Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Christophe Parisot Entretien

6 avril 2014 | Commentaires fermés

Rencontre avec Christophe Parisot

  • L’ouvrage est purement hydraulique et n’a pas été assez réfléchi d’un point de vue écologique. L’aspect écologique a même été mis de côté par l’EPTB Seine Grands Lacs.
  • Les digues auront un impact néfaste sur l’environnement, tant dans la phase de construction que dans la phase d’exploitation du projet.
  • Les inondations prévues n’étant pas naturelles, l’impact écologique est méconnu et ne fait pour l’instant l’objet d’aucune étude scientifique.
  • La question de la gestion dépôt de sédiment dans les casiers n’a pas encore été résolue.
  • C’est une aberration que de ne vouloir faire des inondations écologiques que sur le secteur de la Bassée.
  • Le fonctionnement à plein des casiers risque de créer une connexion entre les casiers et entre les différents espaces aquatiques des alentours.
  • Le fonctionnement des pompes est incertain.
  • L’EPTB Seine Grands Lacs n’a pas envisagé d’autres solutions techniques que celle du pompage et n’a pas suffisamment étudié de solutions alternatives comme les solutions gravitaires.
  • La solution technique proposée par Seine Grands Lacs est ancienne et n’est pas en phase avec les considérations écologiques actuelles.
  • Seine Grands Lacs n’a pas suffisamment pris en compte les populations qui vont subir l’ouvrage.
  • Un déficit de gouvernance est à déplorer au niveau du suivi du projet.
  • L’EPTB a voulu satisfaire tous les acteurs indépendamment, ne parvenant pas à créer une véritable unité dans le projet.

L’ouvrage est purement hydraulique et n’a pas été assez réfléchi d’un point de vue écologique. L’aspect écologique a même été mis de côté par l’EPTB Seine Grands Lacs.

 « C’est un ouvrage hydraulique à qui je fais justement le reproche d’être uniquement hydraulique et de ne pas avoir été suffisamment réfléchi d’un point de vue écologique puisque je pense qu’il y avait d’autres alternatives qui auraient pu allier les deux, y compris sur l’aspect fonctionnel. C’est un ouvrage hydraulique sur lequel ils souhaitent prendre des mesures écologiques pour compenser l’impact de l’ouvrage et potentiellement restaurer les milieux. Il faut distinguer ces deux aspects.

« Ce qui est programmé, c’est ce qu’on pourrait appeler du « moins pire ». Il y a tous les aspects positifs que l’on peut voir en disant « Ils vont remettre de l’eau dans une zone qui n’est plus inondée et ça va peut–être permettre à certaines espèces de retrouver leur habitat d’origine dans les secteurs ou ils mettront de l’eau régulièrement » et dans cette volonté de vocation écologique, ce n’est pas inintéressant. Après, il y a tout ce qu’il y a autour c’est-à-dire, les digues, les pompes et les aménagements qui vont faire que l’on va détruire énormément pour faire ces ouvrages et qu’on va modifier le paysage et son fonctionnement »

« Le projet en tant que tel, c’est, pour pas mal d’acteurs, une aberration écologique. C’est un ouvrage hydraulique à l’ancienne sauce : on met des grosses digues et des grosses pompes et après, il y a des mesures environnementales qui sont prises pour améliorer la situation. »

Réévaluation de l’aspect écologique du projet :

« On l’inonde pour favoriser l’aspect environnemental qui, pour le moment a été sérieusement remis en cause, et à un moment commençait même à être mis de côté de la part de Seine Grands Lacs parce qu’il n’est pas vraiment apprécié d’un point de vue local, les gens ne comprenant pas pourquoi on va remettre de l’eau alors qu’il n’y en a plus. »

  Amélie ASTRUC ne partage pas ce point de vue. Elle assure que le projet s’inscrit dans une véritable démarche écologique consistant à redonner à la Bassée aval ses caractéristiques de zone humide d’autrefois : «  On a aussi le deuxième objectif de notre projet, qui consiste à améliorer et valoriser la Bassée de manière écologique puisque la Bassée aval perd ses caractéristiques et ses qualités de zone humide. ».

