Paris peut-il couler ?

Paris peut-il couler ?

La mise en place d'un cinquième ouvrage pour protéger Paris

Des modalités d’exploitation à définir

3 avril 2014 | Commentaires fermés

Des modalités d’exploitation à définir

La gestion et l’entretien des casiers, deux compétences confiées au maître d’ouvrage, sont encore mal définies et demeurent l’enjeu de négociations entre les différents acteurs impliqués. Ces interrogations visent entre autre à assurer une exploitation responsable au regard de l’environnement, des usages économiques de la zone de la Bassée et de la population.

Modalités d'exploitations: Cartographie des acteurs

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L’une des particularités de l’ouvrage concerne la hauteur d’eau qui sera stockée dans les casiers. En effet, certains casiers stockeront jusqu’à 3 mètres d’eau alors qu’une inondation naturelle n’occasionne qu’une hauteur d’eau d’environ 1 mètre. De ce point de vue, de nombreux acteurs comme Seine et Marne Environnement pointent du doigt une incertitude notable quant aux effets d’une telle inondation artificielle.

« Il y a beaucoup de questions sur l’aspect fonctionnement de l’ouvrage parce qu’on est dans des conditions qui sont hors des conditions naturelles. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)
« Aujourd’hui, personne ne sait ce que fait une crue de 3-4m de haut puisqu’il n’y a jamais eu de suivi simple là-dessus. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Encore une fois, la très faible quantité d’études sur les sujets croisés des inondations et des conséquences sur l’environnement rendent difficile toute estimation de l’impact réel qu’aura le remplissage des casiers. DocSci3 Ainsi, ces conditions d’exploitation particulières soulèvent de nouveaux problèmes qui préoccupent beaucoup les associations naturalistes et les habitants de la région. L’un des principaux sujets de débat avec le maître d’ouvrage concerne les inévitables dépôts de boue dans les casiers.

« On va avoir 2m50 à 3m d’eau. Ce n’est pas une inondation naturelle, […] on ne connait pas l’impact des importants dépôts de sédiments qu’il ne va pas manquer d’y avoir. On peut en avoir lors d’une crue, mais là on est sur des masses d’eau plus importantes et sans aucune circulation pendant une semaine où on a de l’eau qui stagne donc qui va énormément se décharger. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Un mauvais entretien de l’ouvrage entraînerait une diminution du volume de stockage des casiers et du débit d’eau pompée du fait de l’accumulation de sédiments. Ainsi, entretien et exploitation sont intimement liés. Les associations naturalistes de la région s’inquiètent aussi de l’impact d’une telle masse d’eau sur les sols. En effet, sous l’effet du poids de l’eau, les terres pourraient se tasser, entraînant une modification de la nature des sols et donc des écosystèmes.

« Quel impact sur les sols ? Quand vous mettez un mètre d’eau sur un sol, c’est une chose mais quand vous mettez 3 mètres, ce n’est pas le même poids. Il y a aussi le problème de la pression, du tassement… Du point de vue écologique, il y a plein de choses qu’on ne sait pas du tout. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)
« Quel impact cela va-t-il avoir sur les petites dépressions qui vont se retrouver complètement comblées de 15, 20 ou 30 cm de boues ? Tout ça, c’est des questions, pour le moment, qu’on ne connait pas. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

De nombreuses questions entourent encore donc les modalités d’exploitation de l’ouvrage présentant un fonctionnement particulier aux caractéristiques bien différentes de celles d’une inondation naturelle. Il est alors nécessaire de prendre en considération ces inquiétudes des acteurs locaux afin de construire un ouvrage respectueux de l’environnement et des populations locales.


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La question se pose également du degré de pollution de ces boues. En effet, dans le cas où elles seraient fortement polluées, de nombreux acteurs redoutent, en plus des effets dus au poids de l’eau, une contamination des sols. Quelques solutions ont alors été évoquées lors des nombreuses phases de concertation entre le maître d’ouvrage et les acteurs régionaux concernés pour pallier ce problème. Cependant, elles  n’ont pas encore fait l’objet d’études poussées, puisque les études sur ce sujet ne se concentrent pas réellement sur l’écologie.

DocSci1 La première idée pour lutter contre une éventuelle pollution consiste ainsi à filtrer l’eau boueuse.

