Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Julien Schwartz et Violaine Meslier Entretien

30 avril 2014 | Commentaires fermés

Rencontre avec Julien Schwartz et Violaine Meslier

  • La protection de l’environnement est une problématique qui demande de prendre en compte l’ensemble de la zone de la Bassée, sans se borner uniquement à la réserve naturelle.
  • La connaissance précise des impacts écologiques fait l’objet d’une grande incertitude pour l’AGRENABA.
  • Les inquiétudes environnementales sur la zone sont multiples.
  • Le risque d’inondation n’est pas perçu comme un danger mais comme l’opportunité de restaurer l’équilibre écologique perturbé de la Bassée.
  • La dynamique alluviale est complètement perturbée par les aménagements hydrauliques gérés par Seine Grands Lacs.
  • La dimension environnementale du projet ne doit pas être reléguée au rang d’une succession de mesures compensatoires post-projet.
  • Le débat public a débouché sur une phase de concertation prononcée.
  • L’EPTB Seine Grands Lacs a beaucoup communiqué autour du projet à l’occasion du débat public.
  • Le débat public a attiré beaucoup de monde, indépendamment des lieux de réunion.
  • La revue à la baisse du projet à la suite du débat public met en doute la réelle opportunité du projet en termes de protection contre le risque d’inondation.
  • Le choix du casier-pilote est un élément central pour l’AGRENABA qui est très impliquée dans la concertation.
  • La dimension environnementale n’est pas prise au sérieux par le maître d’ouvrage.
  • La réalité du territoire n’a pas suffisamment été prise en compte par le maître d’ouvrage dans la conception du projet.
  • La neutralité hydraulique est une notion demeurée floue dont a abusé le maître d’ouvrage dans son argumentaire.
  • La proposition de créer une activité de tourisme vert dans la région est intéressante à condition qu’elle ne menace pas les écosystèmes protégés de la réserve.

La protection de l’environnement est une problématique qui demande de prendre en compte l’ensemble de la zone de la Bassée, sans se borner uniquement à la réserve naturelle.

« Tout le monde sait que des milieux qui sont présents à l’intérieur d’une délimitation territoriale, il ne suffit pas de protéger ce qu’il y a à l’intérieur mais aussi de faire attention à ce qui se passe autour. Parce que des dégradations des milieux naturels environnants vont avoir des répercussions sur les milieux naturels à l’intérieur de la réserve. » (J.S.)

« Donc il y a énormément de liens entre ce qui se passe au niveau de la Seine et ces annexes hydrauliques, plus la nappe alluviale. Et alors le projet de Seine Grands Lacs avec ses casiers-réservoirs c’est en aval par rapport à la réserve, du coup à priori il devrait pas y avoir trop d’impact sur la réserve si ces casiers se font et… mais après c’est vrai que l’hydrogéologie c’est assez complexe et on préfère quand même être au courant, savoir ce qui se fait, à la rigueur donner notre avis. » (J.S.)

« je sais que parmi les deux casiers qui ont été éliminés je crois qu’y en a un qui a été éliminé pour raisons écologiques et un pour raisons financières. Donc c’est vrai que celui qui a été écarté pour raisons écologiques ça… on est plutôt rassurés parce que d’une part c’en est un qui est un amont sur le projet, donc le plus près de la réserve et c’est vrai que, bon voilà, personnellement je connais pas mais mes collègues connaissent un peu le coin et ils savent qu’il y a des enjeux, notamment au niveau des autres zones de forêt alluviale. » (J.S.)

« Le fait de prendre de l’eau de la Seine au moment de la crue, est-ce que ça pourrait baisser les crues au niveau de la réserve ? Parce que nous en fait, quand il y a une crue sur la Seine, on a l’eau qui monte aussi dans les noues, et qui permet aussi d’inonder les milieux naturels avoisinants et ça, c’est important pour nous parce qu’on est dans des milieux naturels qui sont dépendants des régimes de crues. Donc si ça a un impact aussi au niveau de la hauteur de la Seine, ça aura un impact sur la réserve aussi. » (J.S.)

La connaissance précise des impacts écologiques fait l’objet d’une grande incertitude pour l’AGRENABA.

« Après on n’a pas de personne experte au sein de l’équipe en hydraulique ou en hydrogéologie, en hydrologie aussi, donc on connaît pas tous les impacts potentiels qu’il pourrait y avoir. Mais rien que de savoir qu’en construisant un casier, c’est un endroit où ils vont stocker de l’eau, donc c’est un endroit où il va y avoir des modifications, il va y avoir des pompages dans la Seine, des relargages d’eau dans la Seine, donc en fait c’est des endroits où il va y avoir forcément des modifications de fonctionnement de la nappe alluviale dans cette zone-là. » (J.S.)

