Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Amélie Astruc Entretien

27 mars 2014 | Commentaires fermés

Rencontre avec Amélie Astruc

  • Totale prise en compte des contraintes locales lors du tracé des digues.
  • Justification du choix de l’Yonne comme rivière d’implantation du nouvel ouvrage.
  • La protection contre le risque d’inondation ne doit pas légitimer une urbanisation aveugle de zones inondables.
  • Le financement du projet demeure un principal point de blocage.
  • Les enjeux environnementaux sont au cœur des préoccupations exprimées lors du débat public.
  • Ce projet repose également sur la volonté écologique de restaurer la zone humide de la Bassée.
  • Le scénario d’inondations sporadiques de la zone soutenu par l’EPTB n’est pas plus néfaste pour l’environnement qu’une inondation naturelle.
  • La zone de la Bassée n’est pas adaptée à l’aménagement d’un barrage réservoir.
  • Le retour d’expérience est un appui technique et un argument mis en avant dans la communication autour du projet.
  • Un remplissage gravitaire des casiers sans recours à un système de pompage n’est pas envisageable.
  • Des casiers réservoirs préférés à un barrage hydraulique.
  • Un déficit de gouvernance est à déplorer au niveau du suivi du projet.
  • Relations avec les élus.
  • Il est nécessaire d’étudier des critères précis dans le cadre du prélèvement d’une redevance auprès des collectivités locales.
  • Les efforts de communication de l’EPTB autour du projet ne rencontrent pas le même succès auprès de tous les publics.

Les spécificités topographiques, géologiques et économiques de la zone de la Bassée ont été prises en compte pour optimiser le tracé des digues.

« Le tracé des digues a été établi en prenant en compte les contraintes locales. Il s’agissait d’éviter les villages et la plupart des habitations. Il fallait éviter autant que possibles les usages tels que les carrières par exemples. »  « Là par exemple il y a une ferme d’importance qui est la ferme de la Grange donc le tracé des digues a été fait de manière à pouvoir l’éviter. » « Tout ce tracé a été établi en concertation avec les acteurs locaux. » Lucien TOUX partage ce point de vue. L’EPTB Seine Grands Lacs a lancé, entre 1999 et 2003 une grande phase de concertation avec les carriers de la région afin d’élaborer un tracé des digues qui pénalise le moins possible l’activité économique de la région. Certains casiers recouvrent tout de même des zones de gisements intéressants ou de carrières en cours d’exploitation. Cependant, cette phase de dialogue a abouti à une certaine satisfaction des deux partis qui estiment avoir réussi à trouver un compromis dans l’intérêt de tous.
«
Oui, le tracé a été fait au mieux. Il y a eu une très longue concertation, je confirme. Cela a duré de 1999 à 2003 environ. Pierre-Yves Durand a rencontré tous les acteurs de la Bassée. Lui avait une idée globale du tracé des casiers et après, il fallait regarder évidemment plus en détail en fonction des contraintes des exploitants de granulats mais pas que. Il y a eu des ajustements de tracé pour éviter de traverser des usines, par exemple et pour épouser le contour des exploitations de carrières, quand c’était possible. Il est bien sûr évident que ce n’est pas toujours possible. C’est une optimisation. »
«On demande juste que nos activités soient prises en compte. Cela a d’ailleurs été le cas grâce aux concertations entre 1999 et 2003. On ne veut pas que l’accès au ressources naturelles soient restreint pour les projets futurs et ne pas nous empêcher de travailler pour les activités en cours. On avait trouvé un terrain d’entente assez clair et qui est d’ailleurs repris dans le projet de casier unique. Ils tiennent compte de toutes les discussions qu’on a pu avoir. »
Christophe PARISOT ne partage pas ce point de vue. Il y aura effectivement des terrains appartenant à des personnes locales inondés. De ce point de vue, les habitants veulent bien subir cette nuisance mais si on leur verse une indemnité : « ils peuvent accepter de faire l’effort pour peu qu’il y ait un impact positif sur leur développement local. Mais aujourd’hui, ce n’est pas cet esprit-là. Aujourd’hui on est dans l’esprit « on vient vous faire un ouvrage chez vous, on va vous donner des miettes de pain » qui se réduisent d’ailleurs au fur et à mesure du temps parce qu’on s’aperçoit qu’au début, c’est des grandes promesses et qu’au final, plus ça va plus ça réduit. On est donc dans un système à l’ancienne. On ne prend pas en compte les populations qui vont subir l’ouvrage.». Il admet quand même que de nombreux efforts ont été faits : « On ne va pas inonder une maison. » mais déplore qu’on ne soit pas dans un esprit de conciliation : l’EPTB a refusé de racheter les terrains aux propriétaires qui étaient prêts à vendre. De même, Violaine MESLIER déplore un déni des réalités de terrain de la part du maître d’ouvrage quant à ce tracé de digues : « Et puis même, pour les gens du secteur, qu’est-ce que ça va leur apporter ? Rien. Concrètement les avantages qu’ils vont en tirer, des petits aménagements à droite à gauche. Et pour les riverains ? Je sais pas, si moi… si j’avais un terrain dans le coin, avoir des digues de 3-4m… y a des gens, notamment y a un fermier qui habite ici, il va se retrouver entouré de murs, de digues hyper hautes. Surtout qu’ici il paraît que ça va être super haut, les digues. Donc… Voilà, il y a une réalité derrière. »Certes, elle ne remet pas en cause les efforts de l’EPTB mais ne se satisfait pas du résultat : « Oui ben j’en doute pas moi, qu’ils essaient de… comment dire ? de concilier les différents enjeux qu’il y a au niveau du territoire. Mais il s’avère que là si on regarde certains potentiels casiers, ils peuvent pas faire autrement. »

