Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Michel Poulin Verbatim

27 mars 2014 | Commentaires fermés

Verbatim d’entretien

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Date :

22/01/14

Lieu :

Par téléphone

Etaient présents :

Cécile Chazot

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Bonjour Monsieur Poulin.

Bonjour.

Je suis Cécile Chazot. Excusez-nous de vous déranger.

Pas de problème.

Dans le cadre de notre cursus, nous réalisons une étude sur le débat autour du projet d’aménagement de la Bassée et sur les différents points de vue des acteurs de ce débat. C’est Isabelle Thenevin qui nous a conseillé de discuter avec vous puisque vous avez organisé le MIG Seine-Bassée l’année dernière. Est-ce bien cela ?

Oui, oui tout à fait, j’ai organisé le MIG Seine Bassée. Dites-moi qui est responsable de cet enseignement de Controverse ?

C’est Cécile Méadel. Elle est sociologue et c’est notre professeur.

D’accord

Accepteriez-vous que l’on enregistre cette conversation ?

Oui oui, pas de problèmes. Donc est-ce que vous voulez parler à la fois des casiers et du canal ou seulement de l’un des deux ?

En réalité nous avons de nombreuses questions sur le projet des casiers mais aussi sur la neutralité hydraulique entre l’ouvrage de la Bassée et le canal de mise à grand gabarit. On a cru comprendre que cette neutralité des deux ouvrages pouvait remettre en question le fait que les modèles hydrauliques aient été élaborés indépendamment l’un de l’autre. On ne sait donc pas si l’ouvrage sera encore vraiment utile après la construction du canal.

Sur ce point, il y a vraiment un gros problème et je ne pourrais pas vous aider au delà de ce que vous pourrez lire dans les synthèses. Les gens que j’ai rencontrés avaient des avis variables sur la question et ce n’est pas un problème simple. Mais on peut tout de même en parler puisque c’est probablement le plus délicat dans ce projet. Vous avez regardé toutes les synthèses traitant du sujet ?

Pour l’instant nous nous sommes essentiellement penchés sur un rapport d’expertise publié par Ludovic Oudin qui travaille à l’UPMC et qui a analysé les deux modèles afin de savoir s’ils étaient valables. Le seul problème, c’est qu’on ne voit pas très bien le lien entre les deux modèles qu’il analyse et valide indépendamment. On ne trouve pas la dépendance entre les deux modèles.

J’avais vu aussi ce rapport et je n’avais pas été convaincu. Ce n’est pas vraiment la spécialité de mon collègue de l’UPMC. Je le connais bien, il est hydrologue à Jussieu. Mais est-ce qu’il a été demandé au cours d’autres études de faire tourner les deux modèles en même temps ou de les comparer ?

Nous n’avons pas trouvé de documents traitant les deux modèles à la fois mais nous n’avons peut-être pas assez approfondi nos recherches.

Personnellement, j’étais surtout accès sur les casiers, pour le MIG. J’avais lu quelques rapports concernant le canal mais ce n’était pas vraiment le projet. Par contre, nous avions parlé de la neutralité lors d’une rencontre avec des personnes d’une antenne de l’Agence Seine-Normandie. Les élèves et moi avions alors constaté qu’ils n’étaient pas convaincus de la neutralité. Je vous propose de recontacte des gens que je connais à l’Agence de l’Eau et de leur demander s’il y a eu du nouveau ou d’autres études. Au moment du MIG, lorsque nous avions parlé de cette question de la neutralité, certaines personnes n’y croyaient pas trop. Je peux recontacter une personne en particulier pour lui demander plus d’informations.

Merci, ceci pourrait être un avantage indéniable dans notre étude. Vous aviez donc plus particulièrement travaillé sur les casiers, c’est ça ?

Oui, en effet.

Nous aurions quelques questions sur les conclusions du rapport de MIG Seine. La conclusion assure que la zone de la Bassée est particulièrement adaptée à la mise en place du projet tant du point de vue de l’écrêtage des crues que du développement économique et environnemental de la zone. On peut cependant constater des difficultés pour évaluer les coûts, d’où l’intérêt de créer un casier pilote plutôt que le projet initial s’élevant à 500 millions d’euros. D’autre part, on a cru comprendre qu’il y avait un autre problème, celui du pompage et notamment d’un point de vue technologique. C’est bien cela ?