 De plus elle ajoute que cette vocation écologique se construit sur un dialogue avec les autres acteurs : « Et on a eu énormément de questions de la part des locaux sur l’impact du projet – impact sur tout, sur les usages, sur les habitats, sur faune-flore, sur la nappe souterraine, aussi bien en qualitatif qu’en quantitatif. »

D’après Julien SCHWARTZ et Violaine MESLIER, la dimension environnementale du projet se limite à un argument de communication : « J.S. : Non, non ça c’est complètement exagéré… C’est du pipeau… Parce que au début l’objectif  pour eux était de diminuer le risque d’inondation sur Paris et effectivement, maintenant, ils placent au même niveau l’objectif de restaurer les zones humides naturelles dans la Bassée alors que, faut être francs, ils en ont rien à faire de ça. C’est pas leur…

V.M. : Le véritable objectif c’est effectivement de réduire les inondations sur Paris. Point. Après ce qui se passe sur le territoire c’est plus pour cacher. C’est de la com’. Clairement. »

Pour eux, cela ne fait aucun doute que la dimension environnementale n’est pas une priorité de l’EPTB. N’y figurent d’ailleurs selon elle pas de propositions intéressante : « V.M. : Genre, « Natura 2000 euh… c’est bon, c’est pas si important que ça on verra à la fin ». Donc c’est pour montrer aussi un peu l’intérêt qu’ils portent aux différents statuts réglementaires en termes de protection de la nature.

Q : Donc vous avez l’impression que l’environnement, finalement, ça passe un peu au deuxième plan ?

V.M. : Ben, voilà, après ils font tout pour faire des restaurations, des aménagements, des créations d’annexes hydrauliques etc… Mais bon, ça existe déjà… »

Les digues auront un impact néfaste sur l’environnement, tant dans la phase de construction que dans la phase d’exploitation du projet.

« Aujourd’hui, on va quand même avoir des digues qui vont faire 4 mètres de haut par endroits sur près des 2/3 du tracé. Ça fait des bases qui vont faire 15-20 mètres. Sur plusieurs kilomètres, ce n’est pas neutre du point de vue écologique, ce n’est pas neutre du point de vue de la circulation des espèces, ce n’est pas neutre du point de vue paysager, ce n’est pas neutre non plus du point de vue des dommages collatéraux dus à la construction de ces digues. »

« Construire des digues, cela veut dire des pistes de chaque côté,  des engins qui vont circuler pendant des jours et des jours à charrier de la terre, des matériaux qui ne seront pas forcément de la pierre mais qui seront argileux, entre autres, donc qui vont nécessiter d’ouvrir des carrières, pas en Bassée, pour le coup, mais dans les alentours pour aller chercher les matériaux nécessaires. »

« Après il y a la volonté très claire et affirmée de faire des économies en utilisant ces digues pour accueillir les déchets du Grand Paris. Tous les déblais et remblais qui vont avoir lieu pour les constructions des lignes ferroviaires sur la petit-moyenne couronne, on va dire. On est sur quelque chose qui écologiquement est une totale aberration. On va chercher des terres à 80 km qu’on va ramener par camion et/ou par bateau pour ensuite les reprendre et les transporter à nouveau pour les mettre en place sur des digues. »

«  C’est aberrant sachant qu’en plus, il faudra des matériaux argileux qu’on devra aller chercher dans des carrières alors que la DRIEE explique à tous les carriers qu’il faut limiter les carrières et qu’il faut faire en sorte d’économiser les ressources.»

 

L’étude d’Hydratec-Terrasol commanditée par Seine Grands Lacs (Hydratec/Terrasol. Etude des ressources disponibles de matériaux dans le cadre de l’opération « d’aménagement de la Bassée », 016FR079 – IIBRBS [en ligne]. 2011. 87 pages. Disponible sur http://www.debatpublic-crueseinebassee.org/DOCS/ETUDES/CONCEPTION/HYDRATEC_TERRASOL_2011/DISPONIBILITE_DES_MATERIAUX/DISPONIBILITE_MATERIAUX_HYDRATE.PDF. (consulté le 14/01/2014). cf. Bilan Documentaire) semble pourtant indiquer que l’EPTB Seine Grands Lacs voulait s’inscrire dans une démarche de développement durable : « Les Grands Lacs de Seine souhaitent la réalisation d’un projet intégrant des critères de développement durable, notamment vis-à-vis de la consommation de ressources naturelles et la lutte contre le changement climatique (émission de gaz à effet de serre) : cet aspect n’a pas été approfondi lors de l’étude globale en tous cas en ce qui concerne la problématique des matériaux. »

 « Pour accomplir cette démarche, l’EPTB Seine grands lacs s’engagerait à:

• évaluer et choisir la solution la plus économe en gaz à effets de serre pour l’acheminement des matériaux à la condition qu’elle soit économiquement viable,

• privilégier l’utilisation de matériaux réutilisés pour réaliser les digues,

• utiliser des matériaux ne polluant ni les sols, ni l’air, ni les eaux, et ne portant pas préjudice à la sécurité et à la santé des personnels,

• faire appel le plus possible à la main d’œuvre et à l’économie locale pour la construction des ouvrages,

• utiliser des matériaux à longue durée de vie et faciles à entretenir,

• utiliser des matériaux dont la mise en eau n’altérerait pas la qualité des eaux. […] comme préconisé par l’ADEME.»

