Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Christophe Parisot Verbatim

6 avril 2014 | Commentaires fermés

Verbatim d’entretien

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Date :

25/03/2014

Lieu :

Par téléphone

Étaient Présents :

Cécile Chazot, Alexandre Quertamp

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A propos de la vocation écologique de l’ouvrage prétendue par Seine Grands Lacs et notamment du rétablissement de la zone humide de la Bassée : l’utilisation d’un système de pompage artificiel peut-il vraiment avoir un impact positif sur l’environnement ? Est-ce quelque chose de véritablement réalisable ?

Concernant cette question, la réponse est très simple : l’ouvrage n’a pas de vocation écologique en tant que telle. C’est un ouvrage hydraulique à qui je fais justement le reproche d’être uniquement hydraulique et de ne pas avoir été suffisamment réfléchi d’un point de vue écologique, puisque je pense qu’il y avait d’autres alternatives qui auraient pu allier les deux, y compris sur l’aspect fonctionnel. C’est un ouvrage hydraulique sur lequel ils souhaitent prendre des mesures écologiques pour compenser l’impact de l’ouvrage et potentiellement restaurer les milieux. Il faut distinguer ces deux aspects. Ils ont mis les deux choses à la base sur le modèle des grands lacs qui existent, sachant qu’on n’est pas du tout sur le même modèle. Les grands lacs ont un intérêt ornithologique mais là on est sur un ouvrage qui va fonctionner ponctuellement sur lequel ils veulent intégrer une dimension écologique qui reste modeste puisque sur l’ensemble des ouvrages programmés, même si on ne parle que d’un seul pour le moment, il n’y en a qu’un qui aurait une vocation avec des inondations écologiques et il y aurait quelques mesures prises sur les autres mais ça reste modeste et ce n’est pas un programme de restauration de la Bassée. Ce qui est programmé, c’est ce qu’on pourrait appeler du « moins pire ». Il y a tous les aspects positifs que l’on peut voir en disant « ils vont remettre de l’eau dans une zone qui n’est plus inondée et ça va peut–être permettre à certaines espèces de retrouver leur habitat d’origine dans les secteurs ou ils mettront de l’eau régulièrement » et dans cette volonté de vocation écologique, ce n’est pas inintéressant. Après, il y a tout ce qu’il y a autour c’est-à-dire, les digues, les pompes et les aménagements qui vont faire que l’on va détruire énormément pour faire ces ouvrages et qu’on va modifier le paysage et son fonctionnement avec un certain nombre de points d’interrogation en cas de grande crue : est-ce que les ouvrages ne vont pas amplifier la crue ? En dehors de l’aspect écologique, il y a plein de questions qui se posent. Le projet en tant que tel, c’est, pour pas mal d’acteurs, une aberration écologique. C’est un ouvrage hydraulique à l’ancienne sauce : on met des grosses digues et des grosses pompes et après, il y a des mesures environnementales qui sont prises pour améliorer la situation. Donc, nous, on participe à l’accompagnement de ces mesures environnementales puisque ces mesures sont nécessaires et doivent être le plus fonctionnelles possibles mais ce n’est pas pour autant qu’on est convaincu de la façon dont l’ouvrage est fait.

Quels sont vos points d’interrogation sur l’ouvrage, vos préoccupations ?

Aujourd’hui, on va quand même avoir des digues qui vont faire 4 mètres de haut par endroit sur près des 2/3 du tracé. Ça fait des bases qui vont faire 15-20 mètres. Sur plusieurs kilomètres, ce n’est pas neutre du point de vue écologique, ce n’est pas neutre du point de vue de la circulation des espèces, ce n’est pas neutre du point de vue paysager, ce n’est pas neutre non plus du point de vue des dommages collatéraux dus à la construction de ces digues. Lorsque l’ouvrage va être en fonctionnement, ça devient un problème. On l’inonde pour favoriser l’aspect environnemental qui, pour le moment a été sérieusement remis en cause, et à un moment commençait même à être mis de côté de la part de Seine Grands Lacs parce qu’il n’est pas vraiment apprécié d’un point de vue local, les gens ne comprenant pas pourquoi on va remettre de l’eau alors qu’il n’y en a plus. On va avoir 2m50 à 3m d’eau. Ce n’est pas une inondation naturelle, on ne sait pas du tout comment vont se comporter les espèces, on ne connait pas l’impact des importants dépôts de sédiments qu’il ne va pas manquer d’y avoir. On peut en avoir lors d’une crue, mais là on est sur des masses d’eau plus importantes et sans aucune circulation pendant une semaine où on a de l’eau qui stagne donc qui va énormément se décharger, avec des opérations promises de nettoyage où on ne sait pas trop ce qui est prévu. Aujourd’hui on ne sait pas si c’est du nettoyage, à quel point on nettoie, comment on nettoie, avec quel procédé. Il y a énormément d’interrogations. Ce nettoyage ne sera-t-il pas pire que le mal ? Il y a beaucoup de questions sur l’aspect fonctionnement de l’ouvrage parce qu’on est dans des conditions qui sont hors des conditions naturelles pour la plupart des espèces.