« Il y a même des gens qui pensent à traiter cette eau avant de la réinjecter dans le sol, on en arrive alors à une solution complètement Shadock. Cela a été envisagé. Les associations de protection de la nature répondent alors que si on filtre cette eau, alors il faut la traiter. On en arrive alors à une solution totalement infaisable. » (cf. Entretien avec Michel POULIN)

Cependant, ce filtrage nécessite de diminuer le débit des pompes et le temps de remplissage d’un casier en est nécessairement rallongé, ce qui n’est ni économiquement ni techniquement acceptable. Il a donc été envisagé d’essayer de recueillir une grande partie des sédiments en sortie de pompe. Cette solution est cependant jugée insuffisante par certains acteurs.

« Vous ne pouvez pas avoir énormément de débit et en même temps filtrer l’eau puisque ça ralentit le débit. Ils ont réfléchi à mettre des bassins en sortie de pompe pour casser la dynamique de l’eau mais ce n’est pas ça qui va tout déposer à cet endroit là. On est sur des débits énormes et on veut remplir en 3-4 jours. C’est compliqué de filtrer, l’eau sera toujours chargée. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

L’autre possibilité consiste à évacuer la boue des casiers par camions au moment de la décrue. On nettoie ainsi la zone avant de l’inonder à nouveau et, en supprimant le vecteur de pollution, on évite tout risque de contamination.

« On ne sait pas trop comment ça va se passer pour le nettoyage. On ne sait ce que ça va donner, comment cela va être fait ? Est-ce qu’on va passer des coups de pelleteuse pour retirer ce qui est le plus important ? » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Même si le dialogue entre les différents acteurs a permis l’émergence de quelques propositions, aucune décision n’a encore été prise  par le maître d’ouvrage. On peut alors se demander si cette phase de concertation n’est pas un frein à la prise de décision. Il semble que les interrogations restent nombreuses et les réponses trop rares pour obtenir un réel accord. Ainsi, si toutes les solutions détaillées précédemment ont été évoquées, aucune ne semble avoir fait l’objet d’études suffisamment poussées pour le moment et les protestations des partis civils compliquent les démarches du maîtres d’ouvrage pour faire avancer le projet.

« Aujourd’hui on ne sait pas si c’est du nettoyage, à quel point on nettoie, comment on nettoie, avec quel procédé. Il y a énormément d’interrogations. Ce nettoyage ne sera-t-il pas pire que le mal ? » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)
 

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Pourtant il est tout à fait indéniable qu’il soit nécessaire de prendre en compte est l’avis des populations locales à propos de l’ouvrage. C’est là même le sens d’un démocratie « participative » plutôt que « délégative ». Il est ainsi primordial pour un maître d’ouvrage sachant que son projet va être soumis à débat public, d’essayer de prévoir et d’anticiper les attentes des acteurs locaux, ce afin de leur soumettre, à l’occasion des réunions publiques, un projet en phases avec les réalités du terrain.

« […] c’est vrai ce que cette proposition d’atelier… D’un côté on se dit que c’est normal que ça se passe comme ça mais d’un autre côté, il faut quand même reconnaître que c’est une bonne chose. » (Julien SCHWARTZ, cf. Entretien à l’AGRENABA)

Le principal point de négociation concerne l’acceptation par la population de ce qui est normalement considéré comme une nuisance. De ce point de vue, les populations des alentours de la Bassée sont prêtes à accepter la proximité de l’ouvrage à condition de bénéficier d’une contrepartie financière.

« Cette frange de la Seine et Marne qui se trouve en Bassée est totalement oubliée de la région Île-de-France. Ce sont des endroits ruraux, mais comme on n’est pas une région très rurale, ils n’ont pas d’accompagnement contrairement aux régions rurales voisines. Les propos locaux sont relativement simples : « Nous si on est inondé, on veut bien subir, mais comme on le subit pour protéger les autres des inondations, il faut que ce soit du donnant-donnant donc, payez-nous pour subir les inondations. » C’est un propos qu’on peut entendre. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Ainsi, les communes de la région veulent que cet ouvrage soit une occasion pour elles de bénéficier d’un véritable accompagnement leur permettant de connaître un nouvel essor économique.

« Ils peuvent accepter de faire l’effort pour peu qu’il y ait un impact positif sur leur développement local. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Cet impact positif ne s’exprime d’ailleurs pas uniquement en termes strictement économique. Julien SCHWARTZ et Violaine MESLIER mettent en avant le fait que de tels projets d’aménagement peuvent être l’occasion pour des associations telles que l’AGRENABA d’enrichir leurs connaissances du territoire en profitant des études commanditées et réalisées.