Justification du choix de l’Yonne comme rivière d’implantation du nouvel ouvrage.

 « Au cours des années 80-90, il y a donc eu plusieurs études pour savoir où construire un nouveau projet. Il fallait que le projet puisse amortir les crues de l’Yonne. C’est la rivière qui cause toujours les problèmes de crue dans la région parisienne et c’est une rivière qui n’est pas bien contrôlée. »  « Par contre, celui que l’on a sur l’Yonne est très en amont et ne contrôle qu’une faible partie du bassin versant de l’Yonne donc il n’a pas énormément d’impact sur les inondations liées à l’Yonne. C’est pourquoi il fallait que l’on complète le dispositif pour cette rivière. » Michel POULIN pense aussi que c’était la dernière zone possible pour la construction d’un ouvrage pour la protection des crues : « Au départ, il s’agit de réduire le risque d’inondation et le projet s’avère d’une complexité extrême. Plus on se met à l’amont, plus c’est facile d’implanter des réservoirs grâce au relief, mais on intercepte qu’un pourcentage limité du bassin versant. Si on est à l’aval, par exemple vers Montereau, on a des reliefs faibles, il faut faire des digues compliquées d’où le système de casiers. Pour la vallée de l’Yonne il y a eu tout un tas de raisons qui ont rendu la chose impossible, à mon avis. Mais si on est vers l’aval, on intercepte un pourcentage plus important du bassin versant mais on a de gros problèmes techniques. […]Je pense que le secteur de la Bassée était le seul endroit que l’on pouvait imaginer »

La protection contre le risque d’inondation ne doit pas légitimer une urbanisation aveugle de zones inondables

« Il ne faut pas par exemple que parce qu’on a construit un nouvel aménagement contre les crues, que les gens en aval se sentent encore plus protégés et construisent encore plus en zone inondable. Que cela ne serve pas d’excuse à l’accroissement de l’urbanisation en aval dans les zones inondables. » On retrouve cette idée dans le document scientifique : CHERY, Vincent. Inondations : quels risques pour l’agglomération parisienne ? Annales des Mines, Réalités industrielles [en ligne]. Mai 2000. Pages 73 à 79. Disponible ici (Consulté le 06/01/2014) – cf. Bilan Bibliographique« Il est, en effet, incohérent de financer des ouvrages de protection, si l’on procède à l’urbanisation des zones inondables ou au remblaiement des zones naturelles d’expansion des crues, comme cela a été trop souvent le cas durant ces dernières décennies. »Pourtant cet argument d’un aménagement responsable peut être retourné contre le maître d’ouvrage comme le montre le témoignage de Julien SCHWARTZ, expliquant que la nécessité de restaurer aujourd’hui la zone humide de la Bassée est une conséquence directe de la perturbation de la dynamique fluviale par les quatre barrages-réservoirs gérés par l’EPTB Seine Grands Lacs : « Après on sait qu’on est dans un régime hydraulique, dans une dynamique alluviale, qui est complètement perturbée. Ça fait des dizaines d’années qu’on a plus les crues, qu’on a plus les inondations qu’on avait avant. Je crois que le siècle dernier, enfin le siècle dernier ça remonte à pas longtemps, enfin il y a plus de cinquante ans, tous ces espaces-là, déjà y avait pas de carrières et c’était sous l’eau, y avait juste le bois d’Isle qu’était hors d’eau, la ferme d’Isle…  […]Et bon, on est conscients que ça c’est un fonctionnement qui n’existe plus aujourd’hui parce qu’il y a les lacs, les grands lacs réservoirs. »

Le financement du projet demeure un principal point de blocage.