Parfois, il va sûrement y avoir des fausses alertes, on va lancer l’ouvrage en prévision d’un épisode de crue qui n’aura pas lieu. La zone va être inondée plus qu’elle ne le serait de façon naturelle, non ?

Tout à fait. Aujourd’hui, cette zone là n’est plus inondable naturellement depuis la construction du canal. Lorsqu’on va avoir ces inondations, et ça c’est l’intérêt des inondations écologiques qu’il faudrait faire sur l’ensemble des bassins de façon régulière, le but est de réhabituer les espèces à réagir aux inondations puisqu’on a un écosystème qui n’est plus adapté à ce genre d’événements. Le fait de dire : « on fait des inondations écologiques que sur certains secteurs » c’est une aberration écologique. Il faudrait habituer les espèces, dans tous les projets de bassin, à suivre ces nouvelles influences. Après on va pouvoir avoir des fausses alertes. Dans l’absolu, tant qu’on reste sur des hauteurs normales, par exemple un mètre de haut, on va avoir un effet anecdotique voire positif puisque les espèces réagiront, étant adaptées aux crues. La problématique, c’est le fonctionnement à plein. On a alors aucune idée de l’impact que ça peut avoir.

Justement on n’a pas trouvé d’études scientifiques sur cet impact… Cela nous a intrigués…

C’est tout simplement parce qu’il n’y en a pas. C’est un projet sur lequel on joue beaucoup à l’apprenti sorcier en partant beaucoup du principe, les bureaux d’étude en écologie étant les premiers à le dire, « Les espèces vont s’adapter, ils vont grimper, ils vont se sauver, et ça va aller ». Aujourd’hui, personne ne sait ce que fait une crue de 3-4m de haut puisqu’il n’y a jamais eu de suivi simple là-dessus. Quel impact ? Quel impact sur les sols ? Quand vous mettez un mètre d’eau sur un sol, c’est une chose mais quand vous mettez 3 mètres, ce n’est pas le même poids. Il y a aussi le problème de la pression, du tassement… Du point de vue écologique, il y a plein de choses qu’on ne sait pas du tout.

Est-ce donc intéressant qu’ils fassent un casier-pilote parce que ça permet de jouer à l’ »apprenti sorcier » dans des conditions raisonnables ?

Le terme petit étant quand même tout à fait limité puisque le casier pilote c’est quand même 1/5 du projet. Ce n’est pas un petit casier. Ils n’ont pas choisi le casier qu’ils allaient garder mais ils ont des tailles critiques qui nous ont été présentées, et cela représente 1/5 du projet. Ce n’est pas une paille et puis ce sont des aménagements qui une fois présents, sont définitifs. Après, aussi tout dépend des moyens qu’ils vont se donner pour faire des véritables études scientifiques. Ils parlent de tester la technique, pour voir si le système marche, la technique du Shadock où on pompe l’eau pour la mettre dans les casiers. Mais aujourd’hui pour faire un suivi écologique, il faudrait qu’il y ait des laboratoires de recherches sélectionnés pour travailler dessus et je n’en entends pas parler pour le moment.

Est-ce que vous pensez que ce problème vient du maître d’ouvrage qui ne voudrait peut-être pas impliquer des laboratoires dans le projet ?

Non, le principal aspect est économique. Si aujourd’hui, l’ouvrage ne se fait qu’en partie c’est qu’il y a une incertitude économique quant au fonctionnement. Ne va-t-on pas mettre beaucoup d’argent dans quelque chose qui ne marche pas. Beaucoup de personnes le pensent. Est-ce que les pompes auront suffisamment de puissance pour mettre assez d’eau assez rapidement pour laisser passer une crue naturelle de l’autre côté, c’est une grosse incertitude. Comment va réagir l’eau dans le bassin ? Va-t-elle y rester, va-t-elle ressortir par tous les bouts ? Les pompes vont-elles bien démarrer quand on en aura besoin ? On est parti sur des grosses pompes diesel qui vont fonctionner tous les 7 ans. Mais on va peut-être ne pas s’en servir pendant 15 ans et dans ce cas, le jour où on va vouloir les démarrer, vont-elles vraiment le faire ? Il y a énormément d’incertitudes techniques. On est sur un projet qui est vieux de 30 ans, ces casiers là ils étaient déjà dessinés dans les années 70, moi je les ai vu pour la première fois dans les années 90. Ce n’est pas neuf. On est sur un système hydraulique du même âge. Ce n’est pas un système novateur même si il y a une volonté d’essayer d’amoindrir les impacts voire de faire de la restauration écologique par endroit. On n’est pas sur quelque chose de restauration d’une zone humide avec un fonctionnement le plus naturel possible de façon à ce que ça marche le plus possible. On a un grand bassin, on le remplit d’eau et on le vidange. On est sur quelque chose de purement hydraulique.