« On a d’ailleurs un stagiaire qui travaille dessus, qui dépouille un peu toute la biblio qu’on peut avoir pour essayer de sortir quelque chose, mais il nous manque cette étude globale sur la Bassée d’un point de vue hydraulique. »

« Moi je suis pas aussi critique que Christophe Parisot, mais simplement du fait que par rapport à un projet d’aménagement comme ça, il y a différentes étapes. Là on sort du débat public et moi on m’a fait comprendre, les gens de Seine Grands Lacs m’ont fait comprendre que c’était pas… qu’on était dans le stade des pré-études et que les études d’impacts allaient venir plus tard. C’est pour ça que pour le moment je me contente des études qui sont faites, mais il est clair que si par exemple on en arrivait l’année prochaine, je sais pas, je connais plus le calendrier mais si  au moment des études d’impact le projet se précise, il y a eu enquête d’utilité publique et finalement par exemple on part sur le fait que le premier casier se fasse, il faudrait pas qu’à ce moment-là ils nous disent, « voilà on a fait les études d’impact, on vous les a présentées… » C’est sûr que là on sera pas d’accord du tout, il faudra, en termes d’études d’impact, qu’il y ait vraiment des études beaucoup plus poussées que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. » (J.S.)

Julien SCHWARTZ fait donc des propositions pour compléter les études présentées lors du débat public : « Y a rien qui a été fait au niveau de l’hydrogéologie… Pendant le débat public ils ont présenté une… ils ont fait exprès une contre-expertise par des spécialistes en hydrogéologie pour faire une… pour la modélisation hydraulique des deux projets. Mais en fait ils ont pas du tout pris en compte… ils ont pris en compte que l’eau en surface, tout ce qui est hydraulique, mais ils ont pas du tout pris en compte l’aspect hydrogéologique avec les impacts sur la nappe alluviale. Donc ça il faudra qu’ils le fassent absolument au moment des études d’impact. »

Par ailleurs, de tels projets d’aménagement sont l’occasion pour les acteurs locaux de parfaire leur connaissance scientifique du territoire. « Donc on a commencé à mettre en place des échelles millimétriques pour avoir un peu la hauteur des noues, des plans d’eau et on a prévu de mettre aussi des piézomètres pour suivre un peu la hauteur de la nappe alluviale. Donc ça on avait déjà prévu de le faire en interne, ce qu’il y a c’est qu’on essaie de profiter de l’opportunité de ces projets pour avoir une aide. Parce que ça demande beaucoup d’investissements… au niveau matériel financier. Donc là, par exemple avec VnF pour le projet de mise à grand gabarit, on a convenu que VnF nous installerait les piézomètres dans la réserve. Donc en fait on voudrait profiter, c’est normal, de la dynamique de ce projet, pour à la fois être équipés au niveau matériel et à la fois bénéficier des études qui sont faites. » (J.S.)

Pour Amélie ASTRUC, les inondations artificielles des casiers n’auront pas plus d’impact sur l’environnement qu’une inondation naturelle : « Je ne sais pas, je me demande toujours pourquoi les gens ne se posent jamais la question d’une inondation naturelle. Dans le cadre d’une inondation qui se fait naturellement où la Seine déborde dans son lit majeur c’est pareil. Enfin, peut-être que la dynamique n’est pas la même, effectivement par pompage on remplit plus vite que dans le cas d’une inondation naturelle et peut-être sur des hauteurs supérieures mais voilà, pas plus loin qu’à l’amont de Bray sur Seine, la Seine déborde naturellement.» 

Selon Christophe PARISOT, l’argument n’est pas convaincant : le caractère artificiel des inondations prévues les rend au contraire d’autant plus incertaines. « Ce n’est pas une inondation naturelle, on ne sait pas du tout comment vont se comporter les espèces, on ne connait pas l’impact des importants dépôts de sédiment qu’il ne va pas manque d’y avoir. »

 C’est la raison pour laquelle le peu de données dont on dispose à l’heure actuelle n’est pas satisfaisant. « C’est un projet sur lequel on joue beaucoup à l’apprenti sorcier en partant beaucoup du principe, les bureaux d’étude en écologie étant les premiers à le dire, « Les espèces vont s’adapter, ils vont grimper, ils vont se sauver, et ça va aller ».»