 « Sur le financement, de toute façon, on avait beaucoup de difficultés à financer un projet de 600 millions d’euros, donc on a eu aussi énormément de questions sur le cout qui paraissait extrêmement élevé et le financement qui paraissait totalement incertain. » « L’Etat finance les actions, à concurrence de 40-50 % et on veut compléter le tour de table du financement avec l’Agence de l’Eau Seine Normandie et la région Ile de France.» « Dans le cadre du PAPI, on n’est financé que sur la première partie du PAPI, que sur les trois premières années, sur la phase d’étude. On n’a pas encore le financement des travaux, et on ne l’aura pas avant 2016-2017 » Michel POULIN craint une explosion des coûts au fil de la construction : « On peut tester la faisabilité technique mais il est évident qu’il n’y a pas le financement pour ce projet. L’idée c’est de savoir ce que l’on peut faire avec un budget raisonnable. Il y a un risque non nul de dérapage financier puisque le projet est nouveau. Le budget initial peut être dépassé. C’est peut-être cela aussi que les gens n’osent pas dire : ils ne croient pas au projet et préfèrent payer peu pour voir si cela peut se montrer concluant. » Les élus locaux se montrent également sceptiques, ce qui transparaît bien souvent dans les média : « En Seine-et-Marne, le maire UMP de Montereau, Yves JEGO, avait dénoncé au printemps « un projet pharaonique pour éviter que l’eau ne monte de 30 centimètres à Paris », dont sa commune se trouve éloignée de 80 km. » (AFP. Crue de la Seine : vers un test de stockage de l’eau en amont de Paris. 24/09/2012. – cf. Bilan Bibliographique )Violaine MESLIER se joint à ces critiques d’un coût exorbitant, ceci en n’ayant pas en tête le montant du projet revu à la baisse : « V.M. : Ben, oui, faire des travaux qui vont coûter une fortune pour quels effets derrière, pour quelle efficacité ? On n’en sait rien et c’est des sommes astronomiques qui sont mises en jeu.
Q : Oui, là on parle de 100 millions d’euros.
V.M. : Combien ?
Q : 100 millions d’euros pour le projet du casier-pilote.
V.M. : 100 millions encore ..? Il me semblait que c’était plus que ça…
Q : Le projet initial c’était 500 millions.
V.M. : Oui c’est ça. Ah oui, d’accord. »Toutefois, elle évoque un autre enjeu qui est celui des compensations financières qui viendront s’ajouter au coût du projet en tant que tel, suivant le préjudice occasionné auprès de différents acteurs teritoriaux : « ils vont avoir des enveloppes à la fin pour des mesures de compensation des zones qui seront réellement impactées. Mais ça, c’est autre chose. Là, les restaurations écologiques qu’ils veulent faire c’est, ça fait partie entièrement, on va dire, du projet, et à part ils auront une autre enveloppe. »
Ainsi donc, il est à prévoir que des négociations en termes de compensations financières et matérielles aient lieu dans les années à venir, et pouvant coûter cher au maître d’ouvrage :
« Q : Oui, on a l’impression que la question qui bloque beaucoup c’est la question du financement, notamment.
V.M. : Oui, le financement peut-être du projet mais, mesures compensatoires. Parce que chacun veut retirer sa part du gâteau, et c’est compréhensible. Voilà, « Nous on est OK mais à condition que vous nous fassiez un port, que vous me fassiez une bretelle d’autoroute, voilà. Donc à mon avis, ça risque d’être un peu plus… Le rapport de force sera peut-être un peu plus important au moment où les enveloppes vont être définies. C’est là où à mon avis… (rires) Donc voilà, VnF ou l’EPTB ont intérêt à avoir une enveloppe assez conséquente parce que… Je pense que c’est ça aussi qui va définir l’acceptation ou pas du projet. »

Les enjeux environnementaux sont au cœur des préoccupations exprimées lors du débat public.