Oui. En pratique, pouvoir disposer d’un ensemble de pompes capables de véhiculer 200 mètres cubes par seconde, ce n’est pas trivial, surtout si ces pompes ne sont pas mises en route souvent. C’est un problème d’ingénierie qui n’est vraiment pas évident. Mais tout le monde sait que ce n’est pas simple. On avait posé la question aux gens de l’Agence de l’eau qui s’étaient occupés du dossier. Une autre solution serait de créer un canal qui apporterait, grâce à la gravité, les eaux dans ces casiers. Il faudrait prélever l’eau en amont, avec un bon débit, et l’apporter vers les casiers. On a étudié cette solution durant le MIG qui n’était pas viable financièrement.

Du point de vue du coût on a vu une étude détaillée des élèves du MIG concernant les différentes parties du projet et une évaluation du coût total. Nous avons donc une question sur les enjeux du barrage. Vous nous aviez fourni une étude d’Egis qui présentait l’impact du changement climatique comme une opportunité dans la réalisation du projet de la Bassée. Le seul problème, c’est que ce document se fonde sur le RexHyss qui assure que l’impact du changement climatique est difficile à évaluer et que, selon les modèles on peut arriver à des conclusions totalement différentes et souvent contradictoires. On assiste parfois à une hausse des crues, à une absence d’impact sur les crues centennales. C’est quelque chose d’obscur.

En effet. Certains de mes collègues de Fontainebleau et de Paris ont participé au rapport Rexhyss. Il s’agit d’estimer l’impact du changement climatique sur la recharge des aquifères et sur le débit des rivières. Tout ce travail qui est réalisé tout à fait correctement à partir de modélisations, dépend de la précision avec laquelle on est capable d’estimer la modification des pluies. Le problème, c’est que l’on a beau faire les meilleurs modèles concernant les pluies, l’étape « pluie vers recharge des nappes et débit des rivières » présente une grande incertitude relative au fait d’évaluer le volume des pluies dans un climat modifié. Ce n’est pas un problème simple. La latitude à laquelle Paris se situe est, pour les modèles de prédiction du climat, une sorte de zone de transition. On ne sait pas trop évaluer l’évolution des pluies et des saisons. C’est plus facile d’estimer l’impact du changement climatique à des endroits comme l’Espagne. Mais en région parisienne, l’évaluation est difficile. L’hypothèse la plus probable est qu’il ne se passera sans doute pas grand-chose mais cela s’appuie sur des modèles d’évolution du climat qui sont complexes. Si la prédiction de l’évolution des températures est déjà un problème, l’évolution de pluies, c’est tout simplement un cauchemar. Justifier les casiers par une éventuelle évolution de la pluie, ce n’est pas vraiment solide. J’espère que ce n’est pas leur argument principal car les casiers peuvent se justifier même si on reste sur un statu quo c’est-à-dire que les crues ne soient pas modifiées en cas de changement climatique. L’histoire des casiers n’est pas un problème trivial. Ce n’est pas un barrage. Il s’agit d’une digue avec un sous-sol qui fuit volontairement. Il faut pomper, au moment ou l’on ne connait que la montée de l’eau sans savoir quand elle va redescendre. Quand l’onde de crue de la Seine passe au niveau des casiers, et à supposer que l’onde de crue de l’Yonne soit concomitante à la confluence à Montereau, on va essayer d’abaisser l’onde de crue de la Seine en pompant. C’est la solution Shadock. On a essayé de regarder ce problème avec les élèves. En s’appuyant sur des crues réelles, on s’est mis à la place d’un gestionnaire qui tenterait d’écrêter une de ces crues, sachant qu’il est plus facile de faire ça après coup que lorsque la crue est en train de se passer. On peut prédire ce qui se passera le lendemain ou le surlendemain, mais après c’est un mystère. C’est donc plus difficile de gérer des casiers qu’un barrage analogue à ceux existants actuellement sur la Seine et la Marne.

C’est donc un projet nouveau par rapport aux autres barrages.

C’est beaucoup plus compliqué à gérer. On se trouve près de zones habitées et il est difficile de gérer le système de pompes. Ce qui faut voir c’est l’impact d’un tel ouvrage sur le niveau de l’eau en cas de crue dans l’agglomération parisienne. Il faut peut-être se focaliser là-dessus en regardant les rapports d’experts. Si vous citez des chiffres, citez ceux des bureaux d’études.

Oui, nous comprenons très bien ce point de vue. D’autant plus que lorsque nous avions regardé dans la presse, on avait constaté que le niveau d’une crue pourrait être diminué de 30 à 50 cm. Une marge de 20 cm, ce n’est pas négligeable !