 « aujourd’hui pour faire un suivi écologique, il faudrait qu’il y ait des laboratoires de recherche sélectionnés pour travailler dessus et je n’en entends pas parler pour le moment. »

« Aujourd’hui, personne ne sait ce que fait une crue de 3-4m de haut puisqu’il n’y a jamais eu de suivi simple là-dessus. Quel impact ? Quel impact sur les sols ? Quand vous mettez un mètre d’eau sur un sol, c’est une chose mais quand vous mettez 3 mètres, ce n’est pas le même poids. Il y a aussi le problème de la pression, du tassement… »

Les inquiétudes environnementales sur la zone sont multiples.
 « Il y a un effet de drainage de la nappe… Donc en fait si la nappe passe ici, elle va glisser aussi au niveau de la réserve. C’est pour ça que ça c’est un phénomène qui va nous inquiéter. »  

Le risque d’inondation n’est pas perçu comme un danger mais comme l’opportunité de restaurer l’équilibre écologique perturbé de la Bassée.

« […] alors nous on est conscients que derrière ce projet-là il y a des enjeux au niveau de la population humaine et notamment sur Paris, mais nous, concrètement, ça nous intéresse pas. Nous notre rôle c’est de protéger cet espace-là. Et dans cette optique-là on est contre ce projet parce qu’en fait nous, on voudrait que ces espaces qui étaient avant inondés, continuent à être inondés. Après on sait qu’on est dans un régime hydraulique, dans une dynamique alluviale, qui est complètement perturbée. Ça fait des dizaines d’années qu’on a plus les crues, qu’on a plus les inondations qu’on avait avant. Je crois que le siècle dernier, enfin le siècle dernier ça remonte à pas longtemps, enfin il y a plus de cinquante ans, tous ces espaces-là, déjà y avait pas de carrières et c’était sous l’eau, y avait juste le bois d’Isle qu’était hors d’eau, la ferme d’Isle… » (J.S.)

Ce point de vue prend le contre-pied parfait du point de vue exprimé par l’ensemble des autres acteurs. En effet, la protection de la région contre le risque d’inondation, supposé néfaste pour les zones avales, est le pilier de ce projet d’aménagement.

Ainsi donc, le maître d’ouvrage soutient que le scénario d’inondations sporadiques de la zone de la Bassée n’est pas plus néfaste pour l’environnement qu’une inondation naturelle.

« Je ne sais pas, je me demande toujours pourquoi les gens ne se posent jamais la question d’une inondation naturelle. Dans le cadre d’une inondation qui se fait naturellement où la Seine déborde dans son lit majeur c’est pareil. Enfin, peut-être que la dynamique n’est pas la même, effectivement par pompage on remplit plus vite que dans le cas d’une inondation naturelle et peut-être sur des hauteurs supérieures mais voilà, pas plus loin qu’à l’amont de Bray sur Seine, la Seine déborde naturellement.» (Amélie ASTRUC)

A l’inverse, pour Christophe PARISOT, si l’inondation n’est plus naturelle, elle peut intervenir plus souvent et donc modifier significativement la qualité de l’eau. On ne sait alors pas comment vont réagir les espèces.

Michel POULIN est un peu plus partagé sur cette question : « Si vous apportez de l’eau de la rivière sur les terrains, imaginons qu’à certains moments l’eau de la rivière ne soit pas de bonne qualité, vous allez endommager votre nappe. Effectivement, dans un régime naturel, il n’y a pas de raisons que l’eau de la rivière soit plus propre. Mais il y a ce type d’argument. Si on met en place un casier pilote qui permet d’infiltrer dans les aquifères de la Bassée des eaux d’une qualité moyenne, cela pose un problème. »

Un autre problème de contamination abordé par Michel POULIN concerne les réserves d’eau de l’Agence de l’Eau : « Si on fait venir dans les casiers de l’eau de la rivière, on va modifier la qualité de l’eau des nappes phréatiques, ces dernières étant considérées depuis très longtemps comme des réserves stratégiques pour l’agglomération parisienne. » 

La dynamique alluviale est complètement perturbée par les aménagements hydrauliques gérés par Seine Grands Lacs.

« Et bon, on est conscients que ça c’est un fonctionnement qui n’existe plus aujourd’hui parce qu’il y a les lacs, les grands lacs-réservoirs. Mais malgré tout si il pouvait y avoir un retour des inondations, des crues, pour nous c’est tout bénéfique. » (J.S.)