 « Et on a eu énormément de questions de la part des locaux sur l’impact du projet – impact sur tout, sur les usages, sur les habitats, sur faune-flore, sur la nappe souterraine, aussi bien en qualitatif qu’en quantitatif. »

Ce projet repose également sur la volonté écologique de restaurer la zone humide de la Bassée.

«  On a aussi le deuxième objectif de notre projet, qui consiste à améliorer et valoriser la Bassée de manière écologique puisque la Bassée aval perd ses caractéristiques et ses qualités de zone humide. »  Christophe PARISOT soutient que cet objectif n’est pas le but premier de l’ouvrage. D’après lui, cet ouvrage n’a d’ailleurs pas été pensé écologiquement. « C’est un ouvrage hydraulique sur lequel ils comptent prendre des mesures écologiques pour compenser l’impact de l’ouvrage et potentiellement restaurer le milieu. […] Ce qui est programmé, c’est ce qu’on pourrait appeler du moins pire. C’est-à-dire qu’il y a tous les aspects positifs qu’on peut voir : ils vont remettre de l’eau dans une zone où il n’y a plus d’inondation et ça va peut-être permettre à certaines espèces de retrouver leur milieu d’origine sur certaines zones qu’ils vont inonder régulièrement, […] ce n’est pas inintéressant, mais après, il y a tout ce qu’il y a autour c’est-à-dire toutes les digues, les ponts, les aménagements qui vont faire qu’on va quand même détruire énormément. » Il déplore que la vocation écologique de l’ouvrage ne soit étayée par une étude environnementale et dénonce le fait qu’ « on joue à l’apprenti-sorcier ». Sur ce point Julien SCHWARTZ se montre plus modéré, puisqu’il prend en compte la procédure dans laquelle s’inscrit le projet. Ces études devront certes être réalisées, mais elles n’étaient pas à exiger lors du débat public : « Moi je suis pas aussi critique que Christophe Parisot , mais simplement du fait que par rapport à un projet d’aménagement comme ça, il y a différentes étapes. Là on sort du débat public et moi on m’a fait comprendre, les gens de Seine Grands Lacs m’ont fait comprendre que c’était pas… qu’on était dans le stade des pré-études et que les études d’impacts allaient venir plus tard. C’est pour ça que pour le moment je me contente des études qui sont faites, mais il est clair que si par exemple on en arrivait l’année prochaine, je sais pas, je connais plus le calendrier mais si  au moment des études d’impact le projet se précise, il y a eu enquête d’utilité publique et finalement par exemple on part sur le fait que le premier casier se fasse, il faudrait pas qu’à ce moment-là ils nous disent, « voilà on a fait les études d’impact, on vous les a présentées… » C’est sûr que là on sera pas d’accord du tout, il faudra, en termes d’études d’impact, qu’il y ait vraiment des études beaucoup plus poussées que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. » Par ailleurs, pour Christophe PARISOT, si l’inondation n’est plus naturelle, elle peut intervenir plus souvent et donc modifier significativement la qualité de l’eau. On ne sait alors pas comment vont réagir les espèces.Michel POULIN a un avis moins tranché sur cette question : « Si vous apportez de l’eau de la rivière sur les terrains, imaginons qu’à certains moments l’eau de la rivière ne soit pas de bonne qualité, vous allez endommager votre nappe. Effectivement, dans un régime naturel, il n’y a pas de raisons que l’eau de la rivière soit plus propre. Mais il y a ce type d’argument. Si on met en place un casier pilote qui permet d’infiltrer dans les aquifères de la Bassée des eaux d’une qualité moyenne, cela pose un problème. »Un autre problème de contamination abordé par Michel POULIN concerne les réserves d’eau de l’Agence de l’Eau : « Si on fait venir dans les casiers de l’eau de la rivière, on va modifier la qualité de l’eau des nappes phréatiques, ces dernières étant considérées depuis très longtemps comme des réserves stratégiques pour l’agglomération parisienne. »  Pour les gestionnaires de la réserve naturelle de la Bassée, les impacts environnementaux à craindre sont essentiellement indirects. C’est pour cette raison que l’AGRENABA reste vigilante en assistant à toutes les réunions publiques ayant trait à l’environnement et  en se tenant informée : « Et alors le projet de Seine Grands Lacs avec ses casiers-réservoirs c’est en aval par rapport à la réserve, du coup à priori il devrait pas y avoir trop d’impact sur la réserve si ces casiers se font et… mais après c’est vrai que l’hydrogéologie c’est assez complexe et on préfère quand même être au courant, savoir ce qui se fait, à la rigueur donner notre avis. » 
« V.M. : Nous on est une réserve naturelle, notre but c’est de préserver les enjeux de la réserve après on s’arrête là. On peut pas aller défendre un territoire qui est en dehors de la réserve… Donc on a aussi…
J.S. : C’est pour ça aussi qu’on a été assez gentils dans nos propos pendant le débat public…
V.M. : Faut être… Faut aussi concilier et leur dire que à partir du moment où il y a des impacts, on sera pas d’accord quoi… »

Le scénario d’inondations sporadiques de la zone soutenu par l’EPTB n’est pas plus néfaste pour l’environnement qu’une inondation naturelle. 

