Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Ludovic Oudin Entretien

27 mars 2014 | Commentaires fermés

Rencontre avec Ludovic Oudin

  • Utilisation d’autres publications de recherche.
  • Neutralité hydraulique.
  • Modèle de prévision des crues de l’Yonne indispensable à une étude économique du projet.

Utilisation d’autres publications de recherche

Ludovic OUDIN s’appuie sur les conclusions de rapports produits dans le cadre du projet RexHySS, porté par le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable (HABETS, Florence ;  BOÉ, Julien ; DÉQUÉ, Michel ; DUCHARNE, Agnès ; GASCOIN, Simon ; HACHOUR, Ali ; MARTIN, Éric ; PAGÉ, Christian ; SAUQUET, Éric ; TERRAY, Laurent ; THIÉRY, Dominique ; OUDIN, Ludovic ; VIENNOT, Pascal ; THÉRY. Sylvain. Programme PIREN-SEINE, Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l’Environnement de la Seine. Impact du changement climatique  sur les ressources en eau du bassin versant de la Seine, Résultats du projet GICC – RExHySS [en ligne]. Décembre 2011. 48 pages. Disponible sur : http://www.sisyphe.upmc.fr/piren_drupal6/?q=webfm_send/1010 (consulté le 02/01/2014). ISBN : 978-2-918251-12-5 – cf. Bilan Bibliographique). Ceux-ci soutiennent que l’impact du changement climatique sur les crues du bassin de la Seine n’est pas avéré.

« Je suis d’accord avec les conclusions du Rexhyss qui étaient de dire qu’il n’y a pas de tendance claire, d’après les simulations climatiques et les modèles hydrologiques, pour dire qu’il y aurait un risque accru sur les crues alors qu’il y a un impact certain sur les étiages, ce qui est déjà un signal fort. »

 « Le Rexhyss n’avait rien à voir avec le projet. Il a été fait de façon totalement désintéressée par rapport au contexte du 5ème ouvrage. Sur Rexhyss, j’étais un des chercheurs du programme, j’ai fait des simulations hydrologiques à partir de prévisions climatiques. »

Egis Eau cite le RexHySS : « Les recherches les plus récentes et en particulier RExHySS concluent :

• sur une variation modérée des régimes de crue sous changement climatique sans dégager une tendance nette par rapport aux sens des évolutions attendues sur le bassin de la Seine,

• sur une tendance nette à la baisse générale des débits d’étiage et de la ressource.

 Si ces tendances d’évolution se confirment,

• les risques liés aux étiages et la ressource qui sont aujourd’hui modérés notamment grâce à l’effet des lacs réservoirs pourront devenir plus forts à horizon d’un siècle.

• le risque lié aux crues de la Seine constitue aujourd’hui comme à l’horizon d’un siècle un risque majeur pour la région Ile de France.

Ces résultats ne remettent ainsi pas en cause les conclusions des études conduites sur l’opportunité de réaliser l’ouvrage de la Bassée.

Par ailleurs, les études du projet de la Bassée ont été basées sur une approche sur les crues historiques de la Seine notamment celles du 20ième siècle. En l’absence de tendance d’évolution affirmée du régime de crues, cette approche historique constitue bien la méthode la plus fiable pour la définition de l’ouvrage et de son mode de gestion. »  (HABETS, Florence ;  BOÉ, Julien ; DÉQUÉ, Michel ; DUCHARNE, Agnès ; GASCOIN, Simon ; HACHOUR, Ali ; MARTIN, Éric ; PAGÉ, Christian ; SAUQUET, Éric ; TERRAY, Laurent ; THIÉRY, Dominique ; OUDIN, Ludovic ; VIENNOT, Pascal ; THÉRY. Sylvain. Programme PIREN-SEINE, Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l’Environnement de la Seine. Impact du changement climatique  sur les ressources en eau du bassin versant de la Seine, Résultats du projet GICC – RExHySS [en ligne]. Décembre 2011. 48 pages. Disponible sur : http://www.sisyphe.upmc.fr/piren_drupal6/?q=webfm_send/1010 (consulté le 02/01/2014). ISBN : 978-2-918251-12-5 – cf. Bilan Bibliographique)

Dans la publication en question, les conclusions sont, en réalité, totalement différentes des arguments avancés par Egis Eau « Une minorité de simulations indique même un risque d’augmentation de ces crues. » (Egis Eau (CALVAR, Daniela). Synthèse bibliographique : Incidence du
changement climatique sur le bassin de la Bassée [en ligne]. 5 juillet 2010. 80 pages. Disponible ici (Consulté le 25/01/2014). – cf. Bilan Documentaire) :

Michel POULIN a le même point de vue sur la question et va même plus loin que Ludovic OUDIN, soutenant que le changement climatique est un argument inutile pour justifier la construction des casiers. L’ouvrage serait utile et ce, même si on reste sur un statu quo au niveau du régime de crue, ce qui semble être la situation la plus probable.