D’après Violaine MESLIER, les digues sont surtout synonymes de travaux conséquents et de contraintes pour les riverains : « C’est pas anodin, les travaux qu’ils prévoient de faire : on parle de digues qui vont faire plusieurs mètres de haut. Derrière y a des propriétés, y a des fermes, y a des agriculteurs. Donc c’est pas anodin. »

« Et pour les riverains ? Je sais pas, si moi… si j’avais un terrain dans le coin, avoir des digues de 3-4m… y a des gens, notamment y a un fermier qui habite ici, il va se retrouver entouré de murs, de digues hyper hautes. Surtout qu’ici il paraît que ça va être super haut, les digues. Donc… Voilà, il y a une réalité derrière. »

Les inondations prévues n’étant pas naturelles, l’impact écologique est méconnu et ne fait pour l’instant l’objet d’aucune étude scientifique.

« Ce n’est pas une inondation naturelle, on ne sait pas du tout comment vont se comporter les espèces »

« C’est un projet sur lequel on joue beaucoup à l’apprenti sorcier en partant beaucoup du principe, les bureaux d’étude en écologie étant les premiers à le dire, « Les espèces vont s’adapter, ils vont grimper, ils vont se sauver, et ça va aller ». Aujourd’hui, personne ne sait ce que fait une crue de 3-4m de haut puisqu’il n’y a jamais eu de suivi simple là-dessus. »

« aujourd’hui pour faire un suivi écologique, il faudrait qu’il y ait des laboratoires de recherches sélectionnés pour travailler dessus et je n’en entends pas parler pour le moment. »

« On va avoir 2m50 à 3m d’eau. Ce n’est pas une inondation naturelle, on ne sait pas du tout comment vont se comporter les espèces, on ne connait pas l’impact des importants dépôts de sédiments qu’il ne va pas manquer d’y avoir. »

« Aujourd’hui, personne ne sait ce que fait une crue de 3-4m de haut puisqu’il n’y a jamais eu de suivi simple là-dessus. Quel impact ? Quel impact sur les sols ? Quand vous mettez un mètre d’eau sur un sol, c’est une chose mais quand vous mettez 3 mètres, ce n’est pas le même poids. Il y a aussi le problème de la pression, du tassement… »

 

Pour Amélie ASTRUC, les inondations artificielles des casiers n’auront pas plus d’impact sur l’environnement qu’une inondation naturelle : « Je ne sais pas, je me demande toujours pourquoi les gens ne se posent jamais la question d’une inondation naturelle. Dans le cadre d’une inondation qui se fait naturellement où la Seine déborde dans son lit majeur c’est pareil. Enfin, peut-être que la dynamique n’est pas la même, effectivement par pompage on remplit plus vite que dans le cas d’une inondation naturelle et peut-être sur des hauteurs supérieures mais voilà, pas plus loin qu’à l’amont de Bray sur Seine, la Seine déborde naturellement.» 

L’AGRENABA dispose elle aussi de peu d’information concrète quant aux impacts concrets de l’aménagement sur les espaces protégés de la réserve naturelle : « Disons que comme ce sont des zones qu’on connaît pas énormément encore. Bon on commence à s’y intéresser justement en tant qu’animateurs Natura 2000. Disons qu’on peut pas donner… on a pas de connaissances aussi précises que d’autres associations naturalistes, l’ANVL etc… la Maison de l’Environnement ou Seine et Marne Environnement, qui eux ont une connaissance plus globale de la Bassée. » (Julien SCHWARTZ)

Cependant, Julien SCHWARTZ n’incrimine pas l’EPTB pour l’absence lors du débat public d’étude écologique approfondie. Il prend en compte la procédure dans laquelle s’inscrit le projet. Ces études devront certes être réalisées, mais elles n’étaient pas à exiger lors du débat public : « Moi je suis pas aussi critique que Christophe Parisot, mais simplement du fait que par rapport à un projet d’aménagement comme ça, il y a différentes étapes. Là on sort du débat public et moi on m’a fait comprendre, les gens de Seine Grands Lacs m’ont fait comprendre que c’était pas… qu’on était dans le stade des pré-études et que les études d’impacts allaient venir plus tard. C’est pour ça que pour le moment je me contente des études qui sont faites, mais il est clair que si par exemple on en arrivait l’année prochaine, je sais pas, je connais plus le calendrier mais si  au moment des études d’impact le projet se précise, il y a eu enquête d’utilité publique et finalement par exemple on part sur le fait que le premier casier se fasse, il faudrait pas qu’à ce moment-là ils nous disent, « voilà on a fait les études d’impact, on vous les a présentées… » C’est sûr que là on sera pas d’accord du tout, il faudra, en termes d’études d’impact, qu’il y ait vraiment des études beaucoup plus poussées que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. »

La question de la gestion dépôt de sédiment dans les casiers n’a pas encore été résolue.