« Je ne sais pas, je me demande toujours pourquoi les gens ne se posent jamais la question d’une inondation naturelle. Dans le cadre d’une inondation qui se fait naturellement où la Seine déborde dans son lit majeur c’est pareil. Enfin, peut-être que la dynamique n’est pas la même, effectivement par pompage on remplit plus vite que dans le cas d’une inondation naturelle et peut-être sur des hauteurs supérieures mais voilà, pas plus loin qu’à l’amont de Bray sur Seine, la Seine déborde naturellement.» Cet aspect du problème ne fait pas non plus l’unanimité. En effet, par exemple, pour Christophe PARISOT, si l’inondation n’est plus naturelle, elle peut intervenir plus souvent et donc modifier significativement la qualité de l’eau. On ne sait alors pas comment vont réagir les espèces.Michel POULIN est un peu plus partagé sur cette question : « Si vous apportez de l’eau de la rivière sur les terrains, imaginons qu’à certains moments l’eau de la rivière ne soit pas de bonne qualité, vous allez endommager votre nappe. Effectivement, dans un régime naturel, il n’y a pas de raisons que l’eau de la rivière soit plus propre. Mais il y a ce type d’argument. Si on met en place un casier pilote qui permet d’infiltrer dans les aquifères de la Bassée des eaux d’une qualité moyenne, cela pose un problème. »Un autre problème de contamination abordé par Michel POULIN concerne les réserves d’eau de l’Agence de l’Eau : « Si on fait venir dans les casiers de l’eau de la rivière, on va modifier la qualité de l’eau des nappes phréatiques, ces dernières étant considérées depuis très longtemps comme des réserves stratégiques pour l’agglomération parisienne. » Point de vue intéressant, Julien SCHWARTZ n’envisage pas les inondations comme un danger mais comme une chance pour la zone de la Bassée qui n’est aujourd’hui plus naturellement inondable à cause des quatre barrages-réservoirs gérés par l’EPTB Seine Grands Lacs : « Nous notre rôle c’est de protéger cet espace-là. Et dans cette optique-là on est contre ce projet parce qu’en fait nous, on voudrait que ces espaces qui étaient avant inondés, continuent à être inondés. »« Mais oui, c’est assez difficile pour nous parce que en tant que naturalistes c’est vrai que nous si on nous posait vraiment la question « Qu’est-ce que vous voulez faire de la Bassée ? » Ben, « Supprimez les barrages-réservoirs, ouvrez les vannes pour que ça redevienne comme c’était avant… ». »

La zone de la Bassée n’est pas adaptée à l’aménagement d’un barrage-réservoir.

 « On a eu aussi un premier comité de pilotage début février pour éliminer deux premiers scénarii. On a fait pas mal de visites sur le terrain pour mettre à jour nos données et tout ça, ça sert d’entrant pour le choix final du casier pilote. » « Il y a deux casiers qui ont été supprimés (1 et 6). Ces deux  casiers présentent un rapport efficacité/coût plus faible que les autres, c’est-à-dire qu’en clair ils sont trop chers à construire par rapport à leur efficacité. » «  En plus, on est sur des problématiques environnementales qui sont très spécifiques, que l’on ne trouve pas sur les autres casiers, avec des zones tourbeuses qui sont vraiment patrimoniales mais qui supporteraient très mal une inondation. »

Le retour d’expérience est un appui technique et un argument mis en avant dans la communication autour du projet.