« Q : Est-ce que vous reconnaissez que ce serait bien de restaurer les zones humides de la Bassée, dans l’absolu ?

J.S. : Non, là on préfèrerait qu’ils la dégradent pas avec leurs aménagements. »

La dimension environnementale du projet ne doit pas être reléguée au rang d’une succession de mesures compensatoires post-projet.

« Enfin, on la considère comme une mesure de compensation mais on veut pas que ce soit considéré par VNF comme une mesure de compensation. Je m’explique : ils vont avoir des enveloppes à la fin pour des mesures de compensation des zones qui seront réellement impactées. Mais ça, c’est autre chose. Là, les restaurations écologiques qu’ils veulent faire c’est, ça fait partie entièrement, on va dire, du projet, et à part ils auront une autre enveloppe. Donc on veut pas qu’ils mélangent justement. » (V.M.)

« Q : D’accord, donc vous voulez qu’il y ait un réel budget consacré, dans le cadre du projet, à la dimension environnementale. Que ça passe pas…

V.M. : Comme une mesure de compensation. Genre, « On s’autorise de détruire, puisque derrière… » »

La question est également soulevée au sujet des mesures compensatoires relatives à la neutralité hydraulique.

« ils ont indiqué qu’avec les travaux, le fonctionnement du nouveau canal sur cette partie-là, que même avec une baisse du niveau d’eau de quelques centimètres, et que la neutralité ils l’assuraient, effectivement, en faisant des aménagements. Alors est-ce que ces aménagements justement ce sera des compensations ou pas ? Logiquement pour nous, ça doit pas être des compensations. » (J.S.)

Pour autant, la perspective de compensations financières et matérielles est alléchante pour certains acteurs locaux.

« Q : Oui, on a l’impression que la question qui bloque beaucoup c’est la question du financement, notamment.

V.M. : Oui, le financement peut-être du projet mais, mesures compensatoires. Parce que chacun veut retirer sa part du gâteau, et c’est compréhensible. Voilà, « Nous on est OK mais à condition que vous nous fassiez un port, que vous me fassiez une bretelle d’autoroute, voilà. Donc à mon avis, ça risque d’être un peu plus… Le rapport de force sera peut-être un peu plus important au moment où les enveloppes vont être définies. C’est là où à mon avis… (rires) Donc voilà, VNF ou l’EPTB ont intérêt à avoir une enveloppe assez conséquente parce que… Je pense que c’est ça aussi qui va définir l’acceptation ou pas du projet. »

Le débat public a débouché sur une phase de concertation prononcée.

« […] ils ont un peu changé leur façon de procéder en mettant en place davantage d’ateliers, d’ateliers techniques en comités plus restreints alors qu’avant… Pour que ça essaie d’avancer en impliquant les acteurs les plus concernés et puis en faisant avancer le sujet. » (V.M.)

« […] le comité du débat public là, qui a organisé le débat public, je sais pas si ça les a vraiment forcés à se comporter comme ça, mais c’est vrai qu’ils font les choses, comme tu dis, très bien. Ils essaient d’être le plus transparents possible, ils font participer au maximum les acteurs du territoire avec ces ateliers. Je trouve ça c’est très bien. Y a des dizaines années, ça se passait pas comme ça. » (J.S.)

« […] c’est vrai ce que cette proposition d’atelier… D’un côté on se dit que c’est normal que ça se passe comme ça mais d’un autre côté, il faut quand même reconnaître que c’est une bonne chose. » (J.S.)

L’EPTB Seine Grand Lac a beaucoup communiqué autour du projet à l’occasion du débat public.

 « Oui et puis c’est vrai qu’au moment du débat public ils mettaient des grandes affiches dans les villages où se passait telle ou telle réunion. » (J.S.)

« Et puis dans les journaux aussi, il y avait plusieurs articles… » (V.M.)

Toutefois, Julien SCHWARTZ et Violaine MESLIER admettent que certains publics sont plus susceptibles d’avoir été touchés par cette campagne de communication.

« Donc les gens, faut qu’ils aient un intérêt oui, pour les milieux naturels. » (J.S.)

« Oui, il faut qu’il y ait un intérêt. Les agriculteurs sont au courant. […]Oui et puis même, directement concernés. Les propriétaires des terrains qui sont concernés par le projet, là directement… ils peuvent pas l’ignorer quoi. » (V.M.)

Le débat public a attiré beaucoup de monde, indépendamment des lieux de réunion.