« Donc on a commencé à mettre en place des échelles millimétriques pour avoir un peu la hauteur des noues, des plans d’eau et on a prévu de mettre aussi des piézomètres pour suivre un peu la hauteur de la nappe alluviale. Donc ça on avait déjà prévu de le faire en interne, ce qu’il y a c’est qu’on essaie de profiter de l’opportunité de ces projets pour avoir une aide. Parce que ça demande beaucoup d’investissements… au niveau matériel et financier. Donc là, par exemple avec VNF pour le projet de mise à grand gabarit, on a convenu que VNF nous installerait les piézomètres dans la réserve. Donc en fait on voudrait profiter, c’est normal, de la dynamique de ce projet, pour à la fois être équipés au niveau matériel et à la fois bénéficier des études qui sont faites. » (Julien SCHWARTZ, cf. Entretien à l’AGRENABA)

Par ailleurs, l’AGRENABA bénéficie dans le cadre du projet de mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine de matériel de mesure de la part du maître d’ouvrage VNF. De même, certains élus locaux jugent les projets à l’aune des mesures compensatoires qu’ils peuvent espérer y gagner.

« Parce que chacun veut retirer sa part du gâteau, et c’est compréhensible. Voilà, « Nous on est OK mais à condition que vous nous fassiez un port, que vous me fassiez une bretelle d’autoroute, voilà. Donc à mon avis, ça risque d’être un peu plus… Le rapport de force sera peut-être un peu plus important au moment où les enveloppes vont être définies. C’est là où à mon avis… (rires) Donc voilà, VNF ou l’EPTB ont intérêt à avoir une enveloppe assez conséquente parce que… Je pense que c’est ça aussi qui va définir l’acceptation ou pas du projet. »(Violaine MESLIER, cf. Entretien avec l’AGRENABA)

Il semble alors que le débat public ait été l’occasion de faire entendre la voix des populations locales et d’engager ainsi une phase de négociation avec le maître d’ouvrage qui a été amené à repenser certains aspects du projet. De plus, l’important taux de participation des populations locales aux ateliers organisés par l’EPTB Seine Grands Lacs, montre l’intérêt suscité par de tels projets au niveau local, mais également le fait que leur point de vue soit entendu par les décisionnaires.

« En fait, c’est bien simple, pendant le débat public, on a eu la moitié des réunions qui s’est fait sur le territoire du projet et l’autre moitié qui s’est fait à Paris, à Nanterre, à Melun, dans toutes les villes en fait qui sont soumises au risque inondation. Autant on a eu une participation forte, voire très forte sur la Bassée, autant à l’aval il n’y avait personne quoi. » (cf. Entretien avec Amélie ASTRUC)

Plus concernée directement, les populations locales semblent également mieux informées par les différents types de presse. Même si les journalistes parisiennes parlent régulièrement des risques de crues, ils semblent en effet le faire le plus souvent à l’occasion d’inondations dans un lieu précis, ce qui n’incite pas les habitants de la capitale à se sentir visés. DocSci7 Cependant, Christophe PARISOT dénonce une négociation déséquilibrée voire artificielle. En effet, pour lui, le maître d’ouvrage n’a pas respecté ses engagements auprès des habitants de la Bassée, campant sur ses positions initiales sans aménager le projet face aux réactions locales.

« Mais aujourd’hui, ce n’est pas du tout dans cet esprit-là. Aujourd’hui on est dans un esprit : « on vient vous faire un ouvrage chez vous. On va vous donner des miettes de pain » qui réduisent, d’ailleurs, au fur et à mesure du temps puisqu’on s’aperçoit qu’au début c’est des grandes promesses et puis au final, plus ça va, plus ça réduit. Donc, on est dans un système qui est encore à l’ancienne où on ne prend pas en compte les populations qui vont subir l’ouvrage. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

Il semble alors que, si le débat public a effectivement permis aux populations locales de donner leur avis, il n’a pas abouti à une conciliation équilibrée qui aurait donné une importance égale aux points de vue des différents acteurs. Ainsi donc, le débat public ne serai-il qu’un simulacre de prise en considération des acteurs territoriaux?

« […] le comité du débat public là, qui a organisé le débat public, je sais pas si ça les a vraiment forcés à se comporter comme ça, mais c’est vrai qu’ils font les choses, comme tu dis, très bien. Ils essaient d’être le plus transparent possible, ils font participer au maximum les acteurs du territoire avec ces ateliers. Je trouve ça c’est très bien. Y a des dizaines années, ça se passait pas comme ça. » (Julien SCHWARTZ, cf. Entretien à l’AGRENABA)
« Et puis il y a quand même l’obligation du débat public qui leur fait remonter pas mal de choses mais on n’est pas dans un esprit de conciliation. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

L’autre objet des négociations entre le maître d’ouvrage et les populations locales concerne l’acquisition par l’EPTB Seine Grands Lacs des terrains qui seront inondés pendant la phase d’exploitation.  En effet, il semble que de nombreux habitants de la région soient propriétaires de terrains se trouvant à une extrême proximité de l’ouvrage.