 « On se base sur un retour d’expérience oui. Dans ce cadre-là on fait partie d’un projet-programme européen qui s’appelle Alpha avec lequel on a des partenaires hollandais, anglais, allemands et belges. C’est souvent des problématiques assez similaires, c’est-à-dire que c’est aussi des zones de rétention des crues qui sont souvent temporaires et sur lequel y a des activités. »« Ce qui est bien aussi avec l’OCDE c’est qu’on a un regard international et l’expérience de ce qui se fait ailleurs donc ça apporte vraiment un regard nouveau sur nos actions de prévention des inondations en France et dans la région Ile de France. » La protection des crues est un problème qui intéresse de plus en plus à travers le monde (LHOMME, S. ; SERRE, D. ; DIAB, Y. ; LAGANIER, R.. Analyzing resilience of urban networks : a preliminary step towards more flood resilient cities. Natural Hazards Earth System Sciences[en ligne]. 2013. n°13. p.221-230. Disponible ici (Consulté le 31/01/2014) – cf. Bilan Bibliographique) : « a strong emphasis is placed on improving the flood performance of buildings »

Un remplissage gravitaire des casiers sans recours à un système de pompage n’est pas envisageable.

 «  Là où ça n’existe pas vraiment c’est que tous ces espaces on les remplit par pompage en fait, là où la majorité des espace est remplie gravitairement. Par vannes tout simplement. Par exemple le long du Rhin ça existe. » « Mais pour nous, c’est pas possible de le faire gravitairement parce que comme la Seine a été recalibrée au début des années 80, la Seine ne déborde plus. Donc on est obligé de recourir à du pompage pour remplir ces casiers. » « […] on n’avait pas d’archives sur les éventuelles alternatives gravitaires qui ont été menées donc après le débat public on a fait faire des études hydrauliques par notre bureau d’étude Hydratec avec un recensement de toutes les alternatives gravitaires envisageables et on les a toutes étudiées à un stade très préliminaire. Mais c’était un stade suffisant pour démontrer qu’il n’y a aucune alternative gravitaire qui permette d’avoir l’efficacité de la Bassée, ou s’il y a des alternatives gravitaires qui étaient comparables, il y a des contraintes énormes sur le territoire. » Christophe PARISOT ne partage pas ce point de vue et estime que l’EPTB ne veut simplement pas remettre en question sa technologie. Il leur reproche de ne pas avoir suffisamment analysé les solutions alternatives présentant un impact moindre sur l’environnement, un intérêt économique équivalent et une réduction du risque d’inondation presque identique : « On est resté sur un projet qui était déjà dans les cartons et qu’on nous vend comme tout prêt. C’est dommage parce que justement il y avait une réflexion à avoir sur quelque chose de plus novateur qui soit multi facettes.» Pour lui, il aurait été possible de faire des restaurations écologiques. « Je pense qu’il y avait possibilité de trouver un compromis acceptable par le plus grand nombre qui permettait de faire quelque chose d’intéressant. […] Je pense que l’on pouvait faire quelque chose de plus intéressant pour moins cher. » Il est cependant vrai que l’étude d’Hydratec décrédibilise la solution gravitaire par rapport à celle de pompage. C’est aussi les conclusions auxquelles sont arrivés des élèves de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines dans le cadre d’un projet de recherche sur le projet, encadré par Michel POULIN (AURIOL Jean ; BAYON de NOYER Lia ; BAYVET Paul ; DUPUIS Léonard ; ENEE Maud ; FAURE Maeva ; JACQUOT Grégoire ; LANDON Olivier ; LEGRAND Julien ; PETRIAUX Marine ; VERNIER Suzanne (Élèves de première année, cycle ingénieur civil, promotion 2012). Protection de Paris contre les crues, rapport de MIG (Métiers de l’Ingénieur Généraliste), Mines ParisTech, décembre 2012. cf. Bilan Bibliographique): « Une autre solution serait de créer un canal qui apporterait, grâce à la gravité, les eaux dans ces casiers. Il faudrait prélever l’eau en amont, avec un bon débit, et l’apporter vers les casiers. On a étudié cette solution durant le MIG qui n’était pas viable financièrement. »

Des casiers-réservoirs préférés à un barrage hydraulique.

« Un barrage, on ne pourrait pas le faire là pour le coup. Sur la Seine, c’est pas possible ; c’est le principe de la digue que je vous ai expliqué là, une digue ou un barrage. Là, sur le coup on est sur une inondation totale de la zone sachant que vous avez des lieux habités, que vous avez des usages en place. Vous noyez tout et vous pouvez pas tout noyer, c’est pas possible surtout par exemple pour les carrières, on en a jusqu’en 2040 voire plus, c’est pas possible de venir noyer la totalité du territoire. » « Pour le lac du Der (le lac Marne), on a inondé 3 villages à l’époque, c’est vrai, on a inondé 3 villages complètement. Mais c’est quelque chose, je pense, qu’on ne pourrait plus faire maintenant. »

Un déficit de gouvernance est à déplorer au niveau du suivi du projet.