« Mais oui, j’ai souvenir d’une réunion à Sourdin, là, où la salle était pleine à craquer. Bon c’était une des premières… » (J.S.)

« Moi j’ai trouvé qu’il y avait toujours beaucoup de monde. » (J.S.)

D’après Amélie ASTRUC, les efforts de communication de l’EPTB Seine Grands Lacs autour du projet ne rencontrent pas le même succès auprès de tous les publics.

«  En fait, c’est bien simple, pendant le débat public, on a eu la moitié des réunions qui s’est fait sur le territoire du projet et l’autre moitié qui s’est fait à Paris, à Nanterre, à Melun, dans toutes les villes en fait qui sont soumises au risque inondation. Autant on a eu une participation forte, voire très forte sur la Bassée, autant à l’aval il n’y avait personne quoi. Bon, après est-ce que ça vient de la campagne de communication qui n’était pas bien faite, j’en sais rien mais les parisiens, on a bien du mal à les sensibiliser au risque inondation. »

On retrouve ces conclusions grâce à l’étude de quantification concernant la presse. En effet, on s’aperçoit que la presse la plus prolifique à ce sujet est essentiellement locale (Région Île-de-France) et que les élus se prononçant sur le projet sont essentiellement des élus locaux, des communes des alentours de la capitale.

La revue à la baisse du projet à la suite du débat public met en doute la réelle opportunité du projet en termes de protection contre le risque d’inondation.

« qu’au début il y avait une dizaine de casiers et ils ont revu à la baisse parce qu’ils avaient pas les fonds. Donc, est-ce que c’est bien ? Bah, à voir parce que si ils en avaient prévu dix c’est que les dix avaient une raison d’exister et une efficacité. Si ils en font qu’un euh… Voilà, du coup pourquoi en faire un, si il va servir à rien ? Autant rien faire… » (V.M.)

Les contraintes financières et matérielles induites par le projet sont donc d’après Violaine MESLIER d’autant moins acceptable que l’ouvrage ne satisfera plus pleinement sa vocation première.

« Ben, oui, faire des travaux qui vont coûter une fortune pour quels effets derrière, pour quelle efficacité ? On n’en sait rien et c’est des sommes astronomiques qui sont mises en jeu. » (V.M.)

« C’est pas anodin, les travaux qu’ils prévoient de faire : on parle de digues qui vont faire plusieurs mètres de haut. Derrière y a des propriétés, y a des fermes, y a des agriculteurs. Donc c’est pas anodin. Et maintenant qu’ils veulent n’en faire qu’un… » (V.M.)

D’après Michel POULIN, le choix d’effectuer un casier-pilote est justifié, car il permet de tester la viabilité d’une solution technique complexe et coûteuse.

« Il y a un doute de certains gestionnaires et de certains politiques sur la faisabilité du projet. Faire un casier pilote fournit une expérience à échelle réduite. On peut tester la faisabilité technique mais il est évident qu’il n’y a pas le financement pour ce projet. »

De même, Amélie ASTRUC soutient que des projets d’aménagement de ce type s’inscrivent inévitablement dans une démarche de long terme et que le casier-pilote est une première pierre à l’édifice dont il s’agit de ne pas dénigrer l’importance.

« Q : Ce projet a été lancé sur la base de dix casiers réservoirs. Nous n’envisageons aujourd’hui plus que la construction d’un unique casier pilote. Ce casier pilote est-il capable à lui seul de réduire l’impact des crues de manière significative ?

R : Non, non ça c’est sûr, mais il apportera quand même sa pierre à l’édifice. C’est-à-dire que l’on est sur du très long terme. Mais les barrages se sont construits sur du très long terme aussi. Les premiers barrages datent des années 30, donc voilà ça va faire presque 90 ans parce que ça a dû commencer à être réfléchi dans les années 20. Donc si vous voulez ça fait 90 ans qu’on équipe le bassin de la Sein, tout ça se fait vraiment sur le long terme. Donc on construit à chaque fois un ouvrage en lus, un ouvrage en plus. Le projet global avait effectivement un impact significatif qui permettait de réduire les niveaux d’eau de 25 à 35cm. Tandis que là on est plus sur du 5cm, 5 à 10cm mais c’est toujours ça de pris. »

Le choix du casier-pilote est un élément central pour l’AGRENABA qui est très impliquée dans la concertation.