Est-ce que l’aspect écologique mis en avant par Seine Grands Lacs est un prétexte ou est-ce une façon de dire : « on va limiter les dégâts et faire de notre mieux »?

Au début, ils y croyaient dur comme fer en pensant que tous les écologues allaient applaudir. Ils avaient l’expérience des grands lacs où tout le monde va voir les oiseaux qui sont là-bas. Maintenant, ils ont compris que le projet ne pourrait pas être vendu comme écologique en lui-même et maintenant, ils cherchent donc à proposer. Il y a des ateliers là-dessus, des solutions pour la restauration du milieu naturel, pour faire en sorte de restaurer telle ou telle zone et de trouver les meilleures mesures. Il y a eu une évolution. Cependant au début du débat public, ils se sont fait surprendre, en pensant que l’aspect écologique ne serait pas un problème puisqu’ils pensaient que ce serait un projet bien vu d’autant plus qu’ils proposaient des solutions d’inondations écologiques. Je pense qu’aujourd’hui, ils ont compris qu’écologiquement il y avait des choses à faire et qu’on était plus dans la compensation que dans un ouvrage qui permettrait de sauver cette partie de la Bassée.

Normalement, l’eau du fleuve qui est amenée dans les casiers n’a pas la place à cet endroit, me semble-t-il. On va donc amener une eau qui n’est pas naturellement dans la zone. N’y a-t-il pas un risque de changement de la faune et de la flore ?

Oui, non et peut-être. Les crues naturelles ont deux grandes modalités en Bassée. Cette année, on a eu des crues de nappes, c’est-à-dire que c’est la nappe qui déborde. D’autres années, on a eu des crues de débordement. Il y a certains milieux, qui sont d’ailleurs difficilement accessibles par les crues de débordements, et qui dépendent essentiellement des crues de nappes. On va donc avoir une flore particulière qui supporte peu le fait d’avoir trop de nutriments. Les crues de débordement, au contraire, fertilisent le sol. C’est pour cela qu’il y a eu beaucoup de prairies en Bassée. Maintenant, on ne peut pas dire que les deux ne seront jamais en contact, cela dépend des années et des cycles, les cycles étant plus ou moins longs, certaines zones restant plus souvent en remontée de nappes et étant parfois connectées au fleuve. Là, c’est quelque chose qu’ils avaient déjà pris en compte, je pense au cas de la vieille Seine où ils ont protégé cet ancien cours de la Seine par des micro-digues de façon à retarder l’alimentation par les autres cours d’eau. Là, comme on va mettre une quantité d’eau non négligeable, on est quasiment sûr à chaque moment où on fera fonctionner l’ouvrage à plein qu’il y aura une connexion entre tous les casiers. Mais on ne peut pas vraiment dire que ça n’a pas été pris en compte puisque les bureaux d’études les ont alertés suffisamment tôt sur ce point. Après, la problématique c’est : une fois qu’on a inondé, qu’est-ce qu’on fait pendant la phase de fonctionnement ? On va avoir énormément de déchets. Il y a des plans d’eau avec des espèces invasives qui vont donc se répandre sur tout l’écosystème. On a des plans d’eau où des gens ont des pêches pour touristes pêcheurs qui vont se retrouver un peu partout. Tout cela va être en connexion et on ne sait pas trop comment ça va se passer pour le nettoyage. On ne sait ce que ça va donner, comment cela va être fait. Est-ce qu’on va passer des coups de pelleteuse pour retirer ce qui est le plus important ? Quel impact cela va-t-il avoir sur les petites dépressions qui vont se retrouver complètement comblées de 15, 20 ou 30 cm de boue ? Tout ça, c’est des questions, pour le moment, qu’on ne connait pas.

A-t-on envisagé de filtrer l’eau ou de la traiter afin d’éviter la pollution de la zone ?