« on ne connait pas l’impact des importants dépôts de sédiments qu’il ne va pas manquer d’y avoir. On peut en avoir lors d’une crue, mais là on est sur des masses d’eau plus importantes et sans aucune circulation pendant une semaine où on a de l’eau qui stagne donc qui va énormément se décharger, avec des opérations promises de nettoyage où on ne sait pas trop ce qui est prévu. Aujourd’hui on ne sait pas si c’est du nettoyage, à quel point on nettoie, comment on nettoie, avec quel procédé. »

« et on ne sait pas trop comment ça va se passer pour le nettoyage. On ne sait ce que ça va donner, comment cela va être fait ? Est-ce qu’on va passer des coups de pelleteuse pour retirer ce qui est le plus important ? Quel impact cela va-t-il avoir sur les petites dépressions qui vont se retrouver complètement comblées de 15, 20 ou 30 cm de boues ? Tout ça, c’est des questions, pour le moment, qu’on ne connait pas. »

Sur la solution du filtrage éventuel de l’eau : « Vous ne pouvez pas avoir énormément de débit et en même temps filtrer l’eau puisque ça ralentit le débit. Ils ont réfléchi à mettre des bassins en sortie de pompe pour casser la dynamique de l’eau mais ce n’est pas ça qui va tout déposer à cet endroit-là. On est sur des débits énormes et on veut remplir en 3-4 jours. C’est compliqué de filtrer, l’eau sera toujours chargée. »

Pour Michel POULIN, la solution du filtrage de l’eau n’est pas envisageable non plus : « Il y a même des gens qui pensent à traiter cette eau avant de la réinjecter dans le sol, on en arrive alors à une solution complètement Shadock. Cela a été envisagé. Les associations de protection de la nature répondent alors que si on filtre cette eau, alors il faut la traiter. On en arrive alors à une solution totalement infaisable. »

 

 C’est une aberration que de ne vouloir faire des inondations écologiques que sur le secteur de la Bassée.

« Lorsqu’on va avoir ces inondations, et ça c’est l’intérêt des inondations écologiques qu’il faudrait faire sur l’ensemble des bassins de façon régulière, le but est de réhabituer les espèces à réagir aux inondations puisqu’on a un écosystème qui n’est plus adapté à ce genre d’évènements. Le fait de dire : « on fait des inondations écologiques que sur certains secteurs » c’est une aberration écologique. Il faudrait habituer les espèces, dans tous les projets de bassin, à suivre ces nouvelles influences. »

Le fonctionnement à plein des casiers risque de créer une connexion entre les casiers et entre les différents espaces aquatiques des alentours.

« Les crues naturelles ont deux grandes modalités en Bassée. Cette année, on a eu des crues de nappes, c’est-à-dire que c’est la nappe qui déborde. D’autres années, on a eu des crues de débordement. Il y a certains milieux, qui sont d’ailleurs difficilement accessibles par les crues de débordements, et qui dépendent essentiellement des crues de nappes. »

« Maintenant, on ne peut pas dire que les deux ne seront jamais en contact, cela dépend des années et des cycles, les cycles étant plus ou moins longs, certaines zones restant plus souvent en remontée de nappes et étant parfois connectées au fleuve. »

« Là, comme on va mettre une quantité d’eau non négligeable, on est quasiment sûrs à chaque moment où on fera fonctionner l’ouvrage à plein qu’il y aura une connexion entre tous les casiers. Mais on ne peut pas vraiment dire que ça n’a pas été pris en compte puisque les bureaux d’études les ont alertés suffisamment tôt sur ce point. »

«  Après, la problématique c’est : une fois qu’on a inondé, qu’est-ce qu’on fait pendant la phase de fonctionnement ? On va avoir énormément de déchets. Il y a des plans d’eau avec des espèces invasives qui vont donc se répandre sur tout l’écosystème. On a des plans d’eau où des gens ont des pêches pour touristes pêcheurs qui vont se retrouver un peu partout. Tout cela va être en connexion et on ne sait pas trop comment ça va se passer pour le nettoyage.  »

Michel POULIN pense lui-aussi à l’impact sur les espaces aquatiques des alentours, notamment à la contamination des nappes phréatiques : « Si vous apportez de l’eau de la rivière sur les terrains, imaginons qu’à certains moments l’eau de la rivière ne soit pas de bonne qualité, vous allez endommager votre nappe. Effectivement, dans un régime naturel, il n’y a pas de raisons que l’eau de la rivière soit plus propre. Mais il y a ce type d’argument. Si on met en place un casier pilote qui permet d’infiltrer dans les aquifères de la Bassée des eaux d’une qualité moyenne, cela pose un problème. »