« Donc c’est vrai que celui qui a été écarté pour raisons écologiques ça… on est plutôt rassurés parce que d’une part c’en est un qui est un amont sur le projet, donc le plus près de la réserve et c’est vrai que, bon voilà, personnellement je connais pas mais mes collègues connaissent un peu le coin et ils savent qu’il y a des enjeux, notamment au niveau des autres zones de forêt alluviale. Donc voilà, on suit le projet, mais pour le moment on est plutôt d’accord avec les choix qui ont été faits. » (J.S.)

La localisation du casier sélectionné sera en effet capitale.

Violaine MESLIER insiste sur le fait que si aucun des casiers n’est sur le territoire de la réserve, certains se trouvent sur les zones classées Natura 2000 et qui sont également sous la responsabilité de l’AGRENABA.

« Alors nous, la réserve, l’AGRENABA gère à la fois la réserve et le site Natura 2000. Et le site Natura 2000 est en partie sur ces communes. Il est éclaté en fait. Euh, je crois que j’avais une autre cartographie avec… Ici par exemple c’est Natura 2000. Donc on est directement, le site est directement concerné par ces aménagements. Y a des secteurs où y a rien du tout. Là j’en ai pas, le 4 il est complètement concerné aussi… »

Amélie ASTRUC confirme cette forte implication des acteurs locaux dans la concertation autour du choix du casier-pilote.

« Il faut choisir le moins contraignant à la fois pour nous et pour eux. Donc si, ils peuvent s’opposer. Ils peuvent penser qu’un casier serait moins contraignant qu’un autre, que celui-ci représente moins de contrainte environnementale. »

L’élimination des deux premiers casier-pilotes que mentionne Julien SCHWARTZ n’a en tout cas pas fait l’objet d’un désaccord.

« Oui il n’y a pas eu d’antagonismes. Bon par contre ça risque de se faire peut-être dans la prochaine étape. »

« Le prochain comité de pilotage fin avril si on est dans les temps, ou là, on va faire une analyse multicritères, c’est-à-dire qu’on va présenter pour chacun des scénarii des indicateurs qualitatifs ou quantitatifs liés à la fois aux contraintes techniques (coût, efficacité, volume de stockage) et aux contraintes environnementales (sites Natura 2000, digues traversant des stations d’espèces protégées ou patrimoniales connues). Et on va présenter aussi des critères liés aux usages. […] Donc il y a vraiment des éléments assez importants et plus précis que pendant le premier comité de pilotage. On va présenter ça au gens et on leur dira clairement « Voilà nous on propose ce scénario-là, soit un seul scénario soit deux scénarii qui combinent chacun soit des avantages soit des inconvénients. Voilà notre préférence. » On verra comment réagissent les gens. »

La dimension environnementale n’est pas prise au sérieux par le maître d’ouvrage.

« Donc là, comme disait Julien, y avait la réunion, là, hier, des casiers, et l’EPTB vient de se rendre compte que la DRIEE les forçait à faire une évaluation des incidences, c’est une démarche qui est imposée par Natura 2000, avant de choisir le casier.

Q : Ça c’est un élément nouveau ?

V.M. : Ben, pour eux, ils l’envisageaient bien plus tard. Ça vient de leur tomber dessus. Eux ils l’envisageaient à la fin, genre « On choisit le casier et on verra ». Genre, « Natura 2000 euh… c’est bon, c’est pas si important que ça on verra à la fin ». Donc c’est pour montrer aussi un peu l’intérêt qu’ils portent aux différents statuts réglementaires en termes de protection de la nature. »

« Non, non ça c’est complètement exagéré… C’est du pipeau… Parce que au début l’objectif  pour eux était de diminuer le risque d’inondation sur Paris et effectivement, maintenant, ils placent au même niveau l’objectif de restaurer les zones humides naturelles dans la Bassée alors que, faut être francs, ils en ont rien à faire de ça. » (J.S.)

« Le véritable objectif c’est effectivement de réduire les inondations sur Paris. Point. Après ce qui se passe sur le territoire c’est plus pour cacher. C’est de la com’. Clairement. » (V.M.)

Julien SCHWARTZ loue tout de même les efforts faits par le maître d’ouvrage, reconnaissant qu’il lui incombe une tâche difficile.