Vous ne pouvez pas avoir énormément de débit et en même temps filtrer l’eau puisque ça ralentit le débit. Ils ont réfléchi à mettre des bassins en sortie de pompe pour casser la dynamique de l’eau mais ce n’est pas ça qui va tout déposer à cet endroit là. On est sur des débits énormes et on veut remplir en 3-4 jours. C’est compliqué de filtrer, l’eau sera toujours chargée. Après on a le problème des pompes, il y a beaucoup de questions sur qu’est-ce qui passe dans une pompe. Un poisson va-t-il sortir indemne de son passage dans une pompe ? Est-ce que tout ce qui va passer dans la pompe va ressortir vivant ? On ne sait pas du tout. Il y a beaucoup d’interrogations sur cet aspect inondations écologiques. Lors du dernier atelier thématique sur l’environnement, on a lourdement insisté sur le fait qu’il fallait absolument que ce soit non pas par des pompes mais au moins en partie par des systèmes gravitaires qui sont faisables mais qu’ils n’ont jamais voulu accepter d’envisager. En effet, avant le débat public, les premières consultations des acteurs publics remontent à 2000, depuis ces années là, j’avais proposé qu’ils fassent des scénarios différents. Ce qui leur est reproché, c’est d’être mono-scénario et d’avoir rejeté tous les autres scénarios en disant « ce n’est pas possible ». Je leur avais proposé d’étudier des systèmes d’alimentation gravitaire mais ils nous disent que ça ne marche pas mais jamais ils ne nous apportent les preuves que ça ne marche pas. Ils nous disent « on a fait des études, vous pouvez les télécharger », bon très bien, mais la grosse difficulté aujourd’hui, c’est la non-remise en cause du projet avec des acteurs importants qui considèrent qu’ils auraient dû proposer d’autres scénarios sur le système de digues et sur le système de remplissage de façon à être sûr que l’option choisie était la meilleure.

On nous a expliqué que le système gravitaire n’était pas viable car l’ouvrage était trop en aval. Qu’en pensez-vous ?

On n’a jamais eu ce type de réponses. Le problème c’est qu’ils ont fait des études, pour moi, sans trop chercher à avoir la bonne réponse. Aujourd’hui, on ne nous a jamais proposé de scénario alternatif. Il a été évoqué rapidement, en début de débat public qu’ils avaient regardé d’autres systèmes qu’ils avaient rejetés mais sans nous dire pourquoi. Ils n’ont jamais cherché à faire des scénarios avec des couplages de mesure, par exemple, faire en sorte de ré inonder la Bassée avale mais avec des ouvrages de dissipations de crues sur l’Ouin et sur l’Yonne par exemple. Ca c’est des choses qu’ils n’ont jamais creusé et c’est pour cela que la question aujourd’hui se pose : ne sont-ils pas obsédés par leur projet sans vouloir en sortir. A mon avis, ils auraient pu faire quelque chose qui écologiquement, pouvait avoir tout son sens, qui économiquement pouvait être beaucoup, beaucoup moins cher et qui aurait eu une efficacité similaire voire supérieure parce que le but c’était de compléter avec d’autres dispositifs sur d’autres cours d’eau.

Vous pensez donc que le projet pourrait avoir un avenir certain si le maître d’ouvrage avait peut-être envisagé d’autres solutions techniques que celle de pomper l’eau ?

Tout à fait. Ils sont partis sur un système de digues avec un nombre de bassins qui est prédéfini depuis des décennies, avec un système de pompage décidé mais jamais remis en cause. Au début du débat public, ils nous ont dit « rien n’est décidé, on réfléchit à tout. » mais au final, on s’est très vite aperçu que c’était verrouillé sur un projet. Il y a donc beaucoup d’acteurs qui se demandent : « est-ce que ce projet-là est un bon projet ? » Et quand je dis beaucoup d’acteurs, des acteurs important au niveau régional voire national. C’est vraiment ça qui est dommage, cette absence de volonté de vouloir construire quelque chose qui pourrait être fait autrement et peut-être mieux satisfaire les parties. Mais comme dans tout compromis, jamais aucun parti n’est satisfait mais là, je pense qu’ils ont pris à peu près le pire de ce qu’ils pouvaient faire c’est-à-dire l’ouvrage le plus artificiel. En plus, comme ils ne veulent pas la maîtrise foncière du fond, ça fait qu’on ne peut même pas dire : « à l’intérieur des ouvrages on fait de la restauration écologique et on fait des projets ambitieux pour compenser l’ouvrage ». Non, on va avoir les inconvénients qu’on a déjà à l’heure actuelle, sans compter les inconvénients des digues et des sur-inondations. Du point de vue écologique, c’est quasiment du tout perdant mis à part les mesures d’accompagnement qu’ils proposent.