Je pense que 30 à 50 cm, c’est extrêmement optimiste. Vous avez lu ça dans les documents officiels ?

Non, ces chiffres étaient ceux annoncés dans la presse. Cependant tous les articles sont écrits à partir de la dépêche AFP qui donne ces chiffres en référence. On les retrouve donc dans tous les journaux.

Il vaut mieux regarder les rapports de bureaux d’étude dans ce cas. Vous trouverez des chiffres plus exacts. 30 à 50 cm, ça ne peut être l’effet des casiers seuls.

Oui, nous avons alors pensé que c’était l’impact conjugué de tous les ouvrages.

Pour certaines crues, on doit pouvoir atteindre une baisse du niveau de l’eau dans Paris de 50 cm à 1 m en conjuguant tous les ouvrages disponibles dans des situations pas trop défavorables. Les ouvrages de l’amont ont aussi une fonction d’écrêtage de crue et donc, lorsqu’on est à la fin de l’hiver ou au début du printemps, il faut qu’ils soient pleins. On peut dire que ces ouvrages doivent êtres remplies le plus possibles, mais si on est capables de prédire une crue une semaine avant, on doit pouvoir vider les barrages pour la contenir. C’est possible mais c’est une gestion difficile. Je vous conseille donc de regarder ce qui est dit sur l’action de tous les ouvrages en même temps. Je pense que l’action des casiers seuls est de l’ordre du décimètre.

D’accord. Une autre question concerne le choix de réaliser un casier pilote. Il y a deux points de vue à ce propos qui ne sont pas forcément contradictoires. Le premier est relatif à une évaluation précise du coût de cette technologie. On prend alors la décision de faire une expérimentation sur un casier afin de valider la technologie pour ensuite l’appliquer, si possible à d’autres casiers. L’autre point de vue est celui des élus qui dénoncent l’absence totale de financement et qui avancent que s’ils ne font qu’un casier pilote, c’est qu’ils ne pourront jamais en faire 10. On ne comprend alors pas si le problème est essentiellement scientifique et technique ou s’il est surtout économique.

L’idée du casier pilote vient de toutes les raisons que vous venez d’exposer. Il y a un doute de certains gestionnaires et de certains politiques sur la faisabilité du projet. Faire un casier pilote fournit une expérience à échelle réduite. On peut tester la faisabilité technique mais il est évident qu’il n’y a pas le financement pour ce projet. L’idée c’est de savoir ce que l’on peut faire avec un budget raisonnable. Il y a un risque non nul de dérapage financier puisque le projet est nouveau. Le budget initial peut être dépassé. C’est peut-être cela aussi que les gens n’osent pas dire : ils ne croient pas au projet et préfèrent payer peu pour voir si cela peut se montrer concluant. Il y a aussi les arguments : « on va en profiter pour rétablir une zone humide qui a disparu à cause de l’aménagement de la Seine amont ». Effectivement, depuis que la Seine a été modifiée pour la navigabilité à la fin du XIXème siècle, la région de la Bassée n’est plus régulièrement inondée. Il y avait auparavant un fonctionnement de zone humide. Les Grands Lacs de Seine profitent de cet argument pour donner un aspect écologique au projet.

Mais va-t-on vraiment recréer la zone humide telle qu’elle était auparavant avec un moyen technique finalement très artificiel ?

Non. Ce n’est pas idiot comme argument, mais cela pose plein de problèmes. Si vous apportez de l’eau de la rivière sur les terrains, imaginons qu’à certains moments l’eau de la rivière ne soit pas de bonne qualité, vous allez endommager votre nappe. Effectivement, dans un régime naturel, il n’y a pas de raisons que l’eau de la rivière soit plus propre. Mais il y a ce type d’argument. Si on met en place un casier pilote qui permet d’infiltrer dans les aquifères de la Bassée des eaux d’une qualité moyenne, cela pose un problème. Il y a même des gens qui pensent à traiter cette eau avant de la réinjecter dans le sol, on en arrive alors à une solution complètement Shadock. Cela a été envisagé. Les associations de protection de la nature répondent alors que si on filtre cette eau, alors il faut la traiter. On en arrive alors à une solution totalement infaisable.

En plus, on a vu dans le rapport d’Hydratech que les Grands Lacs de Seine s’engageaient à protéger les nappes phréatiques. Ils voulaient alors s’inscrire dans une démarche de développement durable en ne polluant pas les eaux des aquifères de la zone. Du coup, cet argument pourrait être remis en question ?