 

Le fonctionnement des pompes est incertain

« Est-ce que les pompes auront suffisamment de puissance pour mettre assez d’eau assez rapidement pour laisser passer une crue naturelle de l’autre côté, c’est une grosse incertitude. »

« Les pompes vont-elles bien démarrer quand on en aura besoin ? On est partis sur des grosses pompes diesel qui vont fonctionner tous les 7 ans. Mais on va peut-être ne pas s’en servir pendant 15 ans et dans ce cas, le jour où on va vouloir les démarrer, vont-elles vraiment le faire ? Il y a énormément d’incertitudes techniques. »

Michel POULIN partage ce point de vue et s’inquiète du fonctionnement des pompes : «En pratique, pouvoir disposer d’un ensemble de pompes capables de véhiculer 200 mètres cubes par seconde, ce n’est pas trivial, surtout si ces pompes ne sont pas mises en route souvent. C’est un problème d’ingénierie qui n’est vraiment pas évident. Mais tout le monde sait que ce n’est pas simple. »

L’EPTB Seine Grands Lacs n’a pas envisagé d’autres solutions techniques que celle du pompage et n’a pas suffisamment étudié de solutions alternatives comme les solutions gravitaires.

« Lors du dernier atelier thématique sur l’environnement, on a lourdement insisté sur le fait qu’il fallait absolument que ce soit non pas par des pompes mais au moins en partie par des systèmes gravitaires qui sont faisables mais qu’ils n’ont jamais voulu accepter d’envisager. En effet, avant le débat public, les premières consultations des acteurs publics remontent à 2000, depuis ces années-là, j’avais proposé qu’ils fassent des scénarios différents. Ce qui leur est reproché, c’est d’être mono-scénario et d’avoir rejeté tous les autres scénarios en disant « ce n’est pas possible ». Je leur avais proposé d’étudier des systèmes d’alimentation gravitaire mais ils nous disent que ça ne marche pas mais jamais ils ne nous apportent les preuves que ça ne marche pas. Ils nous disent « on a fait des études, vous pouvez les télécharger », bon très bien, mais la grosse difficulté aujourd’hui, c’est la non-remise en cause du projet avec des acteurs importants qui considèrent qu’ils auraient dû proposer d’autres scénarios sur le système de digues et sur le système de remplissage de façon à être sûr que l’option choisie était la meilleure. »

« Aujourd’hui, on ne nous a jamais proposé de scénario alternatif. Il a été évoqué rapidement, en début de débat public qu’ils avaient regardé d’autres systèmes qu’ils avaient rejetés mais sans nous dire pourquoi. Ils n’ont jamais cherché à faire des scénarios avec des couplages de mesure, par exemple, faire en sorte de réinonder la Bassée avale mais avec des ouvrages de dissipation de crues sur l’Ouin et sur l’Yonne, par exemple. Ça c’est des choses qu’ils n’ont jamais creusées et c’est pour cela que la question aujourd’hui se pose : ne sont-ils pas obsédés par leur projet sans vouloir en sortir. A mon avis, ils auraient pu faire quelque chose qui écologiquement, pouvait avoir tout son sens, qui économiquement pouvait être beaucoup, beaucoup moins cher et qui aurait eu une efficacité similaire voire supérieure parce que le but c’était de compléter avec d’autres dispositifs sur d’autres cours d’eau.  »

Amélie ASTRUC explique cependant que le système gravitaire n’était pas envisageable. Une étude comparative a notamment été commanditée auprès d’Hydratec afin d’exclure les différents scénarios gravitaires :

« Mais pour nous, c’est pas possible de le faire gravitairement parce que comme la Seine a été recalibrée au début des années 80, la Seine ne déborde plus. Donc on est obligés de recourir à du pompage pour remplir ces casiers. »

« on n’avait pas d’archives sur les éventuelles alternatives gravitaires qui ont été menées donc après le débat public on a fait faire des études hydrauliques par notre bureau d’étude Hydratec avec un recensement de toutes les alternatives gravitaires envisageables et on les a toutes étudiées à un stade très préliminaire. Mais c’était un stade suffisant pour démontrer qu’il n’y a aucune alternative gravitaire qui permette d’avoir l’efficacité de la Bassée, ou s’il y a des alternatives gravitaires qui étaient comparables, il y a des contraintes énormes sur le territoire. »