Pensez-vous que le projet verra le jour ? Comme vous le dites, c’est un projet qui dort dans les cartons depuis 30 ans et on a l’impression qu’il y a une véritable inertie du côté de l’avancement du projet.

Vous savez, ça, ça peut très vite bouger. Les lignes bougent déjà aujourd’hui car la menace de crue centennale est bien présente. Cela fait plus de cent ans, on a eu de grosses précipitations sur 2013 ce qui fait que là, en 2014, on a des niveaux de nappes très importants. En 2013, tout était plein partout. Les barrages étaient pleins et étaient même au-delà de leur capacité puisqu’ils n’avaient pas prévu cet épisode de crue. Il y a beaucoup de gens qui se sont inquiétés. Juste un épisode comme ça peut déclencher des financements du jour au lendemain. Le projet, en tant que tel, a un intérêt économique de protection de la région parisienne en aval de la Bassée mais ce qui est dommage c’est qu’il aurait pu voir le jour d’une meilleure façon qui aurait fait que les acteurs l’auraient mieux accompagné. Là, ils sont restés sur un système verrouillé où la marge de manœuvre est très faible. Au final, comme il y avait pas mal de cahiers d’acteurs qui étaient très partagés, ils n’ont pas eu les financements pour faire l’ouvrage en entier et ne peuvent faire qu’un ouvrage pilote qui est surveillé de tout le monde parce qu’ils sont un peu attendus au tournant. Si l’ouvrage pilote ne fonctionne pas, ils vont être rappelés à l’ordre pour le coût car le coût du casier pilote est non négligeable. Avec ça, on aurait pu faire des travaux de restauration de la capacité d’inondation de la Bassée, qui certes, n’aurait pas stocké autant de millions de mètres cubes mais pas loin et aurait eu un fonctionnement beaucoup plus naturel car la grande différence entre les deux c’est que ça aurait coûté moins cher à la réalisation et moins cher au fonctionnement puisqu’on serait parti sur un fonctionnement naturel alors que là ça coûte très cher en entretien et en fonctionnement.

En quoi consiste des travaux de restauration de la Bassée ?

Il y a beaucoup de mesures qui seraient trop longues à détailler ici qui peuvent être prises. Encore une fois, on ne serait pas sur un fonctionnement totalement naturel mais beaucoup de choses peuvent être faites notamment grâce à des canaux pouvant servir au remplissage, avec un certain nombre d’obstacles par endroit qui peuvent très facilement se transformer en digues ou en systèmes de régulation et avec un canal à grand gabarit de VNF qui est beaucoup trop large et qu’on pourrait amoindrir de façon à ré-augmenter le niveau de la Seine et faciliter les crues. Je ne suis pas hydraulicien mais il y a des pistes qui auraient mérité d’être explorées de façon à voir si des solutions alternatives ne pouvaient pas être plus pertinentes.

Ne pensez-vous donc pas que ce refus d’envisager des solutions alternatives pourrait venir de l’urgence de la situation et de l’imminence possible d’une crue centennale ?

De toute façon quand ils sont arrivés avec ce projet en 2000 c’était déjà parce qu’ils avaient plus d’appuis des pouvoirs publics pour exhumer ça des cartons en disant : « il y a une crue qui arrive » et c’est beaucoup plus facile de convaincre les politiques quand le risque augmente. Ils jouent aussi là-dessus pour avoir les crédits nécessaires. Le risque est difficile à accepter par les élus et c’est pour cela qu’ils veulent réagir. Au final, j’en reviens à mon propos liminaire, ils sont dans un projet purement hydraulique. Le plus simple pour calculer consiste à prendre un carré, on met une pompe au bout, on maîtrise ce qui rentre dans la pompe donc on maîtrise ce qu’il en sort et on maîtrise le volume précis de ce qu’il y a dans le casier. Ca c’est de l’hydraulique des années 70. Après, maîtriser combien de millions de mètres-cubes contient la Bassée inondable, c’est beaucoup plus compliqué à calculer.

Vous pensez que cette solution a été écartée parce que le calcul était trop long et compliqué et que cela aurait posait un problème de coût ?

Non, le calcul n’est pas si compliqué que ça, surtout avec les outils informatiques que l’on a aujourd’hui. Mais on est resté sur un projet qui était déjà dans les cartons et qu’on nous vend comme tout prêt. C’est dommage car il y avait une réflexion à avoir sur quelque chose de plus novateur et multi-facettes. Après, il y a un autre aspect aussi, on est dans une société où il est bon de voir l’ouvrage pour être rassuré. Il vaut mieux voir une station d’épuration qu’une zone humide. Il est mieux de voir des grands bassins qu’on peut remplir d’eau plutôt que de voir une grande zone inondable dont on ne sait pas trop comment ça fonctionne. On rentre dans un système de peur de la nature qui fait qu’il est très facile d’influencer l’opinion et quand on dépense des millions, il vaut mieux que ce soit très visible même si ça ne sert à rien.