Ce n’est pas vraiment la recréation d’une zone humide qui pose problème, c’est le fait de construire un casier qui va infiltrer des eaux de la Seine dans les nappes phréatiques, changeant ainsi sa qualité. En gros, avec une grande nappe alluviale comme celle de la Bassée, un système de casier est alimenté essentiellement latéralement par les grands aquifères de bordures. La pluie qui tombe sur le bassin versant s’infiltre en partie et alimente les aquifères profonds qui ont une surface piézométrique qui est, à certaines saisons, au dessus de la surface piézométrique de l’aquifère alluvial. Du coup, l’aquifère alluvial est alimenté latéralement par les aquifères de bordure avec une certaine qualité d’eau. Si on fait venir dans les casiers de l’eau de la rivière, on va modifier la qualité de l’eau des nappes phréatiques, ces dernières étant considérées depuis très longtemps comme des réserves stratégiques pour l’agglomération parisienne.

Nous ne savions pas cela. C’est une réserve d’eau pour la région parisienne ?

C’est une réserve particulière. Ce n’est pas un grand réservoir. Quand on prélève dans une nappe alluviale ce n’est pas la même chose que lorsqu’on prélève dans un grand aquifère. Une nappe alluviale, c’est un aquifère qui a un temps de renouvellement assez rapide mais qui est très productif. Actuellement ces nappes phréatiques de la Bassée sont de bonne qualité. L’Agence de l’eau depuis les années 60 a repéré ces nappes phréatiques et a classé certains secteurs afin de pouvoir implanter des puits pour alimenter l’agglomération parisienne grâce à des tuyaux déjà présents. Il y a donc un conflit entre l’Agence de l’eau et l’EPTB. C’est un conflit « soft » car ce sont tout de même deux institutions publiques.

Une autre chose nous a intrigués. Ce n’est pas un barrage, nous l’avons bien compris. Cependant, les anciens ouvrages étaient en partie utilisés pour produire de l’électricité…

Oui mais c’est marginal.

Donc l’intérêt économique concernant la production électrique ne pourra jamais prendre le pas sur le but premier d’un ouvrage de protection des crues ?

Je ne pense pas. Je ne connais pas la production d’électricité des barrages-réservoirs. Vous pourriez poser la question aux personnes de l’EPTB Grands Lacs. Dans le Morvan, ça doit être très intéressant, mais du côté de Troyes, cela doit être marginal.

Et vous, avez-vous un avis personnel sur ce projet ?

J’ai un avis, mais il n’est pas très intéressant. Pour moi, c’est beaucoup trop compliqué.

C’est l’impression donnée par l’analyse des différents enjeux qui sont nombreux.

C’est très compliqué. Vous voyez cette histoire de réserves de l’Agence de l’eau, ça a l’air de rien, mais c’est une composante qui s’ajoute à toutes les autres et qui rend le projet délicat. Les casiers ne sont que partiellement sur les réserves de l’Agence de l’eau, mais c’est non négligeable. Mais il y a plein d’autres problèmes qui se posent. Au départ, il s’agit de réduire le risque d’inondation et le projet s’avère d’une complexité extrême. Plus on se met à l’amont, plus c’est facile d’implanter des réservoirs grâce au relief, mais on intercepte qu’un pourcentage limité du bassin versant. Si on est à l’aval, par exemple vers Montereau, on a des reliefs faibles, il faut faire des digues compliquées d’où le système de casiers. Pour la vallée de l’Yonne il y a eu tout un tas de raisons qui ont rendu la chose impossible, à mon avis. Mais si on est vers l’aval, on intercepte un pourcentage plus important du bassin versant mais on a de gros problèmes techniques.

On cherche donc un compromis entre une zone trop en aval et trop en amont ?

Voilà. Je pense que le secteur de la Bassée était le seul endroit que l’on pouvait imaginer. C’est un secteur optimal mais qui reste quand même trop compliqué. Le système de pompes pose un problème de fiabilité. D’un point de vue personnel, je pense que ce projet est compliqué et que cela se voit bien avec le nombre invraisemblable d’études publiées à ce propos. Cela fait 15 ans que l’on travaille là-dessus… C’est beaucoup trop compliqué.

Merci à vous pour ces informations

De rien, je peux vous apporter mon aide pour la compréhension des aspects techniques du projet si vous voulez. C’est un sujet intéressant !

Merci beaucoup. Bonne journée

Bonne journée.