Il est toutefois vrai que l’étude d’Hydratec décrédibilise la solution gravitaire par rapport à celle de pompage. C’est aussi les conclusions auxquelles sont arrivées des élèves de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris dans le cadre d’un projet de recherche sur l’aménagement de la Bassée, encadré par Michel POULIN (AURIOL Jean ; BAYON de NOYER Lia ; BAYVET Paul ; DUPUIS Léonard ; ENEE Maud ; FAURE Maeva ; JACQUOT Grégoire ; LANDON Olivier ; LEGRAND Julien ; PETRIAUX Marine ; VERNIER Suzanne (Élèves de première année, cycle ingénieur civil, promotion 2012). Protection de Paris contre les crues, rapport de MIG (Métiers de l’Ingénieur Généraliste), Mines ParisTech, décembre 2012. - cf Bilan Bibliographique): « Une autre solution serait de créer un canal qui apporterait, grâce à la gravité, les eaux dans ces casiers. Il faudrait prélever l’eau en amont, avec un bon débit, et l’apporter vers les casiers. On a étudié cette solution durant le MIG qui n’était pas viable financièrement. »

La solution technique proposée par Seine Grands Lacs est ancienne et n’est pas en phase avec les considérations écologiques actuelles.

« On est sur un projet qui est vieux de 30 ans, ces casiers là ils étaient déjà dessinés dans les années 70, moi je les ai vus pour la première fois dans les années 90. Ce n’est pas neuf. On est sur un système hydraulique du même âge. Ce n’est pas un système novateur même si il y a une volonté d’essayer d’amoindrir les impacts, voire de faire de la restauration écologique par endroits. On n’est pas sur quelque chose de restauration d’une zone humide avec un fonctionnement le plus naturel possible de façon à ce que ça marche le plus possible. On a un grand bassin, on le remplit d’eau et on le vidange. On est sur quelque chose de purement hydraulique. »

Ce point de vue transparaît bien  dans les articles de la revue spécialisée Houille Blanche (volume 52, Issue 8) (cf. Bilan Bibliographique) datant des années 1990 et traitant déjà du projet d’aménagement de la Bassée.

Seine Grands Lacs n’a pas suffisamment pris en compte les populations qui vont subir l’ouvrage.

« Les propos locaux sont relativement simples : « Nous si on est inondés, on veut bien subir, mais comme on le subit pour protéger les autres des inondations, il faut que ce soit du donnant-donnant donc, payez-nous pour subir les inondations. » C’est un propos qu’on peut entendre. On parle de service éco-systémique par la nature, là, c’est des personnes qu’on va obliger à subir ce que tous les autres considèrent comme une nuisance. Ils peuvent accepter de faire l’effort pour peu qu’il y ait un impact positif sur leur développement local. Mais aujourd’hui, ce n’est pas du tout dans cet esprit-là. Aujourd’hui on est dans un esprit : « on vient vous faire un ouvrage chez vous. On va vous donner des miettes de pain » qui réduisent, d’ailleurs, au fur et à mesure du temps puisqu’on s’aperçoit qu’au début c’est des grandes promesses et puis au final, plus ça va, plus ça réduit. Donc, on est dans un système qui est encore à l’ancienne où on ne prend pas en compte les populations qui vont subir l’ouvrage. »

Amélie ASTRUC explique que le tracé des digues a été réalisé en concertation avec les populations locales : « Tout ce tracé a été établi en concertation avec les acteurs locaux. »

Violaine MESLIER ne partage pas ce point de vue et déplore un déni des réalités de terrain de la part du maître d’ouvrage quant à ce tracé de digues : « Et puis même, pour les gens du secteur, qu’est-ce que ça va leur apporter ? Rien. Concrètement les avantages qu’ils vont en tirer, des petits aménagements à droite à gauche. Et pour les riverains ? Je sais pas, si moi… si j’avais un terrain dans le coin, avoir des digues de 3-4m… y a des gens, notamment y a un fermier qui habite ici, il va se retrouver entouré de murs, de digues hyper hautes. Surtout qu’ici il paraît que ça va être super haut, les digues. Donc… Voilà, il y a une réalité derrière. »

Certes, elle ne remet pas en cause les efforts de l’EPTB mais ne se satisfait pas du résultat : « Oui ben j’en doute pas moi, qu’ils essaient de… comment dire ? de concilier les différents enjeux qu’il y a au niveau du territoire. Mais il s’avère que là si on regarde certains potentiels casiers, ils peuvent pas faire autrement. »

Un déficit de gouvernance est à déplorer au niveau du suivi du projet.