Il y a tout des mêmes personnes qui habitent dans les alentours de la zone choisie pour les casiers. Vous pensez que cela un impact positif pour eux que de voir un énorme ouvrage plutôt que de voir une zone inondable ?

Non, mais ils en ont un peu rien à faire les gens qui habitent sur place. Ce qu’il faut, c’est montrer au niveau national que ça fonctionne car il y a des grands bassins. Les gens qui habitent sur place, pour eux, il faut faire avec mais ce n’est pas non plus la préoccupation principale. Aujourd’hui le discours qu’il y a sur place, pour moi qui fréquente la Bassée depuis des décennies, est un discours qui se comprend totalement. Cette frange de la Seine et Marne qui se trouve en Bassée est totalement oubliée de la région Île-de-France. Ce sont des endroits ruraux, mais comme on n’est pas une région très rurale, ils n’ont pas d’accompagnement contrairement aux régions rurales voisines. Les propos locaux sont relativement simple : « Nous si on est inondé, on veut bien subir, mais comme on le subit pour protéger les autres des inondations, il faut que ce soit du donnant-donnant donc, payez-nous pour subir les inondations. » C’est un propos qu’on peut entendre. On parle de service éco systémique par la nature, là, c’est des personnes qu’on va obliger à subir ce que tous les autres considèrent comme une nuisance. Ils peuvent accepter de faire l’effort pour peu qu’il y ait un impact positif sur leur développement local. Mais aujourd’hui, ce n’est pas du tout dans cet esprit-là. Aujourd’hui on est dans un esprit : « on vient vous faire un ouvrage chez vous. On va vous donner des miettes de pain » qui réduisent, d’ailleurs, au fur et à mesure du temps puisqu’on s’aperçoit qu’au début c’est des grandes promesses et puis au final, plus ça va, plus ça réduit. Donc, on est dans un système qui est encore à l’ancienne où on ne prend pas en compte les populations qui vont subir l’ouvrage.

Pensez-vous tout de même qu’il y a eu des efforts depuis l’épisode de Chantecoq où cela avait été plutôt violent avec les populations locales lorsqu’il avait eu la construction du barrage ?

On n’est quand même pas dans la même chose. On ne va pas inonder une maison, normalement, on n’est pas tout à fait dans le même esprit, tout à fait. Et puis il y a quand même l’obligation du débat public qui leur fait remonter pas mal de choses mais on n’est pas dans un esprit de conciliation. Il y a beaucoup de gens qui ont dit : « Bon vous voulez nous mettre dans des bassins, très bien. Mais combien vous nous achetez les terrains ? ». Mais ils ont dit tout de suite : « Nous on ne veut pas les terrains » c’est-à-dire « on veut vous faire subir les dommages mais on ne veut pas vous débarrasser du terrain sur lequel on va vous faire subir les dommages » alors que c’était probablement la meilleur solution, comme je le disais, parce que ça permettait en même temps, pour le coup, de faire des restaurations écologiques sur ces terrains-là et d’amoindrir l’effet général en se disant : « on met des digues mais au centre des digues on fait de la belle restauration écologique et on a un autre système. ». Je reviens à des publications des années 90 où les conclusions des groupes de réflexion sur les barrages-réservoirs étaient que la Bassée devait devenir un immense domaine public de façon à pouvoir justement s’en servir pour gérer les inondations sans se poser de questions, pour préserver la faune et la flore sans se poser de question et pour préserver les ressources en eau sans se poser de questions. Ca n’aurait été qu’un des maillons de ce projet qui semblait être le plus pertinent à l’époque.

La raison de ce refus de racheter les terrains est-elle essentiellement économique ?

Je pense. Mais ce n’est pas moi qui ai la réponse.

