.environnement77.fr/ (Consulté le 27/12/2013). – cf. Rapport Bibliographique )

 »Comment

Ainsi donc, nous avons vu que malgré l’absence de retour d’expérience et les nombreuses incertitudes subsistant, l’EPTB Seine Grands Lacs a tranché en faveur d’un système de pompes pour acheminer les eaux excédentaires vers la Bassée en cas d’épisode de crue.

Les retours d’interlocuteurs scientifiques se rejoignent pourtant pour critiquer le manque de réalisme de ce choix. Michel POULIN et Christophe PARISOT utilisent par exemple tous les deux l’expression de technologie « Shadock », pour exprimer leurs doutes vis-à-vis de ce scénario technique.

« Le projet en tant que tel, c’est, pour pas mal d’acteurs, une aberration écologique. C’est un ouvrage hydraulique à l’ancienne sauce : on met des grosses digues et des grosses pompes et après, il y a des mesures environnementales qui sont prises pour améliorer la situation. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Leur désapprobation est-elle due à l’absence de concertation, ou à des recommandations de leur part n’ayant pas été prise en compte ? En effet, ces interrogations sont légitimes alors que la question des pompes a été largement abordée lors du débat public, et semble donc s’être trouvé au cœur les échanges entre acteurs. La question aurait-elle été abordée plus sous un jour technico-économique que sous l’angle écologique au cours des débats et concertation ? Ceci indique-t-il une priorisation des domaines et sujets de débat de la part du maître d’ouvrage? Car si les critiques sont mesurées quand il en va des enjeux technico-économiques, il semble que les esprits s’échauffent à l’évocation de l’impact sur l’environnement du dispositif de pompes. Les inquiétudes portent évidemment sur la détérioration du paysage…

« Après, il y a tout ce qu’il y a autour c’est-à-dire, les digues, les pompes et les aménagements qui vont faire que l’on va détruire énormément pour faire ces ouvrages et qu’on va modifier le paysage et son fonctionnement . » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

…mais également sur les retombées sur la faune locale.

« il y a beaucoup de questions sur qu’est-ce qui passe dans une pompe. Un poisson va-t-il sortir indemne de son passage dans une pompe ? Est-ce que tout ce qui va passer dans la pompe va ressortir vivant ? On ne sait pas du tout. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

En effet, Nature Environnement 77 reproche également à l’EPTB Seine Grands Lacs de ne pas avoir suffisamment envisagé de solutions alternatives, émettant de nombreux doutes sur les conclusions de l’étude d’Hydratec excluant la possibilité d’utiliser une solution gravitaire. Selon eux, le maître d’ouvrage aurait imposé la solution technique de pompage, sans donner de crédit à d’autres possibilités jugées plus novatrices et respectueuses de l’environnement par l’association.

« Lors du dernier atelier thématique sur l’environnement, on a lourdement insisté sur le fait qu’il fallait absolument que ce soit non pas par des pompes mais au moins en partie par des systèmes gravitaires qui sont faisables mais qu’ils n’ont jamais voulu accepter d’envisager. »
«Ce qui leur est reproché, c’est d’être mono-scénario et d’avoir rejeté tous les autres scénarios en disant « ce n’est pas possible ». Je leur avais proposé d’étudier des systèmes d’alimentation gravitaire mais ils nous disent que ça ne marche pas mais jamais ils ne nous apportent les preuves que ça ne marche pas. Ils nous disent « on a fait des études, vous pouvez les télécharger », bon très bien, mais la grosse difficulté aujourd’hui, c’est la non-remise en cause du projet avec des acteurs importants qui considèrent qu’ils auraient dû proposer d’autres scénarios sur le système de digues et sur le système de remplissage de façon à être sûr que l’option choisie était la meilleure. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Même parmi les associations naturalistes ayant tenu un rôle important lors du débat public, le dispositif de pompes est montré du doigt comme une entrave à la vocation écologique du projet d’aménagement de la Bassée porté par l’EPTB Seine Grands Lacs.

« Que dire aussi du projet visant à créer des zones de stockage de crues. Réinonder la Bassée aval est une idée alléchante pour l’écologie mais le faire à grand frais et à l’aide de pompes et de digues, n’apparaît pas la meilleure solution. » (ANVL (Association des Naturalistes de la Vallée du Loing et du massif de Fontainebleau). Site de l’ANVL [en ligne]. Disponible sur http://www.anvl.fr/ (Consulté le 28/12/2013). – cf. Rapport Bibliographique)
 Face à un débat complexe ne permettant pas de prendre un décision clairement identifiable comme supérieure aux autres, l’EPTB Seine Grands Lacs a donc tranché une fois pour toute en choisissant les pompes. L’absence d’alternative évidente lui donne raison, toute fois, cela n’empêche pas un grand nombre d’acteurs de demeurer mécontents du projet tel qu’il est conçu aujourd’hui, estimant que de nombreuses questions restent encore aujourd’hui sans réponse, comme par exemple le pendant environnemental du problème. L’absence de réelles données permettant de prévoir les conséquences de la décision est donc un frein majeur à la concertation qui ne permet plus réellement aux acteurs d’avoir le sentiment d’être entendu, puisque l’importance relative des différents paramètres ne peut pas être justifiée.