 «  Qu’il y a un problème aussi au niveau de la gouvernance du risque d’inondation qui est très disséminée entre les différents ministères. Voilà donc c’est le ministère de l’intérieur pour la protection civile, le ministère de l’environnement pour la prévention du risque inondation d’un point de vue plus hydraulique ou environnemental, les mairies qui sont en charge de la protection des riverains. Voilà donc il y a beaucoup de responsabilités qui sont disséminées entre plein de services différents, il y a un déficit de gouvernance… » « Ben, c’est sûr que c’est très dilué. On travaille avec la DRIIE Ile de France, qui s’occupe de tout ce qui est directives inondations, mise en place du PGRI (Plan de Gestion du Risque Inondation), des stratégies locales mais on est aussi porteur de certains comités de travail. Il y a la préfecture de police qui s’occupe de la sécurité civile. Bon, il y a une répartition des tâches qui se fait, mais bon on a un peu l’impression que des fois, il y a des compétences qui se superposent. On a des limites de prestation qui sont un peu floues. » Cette conclusion ressort aussi du rapport de l’OCDE (OCDE. Etude de l’OCDE sur la gestion des risques d’inondation : La  Seine en Ile de France 2014 [en ligne]. Editions OCDE. 2014. Disponible sur : http://dx.doi.org/10.1787/9789264207929-fr  (Consulté le 29/01/2014) ISBN 978-92-64-20792-9 – cf. Bilan Bibliographique) : « Tout l’enjeu est de résoudre les défis de gouvernance pour permettre une mise en œuvre pleinement efficace pour une réduction effective du risque d’inondation. » Christophe PARISOT dénonce lui aussi une trop grande décentralisation du problème : « L’état n’est même pas capable de dire mettez tout votre argent dans un seul et même panier et on fait une très grosse étude et on regarde tout d’un coup. A partir de ce moment-là, chacun refait ses études de son côté en essayant de trouver une synergie. » C’est aussi ce qui ressort de la question de Monsieur POZZO DI BORGO ( POZZO DI BORGO, Yves ; LETARD, Valérie. Projet de la Bassée et risque de crue à Paris – 13ème Législature. Question orale sans débat n°09435 de Yves Pozzo di Borgo publiée dans le JO du Sénat du 03/06/2010 ; Réponse du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre d’Etat, Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, publiée au JO du Sénat du 07/07/2010 [en ligne] in Site internet du Sénat. Disponible sur : http://www.senat.fr/questions/base/2010/qSEQ10060943S.html (Consulté le 27/01/2014) - cf. Bilan Documentaire) au Sénat : « La façon dont vous m’avez annoncé le calendrier et le financement signifie que le projet traînera encore pendant des années. Or, il est nécessaire d’aller plus vite. Et, je suis désolé, Madame le Secrétaire d’État, les éléments de réponse que vous m’avez communiqués, nous les connaissons depuis toujours ! J’avais simplement besoin de savoir si le Gouvernement avait donné une impulsion : je ne la sens pas dans ce dossier-là ! »Julien SCHWARTZ soulève quant à lui la certaine ambiguïté du rôle joué par des acteurs majeurs tels que l’Etat ou l’Agence de l’Eau Seine Normandie, devant concilier exigences économiques et écologiques : « Euh l’Agence de l’Eau, oui… enfin, ils seraient moins, je les placerais un peu en dessous de l’Etat mais… Oui parce que c’est vrai qu’on est conscients que eux ils jouent un rôle dans le développement économique etc… et qu’ils doivent aussi s’occuper d’écologie et d’environnement. Après j’imagine bien qu’ils se disent « On se concentre autant… enfin, trois quarts de notre temps on se concentre sur l’économie et un quart, encore si c’était un quart ce serait bien…  à l’écologie ». »Enfin, le témoignage de Violaine MESLIER semble indiquer une complexité telle des procédures et des régulations que même les acteurs de premier plan peinent parfois à satisfaire toutes les exigences : «V.M. : Donc là, comme disait Julien, y avait la réunion, là, hier, des casiers, et l’EPTB vient de se rendre compte que la DRIEE les forçait à faire une évaluation des incidences, c’est une démarche qui est imposée par Natura 2000, avant de choisir le casier.Q : Ça c’est un élément nouveau ?V.M. : Ben, pour eux, ils l’envisageaient bien plus tard. Ça vient de leur tomber dessus. Eux ils l’envisageaient à la fin, genre « On choisit le casier et on verra ». »

Les relations de l’EPTB Seine Grands Lacs avec les élus locaux se sont pacifiées.