Il y a aussi un aspect dont on n’a pas parlé et que vous évoquiez dans les questions que vous m’aviez transmises, c’est l’aspect travaux de construction. Cet aspect est énorme déjà dans la phase travaux puisqu’on est quand même sur des bouleversements énormes. Construire des digues, cela veut dire des pistes de chaque côté, des engins qui vont circuler pendant des jours et des jours à charrier de la terre, des matériaux qui ne seront pas forcément de la pierre mais qui seront argileux, entre autres, donc qui vont nécessiter d’ouvrir des carrières, pas en Bassée, pour le coup, mais dans les alentours pour aller chercher les matériaux nécessaires. Après on multiplie le nombre d’études d’impacts par le nombre de carrières dont on aura besoin. Après il y a la volonté très claire et affirmée de faire des économies en utilisant ces digues pour accueillir les déchets du grand Paris. Tous les déblais et remblais qui vont avoir lieu pour les constructions des lignes ferroviaires sur la petit-moyenne couronne, on va dire. On est sur quelque chose qui écologiquement est une totale aberration. On va chercher des terres à 80 km qu’on va ramener par camion et/ou par bateau pour ensuite les reprendre et les transporter à nouveau pour les mettre en place sur des digues. On est en train de déplacer la terre. C’est aberrant sachant qu’en plus, il faudra des matériaux argileux qu’on devra aller chercher dans des carrières alors que la DRIRE explique à tous les carriers qu’il faut limiter les carrières et qu’il faut faire en sorte d’économiser les ressources. On est dans un contexte aberrant.

Le maître d’ouvrage disait pourtant vouloir s’inscrire dans une démarche écologique notamment concernant les émissions de CO2 dues à la construction de l’ouvrage. Pensez-vous donc que cette volonté écologique n’est que de surface ?

Aujourd’hui, il faudra m’expliquer comment ils font. Limiter les émissions de CO2, ok, ils vont réduire les transports ou ils vont prendre essentiellement le long du fleuve mais ce n’est pas pour autant que cela va limiter les carrières. Vous avez vu le cubage qu’il faut ?! Il faudra bien les mettre dans des camions, ces camions étant dans des péniches pendant un moment mais qui après ressortiront pour revenir sur les routes. Du moment que les digues font jusqu’à 4 mètres de haut. Comme je vous l’ai dit il y a plus de 2/3 des digues qui font plus de 2 mètres de haut. J’avais regardé car au-dessus d’un 1m50, pour moi, c’est un traumatisme paysager puisqu’on ne voit plus l’autre côté. Déjà 1m50, on est limite. Des digues qui font entre 2 et 4 m de haut, ca fait un nombre de mètres cubes impressionnant et c’est pour cela qu’on se demande pourquoi ils n’ont pas réfléchis à quelque chose avec des digues de moins de hauteur, avec des systèmes plus intégrés. Pourquoi on est sans la démesure ? On est dans un projet qui a besoin de moyens financiers qu’on n’a plus à notre époque. C’est pour cela que les solutions alternatives devaient peser même si elles avaient peut-être un effet moindre. Peut-être qu’au niveau rentabilité, elles étaient beaucoup plus intéressantes car là on a quand même quelque chose qui coûte extrêmement cher avec énormément d’interrogations.

En vous écoutant, nous avons vraiment l’impression que l’EPTB Seine Grands Lacs construit de la décision publique avec des degrés d’incertitude nombreux. Pensez-vous donc qu’une solution alternative présenterait moins d’interrogations ?

Une solution alternative qui aurait permis de réduire les crues sur la région parisienne, en coûtant peu cher, je pense que les élus signaient tout de suite et qu’on ne serait même pas dans une phase de débat public qui traîne avec les nouvelles études réalisées pour peu qu’on mette en place des mesure d’accompagnement au niveau local. Je pense qu’il y avait des solutions, pour le coup, novatrices en se posant la question : Comment aujourd’hui on fait accepter à une population qu’on va remettre des crues puisque ce sont des communes rurales et comment on les aide à se développer, à développer l’éco-tourisme sur la Bassée ? Comment on les accompagne fortement, en compensation de ce préjudice qu’ils vont subir. Encore une fois, c’est un préjudice qui a toujours existé. C’est une zone inondable et c’est pour ça que les hommes s’y sont implantés mais là, on est dans une autre civilisation et un changement sociétal. Et comment on fait en sorte que le système fonctionne le plus tout seul possible ? Une fois qu’on arrive à ces solutions là, on peut se mettre autour de la table entre écologues, experts hydrauliciens et décideurs et je pense qu’il y avait possibilité d’arriver à un compromis acceptable par le plus grand nombre qui permettait de faire quelque chose d’intéressant. Je pense qu’il y avait même une solution de réel aménagement du territoire qui faisait qu’on ne sacrifiait pas la zone mais qu’au contraire, on la valorisait et on lui permettait de se développer. Avec les 500 millions programmés, je pense qu’on pouvait faire quelque chose d’intéressant pour moins cher.

Les exemples de tourisme vert que l’on a concernent essentiellement des barrages-réservoirs comme Pannecière. Mais là, ce n’est pas un barrage. Y a-t-il donc possibilité de faire du tourisme vert sur quelque chose qui ne sera pas toujours inondé ?