 

« quand on voit des projets comme cela l’Etat n’est même pas capable de dire : « mettez tout votre argent pour les études dans un seul et même panier et on fait une très grosse étude et on regarde tout d’un coup ». A partir de ce moment-là, chacun refait ses études de son côté en essayant de trouver quelque synergie mais on s’aperçoit qu’on n’aboutit pas à quelque chose qui serait idéal. »

« Là, aujourd’hui, on a quasiment en simultané trois études différentes : une qui a été demandée aux carriers, une qui a été demandée à VNF, une qui a été demandée à Grands Lacs de Seine. Ça c’est les trois grandes, après il y en a plein de petites. Il faudrait dire : nous on a besoin de cet état initial à partir de maintenant pour pouvoir évaluer les impacts cumulés, vous mettez tout dans le même pot, on a besoin d’une étude hydrologique, d’une étude hydrogéologique et d’une étude écologique. Là c’est les bureaux d’étude qui rigolent parce qu’ils arrivent à vendre quasiment les mêmes résultats. Si on mettait tout dans le même pot, cela permettrait à l’Etat de complètement maîtriser les études, de poser toutes les questions qu’il y a pu avoir et d’avoir quelque chose qui soit utilisable y compris avec des programmes de suivi sur l’ensemble de Bassée et non pas secteur par secteur. C’est aussi une erreur de la part de l’Etat de ne pas profiter de cette centralisation. »

Lucien TOUX ne partage pas ce point de vue. Dans son objectif de préservation de l’environnement, GSM-Granulats travaille beaucoup avec des bureaux d’études en écologie. Ils ont donc commandité de nombreuses études d’impact dans le cadre de leurs projets de restauration post-exploitation. Cependant, la nature de l’ouvrage de l’EPTB Seine Grands Lacs est très différente de celle des carrières de GSM-Granulats et nécessite donc de nouvelles études:

«  L’EPTB Seine Grands Lacs veut faire de la restauration écologique. Vous, de votre côté, vous faites un véritable effort de restauration sur les zone exploitées dans le passé. A priori, sur la question écologique qui est mal évaluée puisqu’on ne sait pas l’impact de l’ouvrage sur l’environnement, n’avez-vous pas une connaissance de terrain qui pourrait être utile puisque vous avez déjà fait de la restauration écologique dans la zone ?

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce ne sont pas les mêmes conditions. On travaille aussi avec des bureaux d’étude comme écosphère qui sont très pointus et qui connaissent très bien la Bassée. Nous on a des connaissances mais ce n’est pas notre corps de métier. »

« Vous êtes donc commanditaires de nombreuses études écologiques dans la région ?

Oui »

« Il y a deux choses. Il y a l’état initial comme celui des habitats, c’est un premier diagnostic pour savoir ce que l’on modifie si on modifie cette zone. Et puis, il y a ce qui va se passer pendant et après. L’état initial, c’est une sorte d’inventaire que l’on fait quand on fait des aménagements pour obtenir des dérogations. Le service rendu  par l’aménagement derrière, c’est une autre étude qui peut être différente. D’ailleurs, l’état rendu peut être très différent de l’état initial. C’est une étude globale qui est propre à l’aménagement lui-même. L’impact écologique des casiers n’est pas le même que quand on fait une carrière avec restitution des plans d’eau, etc. Là où on retrouve une expertise commune éventuelle, c’est sur le bureau d’étude qui fait l’état initial et l’inventaire des espèces. »

Cette conclusion ressort aussi du rapport de l’OCDE commandité par l’EPTB Seine Grands Lacs et paru en janvier 2014 (OCDE. Etude de l’OCDE sur la gestion des risques d’inondation : La  Seine en Ile de France 2014 [en ligne]. Editions OCDE. 2014. Disponible sur : http://dx.doi.org/10.1787/9789264207929-fr  (Consulté le 29/01/2014) ISBN 978-92-64-20792-9 – cf. Bilan Bibliographique) : « Tout l’enjeu est de résoudre les défis de gouvernance pour permettre une mise en œuvre pleinement efficace pour une réduction effective du risque d’inondation. »

C’est aussi ce qui ressort de la question d’Yves POZZO DI BORGO (POZZO DI BORGO, Yves ; LETARD, Valérie. Projet de la Bassée et risque de crue à Paris – 13ème Législature. Question orale sans débat n°09435 de Yves Pozzo di Borgo publiée dans le JO du Sénat du 03/06/2010 ; Réponse du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre d’Etat, Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, publiée au JO du Sénat du 07/07/2010 [en ligne] in Site internet du Sénat. Disponible sur : http://www.senat.fr/questions/base/2010/qSEQ10060943S.html (Consulté le 27/01/2014) - cf. Bilan Bibliographique) au Sénat : « La façon dont vous m’avez annoncé le calendrier et le financement signifie que le projet traînera encore pendant des années. Or, il est nécessaire d’aller plus vite. Et, je suis désolé, Madame le Secrétaire d’État, les éléments de réponse que vous m’avez communiqués, nous les connaissons depuis toujours ! J’avais simplement besoin de savoir si le Gouvernement avait donné une impulsion : je ne la sens pas dans ce dossier-là ! »