« L’étude foncière de 2004 a montré que l’emprise des talus digues et des espaces endigués concernerait directement 5900 parcelles et 573 propriétaires, dont 3,5 % possèdent 65 % de la superficie totale du périmètre d’étude. Les propriétés se répartissent comme suit: les propriétés privées, qui représentent 70 % environ de la superficie totale avec environ 555 propriétaires. Les plus grands propriétaires sont des exploitants de carrières, les propriétés publiques, qui représentent 30 % environ de la superficie totale, réparties en 18 propriétaires publics. » ( EPTB Seine Grands Lacs, Débat Public Projet d’aménagement de la Bassée – Dossier du maître d’ouvrage [en ligne]. Novembre 2011.  Page 62. Disponible sur : http://www.seinegrandslacs.fr/docs/La%20Bass%C3%A9e/Plaquettes/1111_Bassee_DMOA_part2.pdf.)

Initialement, l’acquisition de foncier faisait partie du projet dans sa version soumise lors du débat public.

« (travaux 80 %, frais de maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre 11 %, mesures compensatoires environnementales 5% et acquisition de foncier 4 %)» (cf. L’aménagement de la Bassée en débat public. Hydroplus [en ligne]. 208. 08/01/2014. Page 12. – cf. Bilan Bibliographique)

Cependant, le maître d’ouvrage aurait finalement refusé d’acheter un certain nombre de terrains concernés …

« Il y a beaucoup de gens qui ont dit : « Bon vous voulez nous mettre dans des bassins, très bien. Mais combien vous nous achetez les terrains ? ». Mais ils ont dit tout de suite : « Nous on ne veut pas les terrains » c’est-à-dire « on veut vous faire subir les dommages mais on ne veut pas vous débarrasser du terrain sur lequel on va vous faire subir les dommages » alors que c’était probablement la meilleur solution. » (cf. Entretien avec Christophe PARISOT)

… Préférant instaurer des servitudes de sur-inondation et indemniser les propriétaires des terrains concernés comme l’exprime Monsieur Régis THEPOT, directeur général de l’EPTB Seine Grands Lacs.

«« Nous nous orientons plutôt sur la deuxième solution via des servitudes de sur inondation », estime Régis Thépot. » (cf. L’aménagement de la Bassée en débat public. Hydroplus [en ligne]. 208. 08/01/2014. Page 12. – cf. Bilan Bibliographique)
« Des servitudes de sur-inondation seraient instaurées à l’intérieur des espaces endigués. […] L’EPTB Seine Grands Lacs n’envisagerait l’acquisition de terrains dans ces zones que si des opportunités techniques ou financières l’y conduisaient ou si des propriétaires exerçaient leur droit de délaissement, conformément à la réglementation en vigueur » (EPTB Seine Grands Lacs, Débat Public Projet d’aménagement de la Bassée – Dossier du maître d’ouvrage [en ligne]. Novembre 2011.  Page 62. Disponible sur : http://www.seinegrandslacs.fr/docs/La%20Bass%C3%A9e/Plaquettes/1111_Bassee_DMOA_part2.pdf.)

De ce point de vue, si la négociation entre les populations locales et le maître d’ouvrage est bien présente, elle ne semble pas vraiment équilibrée et l’avis des habitants de la Bassée ne semble pas peser bien lourd face aux décisions prises par l’EPTB Seine Grands Lacs. On prend alors conscience que ce n’est pas parce qu’il y a négociation qu’il y a forcément un véritable dialogue fondé sur l’écoute et la prise en compte de l’avis des interlocuteurs.

  Le caractère novateur du projet ainsi que son envergure sont donc autant de facteurs qui rendent compliqué le dialogue entre le maitre d’œuvre et les populations, les questions étant multiples et les réponses, à l’inverse, peu nombreuses. Dans ce cadre, l’EPTB Seine Grands Lacs est parfois amenée à poursuivre sa démarche et son projet malgré l’absence de réelle solution aux problèmes soulevés par ses interlocuteurs, sous peine de voir le dossier totalement figé. Cette méthode très technocratique entraine un dépit prononcé chez certains acteurs, persuadés d’être ignorés et de ne pas être considérés par le chef de projet.