« Si il y a moyen de concilier tout le monde, tout le monde ne sera pas entièrement satisfait, ça c’est sûr, il faudra que chacun fasse des concessions. Et puis ça va leur prendre du temps quoi, pour pouvoir adapter selon les exigences de chacun. C’est sûr qu’ils vont essayer de le faire. D’un côté on peut pas leur en vouloir… c’est vrai qu’ils mettent en avant le côté écologique. Nous on trouve ça bidon. C’est vrai que c’est bidon, ils le font pour mieux faire passer la pilule, mais d’un côté ça se comprend. »

La réalité du territoire n’a pas suffisamment été prise en compte par le maître d’ouvrage dans la conception du projet.

« Et puis même, pour les gens du secteur, qu’est-ce que ça va leur apporter ? Rien. Concrètement les avantages qu’ils vont en tirer, des petits aménagements à droite à gauche. Et pour les riverains ? Je sais pas, si moi… si j’avais un terrain dans le coin, avoir des digues de 3-4m… y a des gens, notamment y a un fermier qui habite ici, il va se retrouver entouré de murs, de digues hyper hautes. Surtout qu’ici il paraît que ça va être super haut, les digues. Donc… Voilà, il y a une réalité derrière. »

Certes, Violaine MESLIER ne remet pas en cause les efforts de l’EPTB Seine Grands Lacs, mais ne se satisfait pas du résultat.

« Oui ben j’en doute pas moi, qu’ils essaient de… comment dire ? de concilier les différents enjeux qu’il y a au niveau du territoire. Mais il s’avère que là si on regarde certains potentiels casiers, ils peuvent pas faire autrement. »

De son côté, Amélie ASTRUC défend que les spécificités topographiques, géologiques et économiques de la zone de la Bassée ont été prises en compte pour optimiser le tracé des digues.

« Le tracé des digues a été établi en prenant en compte les contraintes locales. Il s’agissait d’éviter les villages et la plupart des habitations. Il fallait éviter autant que possibles les usages tels que les carrières par exemples. »

 « Là par exemple il y a une ferme d’importance qui est la ferme de la Grange donc le tracé des digues a été fait de manière à pouvoir l’éviter. »

« Tout ce tracé a été établi en concertation avec les acteurs locaux. »

Christophe PARISOT ne partage pas ce point de vue. Il y aura effectivement des terrains appartenant à des personnes locales inondés. De ce point de vue, les habitants veulent bien subir cette nuisance mais si on leur verse une indemnité : « ils peuvent accepter de faire l’effort pour peu qu’il y ait un impact positif sur leur développement local. Mais aujourd’hui, ce n’est pas cet esprit-là. Aujourd’hui on est dans l’esprit « on vient vous faire un ouvrage chez vous, on va vous donner des miettes de pain » qui se réduisent d’ailleurs au fur et à mesure du temps parce qu’on s’aperçoit qu’au début, c’est des grandes promesses et qu’au final, plus ça va plus ça réduit. On est donc dans un système à l’ancienne. On ne prend pas en compte les populations qui vont subir l’ouvrage.».

Comme Violaine MESLIER, il admet quand même que de nombreux efforts ont été faits : « On ne va pas inonder une maison. » mais déplore qu’on ne soit pas dans un esprit de conciliation : l’EPTB a refusé de racheter les terrains aux propriétaires qui étaient prêts à vendre.

La neutralité hydraulique est une notion demeurée floue dont a abusé le maître d’ouvrage dans son argumentaire.

 

D’après Violaine MESLIER, la neutralité hydraulique est demeurée pour les auditeurs du débat public une notion très floue.

« […] c’est vrai qu’on a une vision globale du coup des écoulements, sur le terrain, superficielles et des échanges qu’il peut y a voir au niveau des différentes annexes hydrauliques… On a une vision qui n’est pas… qui est floue en fait. On ne sait pas trop comment ça fonctionne… »

Julien SCHWARTZ confirme que VNF comme l’EPTB Seine Grands Lacs ont semblé manquer de transparence sur cette question au cours du débat public et que leur argumentation autour de la neutralité hydraulique ne l’a pas convaincue.