Amélie ASTRUC partage ce point de vue : «  Qu’il y a un problème aussi au niveau de la gouvernance du risque d’inondation qui est très disséminée entre les différents ministères. Voilà donc c’est le ministère de l’intérieur pour la protection civile, le ministère de l’environnement pour la prévention du risque inondation d’un point de vue plus hydraulique ou environnemental, les mairies qui sont en charge de la protection des riverains. Voilà donc il y a beaucoup de responsabilités qui sont disséminées entre plein de services différents, il y a un déficit de gouvernance… »

« c’est sûr que c’est très dilué. On travaille avec la DRIIE Ile de France, qui s’occupe de tout ce qui est directives inondations, mise en place du PGRI (Plan de Gestion du Risque Inondation), des stratégies locales mais on est aussi porteur de certains comités de travail. Il y a la préfecture de police qui s’occupe de la sécurité civile. Bon, il y a une répartition des tâches qui se fait, mais bon on a un peu l’impression que des fois, il y a des compétences qui se superposent. On a des limites de prestation qui sont un peu floues. »

Julien SCHWARTZ soulève quant à lui la certaine ambiguïté du rôle joué par des acteurs majeurs tels que l’Etat ou l’Agence de l’Eau Seine Normandie, devant concilier exigences économiques et écologiques : « Euh l’Agence de l’Eau, oui… enfin, ils seraient moins, je les placerais un peu en dessous de l’Etat mais… Oui parce que c’est vrai qu’on est conscients que eux ils jouent un rôle dans le développement économique etc… et qu’ils doivent aussi s’occuper d’écologie et d’environnement. Après j’imagine bien qu’ils se disent « On se concentre autant… enfin, trois quarts de notre temps on se concentre sur l’économie et un quart, encore si c’était un quart ce serait bien…  à l’écologie ». »

Enfin, le témoignage de Violaine MESLIER semble indiquer une complexité telle des procédures et des régulations que même les acteurs de premier plan peinent parfois à satisfaire toutes les exigences : «V.M. : Donc là, comme disait Julien, y avait la réunion, là, hier, des casiers, et l’EPTB vient de se rendre compte que la DRIEE les forçait à faire une évaluation des incidences, c’est une démarche qui est imposée par Natura 2000, avant de choisir le casier.

Q : Ça c’est un élément nouveau ?

V.M. : Ben, pour eux, ils l’envisageaient bien plus tard. Ça vient de leur tomber dessus. Eux ils l’envisageaient à la fin, genre « On choisit le casier et on verra ». »

L’EPTB a voulu satisfaire tous les acteurs indépendamment, ne parvenant pas à créer une véritable unité dans le projet.

 

« Au début, ils voulaient satisfaire tout le monde. Ils en sont donc même arrivés, à un moment, à dire qu’il y aurait des lampadaires sur toutes les digues. On était dans la démesure. Il faut que tout le monde soit content donc on met des lampadaires sur les digues pour satisfaire les élus. On fait des inondations écologiques, ça va satisfaire les écolos. C’était à l’emporte-pièce. On n’est pas dans un projet co-construit, on est dans un projet proposé. »

Selon Julien SCHWARTZ et Violaine MESLIER, le maître d’ouvrage n’est en tout cas pas au bout de ses peines en vue de concilier tous les points de vues, vue la multiplicité des acteurs : « V.M. : Faut concilier. Je pense qu’il y aura des conciliations des deux parts, enfin, de part et d’autre.

J.S. : Ben oui, ça va leur demander énormément de travail, hein, ça va être… Si il y a moyen de concilier tout le monde, tout le monde ne sera pas entièrement satisfait, ça c’est sûr, il faudra que chacun fasse des concessions. Et puis ça va leur prendre du temps quoi, pour pouvoir adapter selon les exigences de chacun. C’est sûr qu’ils vont essayer de le faire. D’un côté on peut pas leur en vouloir… c’est vrai qu’ils mettent en avant le côté écologique. Nous on trouve ça bidon. C’est vrai que c’est bidon, ils le font pour mieux faire passer la pilule, mais d’un côté ça se comprend. »

« Et c’est sûr qu’on est beaucoup d’acteurs donc ça fait beaucoup d’avis différents et entre les citoyens, les élus, les acteurs socio-économiques, enfin… » (Violaine MESLIER)

En tout cas, Julien SCHWARTZ loue le déroulement du débat public et le rôle qu’y a tenu l’EPTB Seine Grands Lacs : « Parce que, comment… le comité du débat public là, qui a organisé le débat public, je sais pas si ça les a vraiment forcés à se comporter comme ça, mais c’est vrai qu’ils font les choses, comme tu dis, très bien. Ils essaient d’être le plus transparents possible, ils font participer au maximum les acteurs du territoire avec ces ateliers. Je trouve ça c’est très bien. Y a des dizaines années, ça se passait pas comme ça. Après, je sais pas si ils sont peut-être obligés de… »