Neutralité hydraulique

La question de la neutralité entre les deux ouvrages (aménagement de la Bassée et mise à grand gabarit) est purement hydraulique et non pas hydrologique. Les données utilisées en entrée du modèle sont uniquement des données en amont de l’ouvrage, alors que le canal est en aval.

D’un point de vue hydraulique, le rapport d’expertises de ses collègues belges met en avant cette neutralité hydraulique et la présentent comme bien réelle si certaines mesures compensatoires sont mises en place. L’interrogation n’est donc pas sur la possibilité  d’une telle neutralité hydraulique mais sur la mise en place des mesures compensatoires.

Les mesures compensatoires envisagées semblent alors difficiles à mettre en place techniquement.

 « Là où la neutralité est purement hydraulique c’est qu’effectivement, si on met à grand gabarit la partie en aval, ce qu’on gagne en amont, on risque de le perdre en aval. Mais en hydrologie, l’entrée de ce qui est en aval dépend exclusivement de ce qui est en amont. »

 « les barrages étant en amont, il n’y a pas de problèmes d’un point de vue hydrologique.  Après, d’un point de vue hydraulique, la question est tout à fait légitime. »

« c’est une conclusion de l’expertise mais pas de la partie hydrologique, cela fait partie de l’expertise  hydraulique et je pense que mes collègues hydrauliciens ont bien fait leur travail. Effectivement, c’est une conclusion forte de l’expertise. Après, il y a des points qui avaient été soulevés lors de l’expertise qui questionnent la faisabilité des mesures compensatoire pour la mise à grand gabarit de la Seine pour qu’il y ait cette neutralité. »

 « Comme on vient accélérer les écoulements, on a envisagé des mesures compensatoires comme celle qui consiste à jouer sur les ouvertures des seuils de navigation. On vient relever le seuil pour qu’il y ait un épandage de la crue dans un lit majeur dans des endroits non problématiques. Cela nécessite de rendre automatique et flexible le système d’ouverture des vannes ce qui semble-il était un petit peu, … enfin qui … qui n’a jamais été testé ailleurs. L’interrogation des experts belges était donc forte. Est-ce que c’est réactif, robuste ? Le système fonctionne-t-il même en période de crise ? Si ces mesures compensatoires sont possibles, la neutralité est respectée. »

La question de la neutralité hydraulique est récurrente lors du débat public étudiant de manière concomitante les projets d’aménagement de la Bassée et de mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur –Seine : « Bien  que,  comme  le  précise  le  représentant  de  VNF lors  d’une  réunion  commune,  «  les  deux  projets  sont indépendants », on s’interroge à de nombreuses reprises sur la neutralité hydraulique de ces aménagements. Par exemple,  le  Conseil  scientifique  du  comité  de  bassin  Seine-Normandie  juge  que  «  la  question  de  la  cohérence entre les deux projets semble encore mal établie, notamment pour la gestion hydraulique » et que « la mise en perspective  économique  comme  environnementale  des  deux  projets  reste  à  faire  ». » (cf. LEGRAND, Patrick (directeur de publication). Crue Seine-Bassée, Débat public, Projet d’aménagement de la Bassée, Compte-rendu du débat [en ligne]. Commission Nationale du Débat Public, Paris. 30/03/2012. Disponible sur : http://www.debatpublic-crueseinebassee.org/DOCS/CR_ET_BILAN/COMPTE_RENDU_23032012_WEB.PDF (Consulté le 28/12/2013). – cf. Bilan Bibliographique) C’est dans ce contexte que la CNDP commande une expertise portant sur cette notion.

D’autres scientifiques indépendants sont aussi sceptiques face à cette éventuelle neutralité hydraulique. Michel POULIN explique avoir rencontré un grand nombre de personnes aux avis très variables sur la question. Pour l’hydrogéologue, c’est le point le plus délicat du projet et de nombreux acteurs n’y croient pas : « nous avions parlé de la neutralité lors d’une rencontre avec des personnes d’une antenne de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie. Les élèves et moi avions alors constaté qu’ils n’étaient pas convaincus de la neutralité. »

Cependant, Amélie ASTRUC affirme que les rapports d’expertise réalisés entre autres par Ludovic OUDIN, prouvent la neutralité hydraulique des deux ouvrages : « Voilà donc neutralité hydraulique c’est un concept que les gens ont beaucoup, beaucoup de mal à comprendre. Je pense que personne n’a compris et même une fois qu’il y a eu l’expertise hydraulique, personne n’a vraiment compris. »

D’après Violaine MESLIER, la neutralité hydraulique est demeurée pour les auditeurs du débat public une notion très floue : « c’est vrai qu’on a une vision globale du coup des écoulements, sur le terrain, superficielles et des échanges qu’il peut y a voir au niveau des différentes annexes hydrauliques… On a une vision qui est pas… qui est floue en fait. On sait pas trop comment ça fonctionne… »