« Bah pareil, c’était le mot magique pour faire plaisir à tout le monde. Ils nous ont un peu menés en bateau, j’ai un peu l’impression, parce que y avait à la fois neutralité hydraulique de chaque projet indépendant, de chaque projet pris indépendant l’un de l’autre. Et après ils nous sortaient aussi souvent « Oui mais le projet, ça a été prouvé au niveau hydrogéologique, il est neutre ». Et on savait jamais si ils parlaient de neutralité que pour le projet, ou de neutralité par rapport aux deux projets. C’est-à-dire qu’il y a très bien un projet VNF, on reconnaissait qu’il pouvait avoir des impacts négatifs, mais ces impacts négatifs ils étaient compensés par les effets du deuxième projet qui étaient contrebalancés. »

« Et j’avais l’impression qu’à certains moments dans le débat public qu’ils jouaient un peu sur les deux tableaux. On savait jamais vraiment de quelle neutralité ils parlaient : si c’était vraiment la neutralité par rapport à l’autre projet dont ils parlaient ou si c’était la neutralité interne du projet. Et bon, bon ils sont malins, ils savent sortir les bons mots au bon moment. »

« Quoi qu’il en soit les éléments avancés pendant le débat public ne sont pas suffisants : « Je pense que ce serait vraiment intéressant de vérifier cette neutralité hydraulique au moment des études d’impact, pour voir si elle est toujours assurée ou pas. »

Il est toutefois conscient de l’existence de mesures compensatoires nécessaires à la neutralité hydraulique des deux projets selon l’expertise hydraulique commanditée par la CNDP.

« Oui voilà, ça, ça a été dit par VNF. Ça je me souviens effectivement. Malgré qu’on soit au stade des pré-études seulement, par exemple ils ont indiqué qu’avec les travaux, le fonctionnement du nouveau canal sur cette partie-là, que même avec une baisse du niveau d’eau de quelques centimètres, et que la neutralité ils l’assuraient, effectivement, en faisant des aménagements. Alors est-ce que ces aménagements justement ce sera des compensations ou pas ? Logiquement pour nous, ça doit pas être des compensations. »

La question de la neutralité hydraulique est récurrente lors du débat public étudiant de manière concomitante les projets d’aménagement de la Bassée et de mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur –Seine : « Bien  que,  comme  le  précise le  représentant  de  VNF lors  d’une  réunion  commune,  «  les  deux  projets  sont indépendants », on s’interroge à de nombreuses reprises sur la neutralité hydraulique de ces aménagements. Par exemple,  le  Conseil  scientifique  du  comité  de  bassin  Seine-Normandie  juge  que  «  la  question  de  la  cohérence entre les deux projets semble encore mal établie, notamment pour la gestion hydraulique » et que « la mise en perspective  économique  comme  environnementale  des  deux  projets  reste  à  faire  ». » (LEGRAND, Patrick (directeur de publication). Crue Seine-Bassée, Débat public, Projet d’aménagement de la Bassée, Compte-rendu du débat [en ligne]. Commission Nationale du Débat Public, Paris. 30/03/2012. Disponible ici (Consulté le 28/12/2013) – cf. Bilan Bibliographique) C’est dans ce contexte que la CNDP commande une expertise portant sur cette notion.

D’autres scientifiques indépendants sont aussi sceptiques devant la neutralité hydraulique. Michel POULIN explique avoir rencontré un grand nombre de personnes aux avis très variables sur la question. Pour l’hydrogéologue, c’est le point le plus délicat du projet et de nombreux acteurs n’y croient pas.

« […] nous avions parlé de la neutralité lors d’une rencontre avec des personnes d’une antenne de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie. Les élèves et moi avions alors constaté qu’ils n’étaient pas convaincus de la neutralité. »

Cependant, Amélie ASTRUC affirme que les rapports d’expertise réalisés entre autres par Ludovic OUDIN prouvent la neutralité hydraulique des deux ouvrages : « Voilà donc neutralité hydraulique c’est un concept que les gens ont beaucoup, beaucoup de mal à comprendre. Je pense que personne n’a compris et même une fois qu’il y a eu l’expertise hydraulique, personne n’a vraiment compris. »

La proposition de créer une activité de tourisme vert dans la région est intéressante à condition qu’elle ne menace pas les écosystèmes protégés de la réserve.

« C’est intéressant effectivement de développer du tourisme vert dans le coin. Pour nous aussi, c’est une de nos missions, même au sein de la réserve, de faire découvrir le patrimoine naturel aux gens, que ce soient les locaux ou les gens qui viennent ici en vacances… » (J.S)

« Après nous on a aussi un petit peu de méfiance là-dessus parce que comme on a une réserve naturelle protégée, on fait attention aussi à la sur-fréquentation. Voilà, on est pour un développement touristique mais pour ce qui est de la réserve en tout cas on veut que ce soit maîtrisé. » (J.S.)

« Tourisme vert mais il faut voir quel type d’activité aussi. Il faut que ce soit compatible avec la réglementation et puis les différents périmètres réglementaires quoi, même en ce qui concerne Natura 2000. » (V.M.)