C’est tout à fait ça. Sur l’aspect écologique, ils vendaient l’image des grands lacs en disant : « Regardez il y a plein d’oiseaux » car là-bas, certes il y a eu des destructions écologiques importantes mais aujourd’hui il y a quelque chose qui est impressionnant et qui permet au tourisme local, en été de vivre grâce aux loisirs et, à la morte saison, grâce aux amateurs de nature qui viennent tous réserver des gîtes. On a un système qui, au final, est relativement bien perçu. Mais là, ce n’est pas le cas car les ouvrages seront vides la plupart du temps. On va vendre des talus, et je ne suis pas certain que les digues, ce soit génial pour la circulation. Il y a quand même un moment où ils proposaient… Puisqu’il faut quand même voir cet aspect écologique dans le contexte dans lequel il a été présenté. Au début, ils voulaient satisfaire tout le monde. Ils en sont donc même arrivés, à un moment, à dire qu’il y aurait des lampadaires sur toutes les digues. On était dans la démesure. Il faut que tout le monde soit content donc on met des lampadaires sur les digues pour satisfaire les élus. On fait des inondations écologiques, ça va satisfaire les écolos. C’était à l’emporte-pièce. On n’est pas dans un projet co-construit, on est dans un projet proposé. Au moment des deux débats publics, d’un point de vue écologique, le projet de VNF était le pire, dans l’absolu. Et au final, VNF s’attendant à être attaqué sur ces questions, a eu un dialogue beaucoup plus constructif, a écouté et accepté un certain nombre de remarques… Alors que Seine Grands Lacs pensait que ça allait passer comme une lettre à la poste. Au final, les situations sont inversées. VNF, qui n’est pourtant pas réputé pour ça, a été beaucoup plus à l’écoute parce qu’ils savaient que c’était une condition pour que le projet passe.

Ces deux projets sont intimement liés du fait de la question de la neutralité hydraulique qui a été abordée lors du débat public. De ce point de vue, une solution alternative serait-elle compatible avec le projet de VNF ?

Le projet de VNF est et restera un impact majeur pour la Bassée. La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est amoindrir cet impact avec des mesures compensatoires. Ca restera un impact majeur puisque c’est une modification du lit du cours d’eau. Ils essayent de faire en sorte de prendre un maximum de précautions. Ils montrent une volonté de faire attention. Pour autant, cela restera, si c’est fait, et c’est parti pour être fait, ça restera quelque chose qui n’aurait jamais du être fait alors qu’on cherche à préserver la Bassée par tous les moyens. Après, comme la loi les oblige et parce qu’ils prennent aussi la mauvaise image du canal aval, ils font en sorte de faire au mieux. La seule chose, comme je vous dis, c’est de réduire au maximum l’impact et de compenser là où il faudra compenser sachant qu’aujourd’hui, on est aussi dans des erreurs grossières de l’administration. On parle d’impact cumulé mais on n’a jamais fait de véritable état initial de la Bassée. On n’a jamais cumulé tous les impacts jusqu’à présent ce qui fait qu’on a déjà détruit pas mal mais maintenant ce qu’il faut regarder, c’est l’impact cumulé et quand on voit des projets comme cela l’Etat n’est même pas capable de dire : « mettez tout votre argent pour les études dans un seul et même panier et on fait une très grosse étude et on regarde tout d’un coup ». A partir de ce moment là, chacun refait ses études de son côté en essayant de trouver quelque synergie mais on s’aperçoit qu’on n’aboutit pas à quelque chose qui serait idéal.

Serait-il donc nécessaire de prendre une décision publique avec l’ensemble des acteurs en centralisant les études ?

Là, aujourd’hui, on a quasiment en simultané trois études différentes : une qui a été demandée aux carriers, une qui a été demandée à VNF, une qui a été demandée à Grands Lacs de Seine. Ca c’est les trois grandes, après il y en a plein de petites. Il faudrait dire : nous on a besoin de cet état initial à partir de maintenant pour pouvoir évaluer les impacts cumulés, vous mettez tout dans le même pot, on a besoin d’une étude hydrologique, d’une étude hydrogéologique et d’une étude écologique. Là c’est les bureaux d’étude qui rigolent parce qu’ils arrivent à vendre quasiment les mêmes résultats. Si on mettait tout dans le même pot, cela permettrait à l’Etat de complètement maîtriser les études, de poser toutes les questions qu’il y a pu avoir et d’avoir quelque chose qui soit utilisable y compris avec des programmes de suivi sur l’ensemble de Bassée et non pas secteur par secteur. C’est aussi une erreur de la part de l’Etat de ne pas profiter de cette centralisation.