Julien SCHWARTZ confirme que VnF comme l’EPTB ont semblé manquer de transparence sur cette question au cours du débat public et que leur argumentation autour de la neutralité hydraulique ne l’a pas convaincue : « Bah pareil, c’était le mot magique pour faire plaisir à tout le monde. Ils nous ont un peu menés en bateau, j’ai un peu l’impression, parce que y avait à la fois neutralité hydraulique de chaque projet indépendant, de chaque projet pris indépendant l’un de l’autre. Et après ils nous sortaient aussi souvent « Oui mais le projet, ça a été prouvé au niveau hydrogéologique, il est neutre ». Et on savait jamais si ils parlaient de neutralité que pour le projet, ou de neutralité par rapport aux deux projets. C’est-à-dire que y a très bien un projet VnF, on reconnaissait qu’il pouvait avoir des impacts négatifs, mais ces impacts négatifs ils étaient compensés par les effets du deuxième projet qui étaient contrebalancés. »

« Et j’avais l’impression qu’à certains moments dans le débat public qu’ils jouaient un peu sur les deux tableaux. On savait jamais vraiment de quelle neutralité ils parlaient : si c’était vraiment la neutralité par rapport à l’autre projet dont ils parlaient ou si c’était la neutralité interne du projet. Et bon, bon ils sont malins, ils savent sortir les bons mots au bon moment. »

« Quoi qu’il en soit les éléments avancés pendant le débat public ne sont pas suffisants : « Je pense que ce serait vraiment intéressant de vérifier cette neutralité hydraulique au moment des études d’impact, pour voir si elle est toujours assurée ou pas. »

Modèle de prévision des crues de l’Yonne indispensable à une étude économique du projet

Ludovic OUDIN précise que ce modèle de prévision ne faisait pas partie du cahier des charges initial du maître d’ouvrage et sera donc très certainement amélioré dans un futur proche.

La difficulté réside dans l’élaboration d’un modèle précis et fiable, fonctionnant à une échéance suffisamment longue pour qu’on ait le temps de démarrer les pompes. Cependant, actuellement, le modèle de prévision des crues de l’Yonne à la confluence avec la Seine présente de grandes incertitudes.

 « Pour les différentes questions auxquelles j’ai été amené à répondre, il y avait aussi, dans la partie Seine Grands Lacs, le modèle de prévision des crues qui est envisagé sur l’Yonne et qui est quand même un point critique de l’efficacité de l’ouvrage. En gros si le modèle ne marche pas, l’ouvrage ne sera peut-être pas économiquement intéressant. »

 « Je pense que la difficulté est d’avoir un modèle de prévision qui marche plutôt bien et qui marche avec une échéance relativement longue. Au niveau des délais temporels, c’est assez tendu. Il faut mettre les pompes en marche, cela prend 24h. Si on les allume pour rien, ce sont des euros qui sont perdus inutilement, mais si on ne les allume pas assez tôt, ça ne marche pas. D’un point de vue économique, cela me semble un point faible. Je n’ai pas revu dernièrement ce qui a été approfondi. D’un point de vue économique, cela m’avait semblé énorme. Ce n’est pas un ouvrage aussi souple que ça en laisse paraître. C’est sur ça, que j’ai tendance à ne pas trop y croire. »

 « On n’arrivera pas à rendre le modèle fiable sur un délai de 4 jours. Il faut  des bonnes prévisions de précipitation et ce n’est pas facile. Si ça coûtait rien d’allumer les pompes inutilement pourquoi pas, même si les modèles de prévision ne sont pas parfaits. On pompe et si on a pompé pour rien, ce n’est pas grave. Mais là, je m’interroge. Quand j’ai fait l’expertise, le projet n’était pas assez mûr pour contredire mon pessimisme initial. »

 « Il me semblait que dans l’étude d’Hydratec, avec ce modèle de prévision de l’Yonne, ils faisaient l’exercice dans le cas d’une prévision décalée. Ils ont fait l’exercice en cas réel. Et dans ce cas, on voit l’incertitude du modèle hydrologique. On voyait alors les gains en prévision parfaite et en prévision moins parfaite. Cependant les prévisions sur les pluies étaient assez simplistes puisqu’ils avaient dit : au lieu de « demain il pleuvra 5 mm » ils avaient pris un pourcentage. Or des fois, on dit qu’il va pleuvoir 50mm et finalement il pleut 0 mm. Sur les prévisions de pluies, ce n’était pas abouti. Mais ils ont fait l’exercice de se mettre en conditions réelles. Mais il y avait quand même des gains qui apparaissaient. Mais ça reste des essais sur des épisodes où il y a eu effectivement des crues. On n’a pas fait d’exercices en cas de fausses alertes. »

Nous n’avons pas pu retrouver cette partie du rapport d’Hydratec et n’avons donc pas eu la possibilité de vérifier la véracité de ses dires.