« Ben je ne sais pas, moi je trouve que c’était plutôt apaisé. Alors après, il y a ce qu’ils nous disent en réunion et puis ce qu’ils disent à de tierces personnes. Malgré tout, sur les élus locaux, ils sont lassés évidement que le projet, on en parle depuis longtemps et qu’il n’y ait toujours pas de décision de prise, ça c’est normal. Ils veulent des mesures d’accompagnement, c’est normal aussi. Après, moi je trouve qu’on a plutôt de bonnes relations avec eux. » D’après Violaine MESLIER, il est difficile de généraliser ce que sont les attitudes des différents élus locaux : « Après les avis des maires c’est vraiment différent d’une commune à l’autre. »D’après elle, des tensions sont toutefois à prévoir au sujet des compensations financières attendues de la part du maître d’ouvrage : « Oui, le financement peut-être du projet mais, mesures compensatoires. Parce que chacun veut retirer sa part du gâteau, et c’est compréhensible. Voilà, « Nous on est OK mais à condition que vous nous fassiez un port, que vous me fassiez une bretelle d’autoroute, voilà. Donc à mon avis, ça risque d’être un peu plus… Le rapport de force sera peut-être un peu plus important au moment où les enveloppes vont être définies. C’est là où à mon avis… (rires) Donc voilà, VnF ou l’EPTB ont intérêt à avoir une enveloppe assez conséquente parce que… Je pense que c’est ça aussi qui va définir l’acceptation ou pas du projet. »

Il est nécessaire d’étudier des critères précis dans le cadre du prélèvement d’une redevance auprès des collectivités locales.

« Oui, il faudrait qu’on trouve un critère, mais ça a déjà été fait. Il y a l’EPTB Oise-Aisne, donc sur l’Oise, qui a mis en place ce système. » « Mais ça, c’est assez facile à déterminer. Quand vous avez des modèles hydrauliques qui vous permettent de dire, avec et sans aménagement, voilà le delta de niveau d’eau et des zones qui sont pas inondés, vous pouvez faire ce genre de redevances après. » Les élus locaux se sont déjà révoltés à propos d’une telle redevance (MARAIS, F. Recours de 36 communes marnaises contre la nouvelle redevance des Grands Lacs de Seine. La Gazette des communes [en ligne]. 21/05/2012. Disponible ici (consulté le 09/01/2014) – cf. Bilan Bibliographique) « Ils arguent de « l’incompétence » de l’EPTB à instituer une redevance motivée par des travaux non voulus par les départements et les communes traversés. »

Les efforts de communication de l’EPTB Seine Grands Lacs autour du projet ne rencontrent pas le même succès auprès de tous les publics.

«  En fait, c’est bien simple, pendant le débat public, on a eu la moitié des réunions qui s’est fait sur le territoire du projet et l’autre moitié qui s’est fait à Paris, à Nanterre, à Melun, dans toutes les villes en fait qui sont soumises au risque inondation. Autant on a eu une participation forte, voire très forte sur la Bassée, autant à l’aval il n’y avait personne quoi. Bon, après est-ce que ça vient de la campagne de communication qui n’était pas bien faite, j’en sais rien mais les parisiens, on a bien du mal à les sensibiliser au risque inondation. » On retrouve ces conclusions grâce à l’étude de quantification concernant la presse. En effet, on s’aperçoit que la presse la plus prolifique à ce sujet est essentiellement locale (Région Île-de-France) et que les élus se prononçant sur le projet sont essentiellement des élus locaux, des communes des alentours de la capitale.Julien SCHWARTZ s’est rendu à toutes les réunions publiques portant sur le projet de mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray et Nogent-sur-Seine porté par VnF ainsi qu’à une majorité de celles portant sur le projet d’aménagement de la Bassée porté par l’EPTB Seine Grands Lacs, et atteste que la fréquentation était très élevée, sans distinction entre l’amont et l’aval : « Moi j’ai trouvé qu’il y avait toujours beaucoup de monde. […] Mais après c’est vrai que y a des réunions qui étaient dans des petits villages dans des salles, donc c’est pas forcément des grandes salles. Mais oui, j’ai souvenir d’une réunion à Sourdin, là, où la salle était pleine à craquer. Bon c’était une des premières… »