Alain Rival

Alain Rival est agronome, correspondant pour la filière « Palmier à huile » au sein du CIRAD*. Sa position l’amène à faire régulièrement des missions en Asie du Sud-Est dans les plantations de palmier à huile. Il échange notamment avec des personnes extérieures au CIRAD, comme par exemple avec le nutritionniste Jean-Michel Lecerf, le médecin Philippe Legrand, l’écologiste Jérôme Frignet.  Il a co-écrit en 2013 le livre La Palme des Controverses – Palmier à huile et enjeux de développement avec P. Levang et publie régulièrement des articles dans lesquels il met en perspective ses connaissances de la filière, ainsi que le rôle de la recherche dans l’élucidation des problèmes socio-économiques.

 

Bibliographie

 

Outre les nombreux travaux auxquels il a contribué au nom du CIRAD, Alain Rival est le co-auteur d’un livre, paru en 2013:

 

La palme des controverses: Palmier à huile et enjeux de développement

 

Compte-rendu d’entretien

 

Lors de notre entrevue, la première chose que j’ai demandée à Alain Rival était de rapidement présenter sa fonction, son occupation. Il a tout d’abord rappelé qu’il était correspondant de la filière « huile de palme » pour le CIRAD. Il a ensuite réexpliqué ce qu’était le CIRAD.

 

C’est un organisme public avec un caractère industriel et commercial. 70% de son budget total (qui s’élève à 20M€/an) est fourni par l’état français. Le CIRAD possède, selon ses mots, une position à part dans la controverse, car ce n’est ni une ONG, ni un producteur d’huile de palme. Toutefois, le CIRAD travaille avec les états, car c’est le gouvernement (français) qui va le missionner. Pour cela, le CIRAD va effectuer des travaux de recherche agronomique : son rôle est notamment de faire attention à ne pas rentrer dans la controverse. « On n’est pas des journalistes, on ne va pas brandir la main levée nos résultats », disait-il.

 

Pour se démarquer de la controverse, A. Rival prenait notamment l’exemple des ONG qui défendaient à corps et à cris les orang-outans, et qui proclamaient que leur disparition portait atteinte à la biodiversité. Il rappelle que les orang-outans n’ont jamais été un facteur de biodiversité, et que si on veut parler de biodiversité, il faudrait considérer des espèces comme les fourmis, dont le nombre est bien plus important que celui des singes. C’est après cet exemple qu’il rappelle encore une fois que ce type de querelle est un terrain qui n’est pas le sien.

 

Toutefois, pour rester sur la controverse, il explique qu’une partie intéressante de celle-ci est la relation Nord-Sud. En effet la consommation d’huile de palme augmente dans les pays émergents, qui deviennent d’ailleurs les plus grands consommateurs (Inde, Chine…). De plus, la consommation de corps gras par les habitants augmente également. Par exemple, A. Rival donne pour chiffre une consommation moyenne au Nord de 50kg/an.habitant alors que la dose conseillée pour la santé est de 25 kg/an. Ainsi, « le marché de l’huile de palme est au Sud, mais la controverse est au Nord ».

 

Toujours sur la controverse, il explique que contrairement à d’autre, celle-ci ne se base pas sur un saut technologique (ex : OGM, PMA, nucléaire …) : ici la controverse est une plante, comme ce serait le cas pour le coton. Ainsi la controverse est mal centrée, c’est de la culture du palmier à huile dont il faut discuter. La plante elle, ne changera pas, on ne peut pas la bannir. Les questions sur lesquelles il faut se concentrer, selon A. Rival, c’est celles de la compétition avec les zones tropicales, la cohabitation, culture énergétique/alimentaire, culture de rente …

 

L’huile de palme est toutefois révélatrice des politiques, A. Rival met l’accent sur la taxe des produits importés, comme on pourrait en trouver sur la banane, le café, le cacao, l’hévéa… Mais, dit-il, il ne faut pas oublier que le palmier à huile est un vecteur d’éradication de la pauvreté. Depuis 20 ans, en Asie du Sud-Est, on observe une montée de la classe moyenne rurale, par opposition à la classe moyenne urbaine que l’on trouve dans les pays du Nord, après un exode rural. C’est là que A .Rival insiste, il n’y a que là que la population reste dans des zones non urbanisées.

 

Pour revenir à ce que lui et ses collègues font, ils cherchent pourquoi la culture du palmier à huile marche, ou ne marche pas (sur tous les plans) dans différents endroits. Encore une fois, il explique que la culture du palmier à huile est rentable : 2500$/ha.mois en moyenne. Il souligne d’ailleurs que même chez GreenPeace, personne ne vous dira que ce n’est pas rentable.

 

Dans leur métier, lui et ses collègues mènent un projet de recherche sur la cohabitation, avec notamment la mise en place de réserves forestières. Il explique que tout cela se quantifie, et qu’aucun gouvernement aujourd’hui ne peut plus se permettre d’abattre la forêt sans prérequis. Une mise en observation est nécessaire. Ils pensent notamment mettre en place des zones mixtes plantation/forêt, mais il faut encore chercher où implanter cette cohabitation. Ainsi « on reste dans la controverse mais avec la position de chercheur » dit-il. Il ajoute que le CIRAD n’est pas là pour gronder les gouvernements (même s’ils voient parfois des choses peu recommandables glisse-t-il en anecdote), ça c’est leur responsabilité (aux gouvernements).

 

Ils ont aussi un travail de certification des plantations existantes, des certifications qui correspondent à celles de la RSPO*. Ce sont des critères agronomiques, en effet le CIRAD a été fondé en 1947, bien avant la controverse. J’avais également une remarque de sa part sur les conditions d’exploitation, mais je n’arrive plus à la replacer dans son contexte.

 

Nous nous sommes alors penchés sur la RSPO. A. Rival explique qu’elle est volontariste, par opposition à une loi à laquelle il faut se soumettre obligatoirement. Celle-ci reste perfectible, car il est encore assez facile d’y rentrer. De plus, dans le pire des cas, on en est juste exclus. Son principal défaut est qu’elle est une initiative business-to-business, ONGs/industriels, et que les gouvernements ne sont pas associés alors qu’il faudrait.

A la question sur quelle part des plantations est exploitée par des industriels des multinationales (sous-entendu Ferrero …), il me rétorque que les multinationales ne possèdent pas (ou plus depuis 20 ans). Cela leur permet de nier toutes responsabilités vis-à-vis des conditions d’exploitation de l’huile de palme. Ce sont bien des nationales indonésiennes ou malaisiennes qui possèdent des plantations. Selon ses chiffres, 60% des cultures sont possédés par des industriels, et donc 40 % par de petits exploitants (famille …).

 

Quand vient la question du côté social des exploitations, il explique que le droit des peuples autochtones dépend des gouvernements, et que ce n‘est pas à lui qu’on s’adresse pour cela. Il fait notamment remarquer que là-bas il n’y a pas d’inspecteur du travail. C’est d’ailleurs pour cela que les gouvernements n’attendent pas des certifications type RSPO et s’approprient la culture du palmier à huile (idée de privatisation). Ainsi, on s’inspirant des standards RSPO, les gouvernements mettent en place des standards nationaux, c’est-à-dire des lois sur les conditions d’exploitation de l’huile de palme. Le gouvernement peut ainsi sanctionner les abus. De toute façon, avec ou sans standards, les populations se mettent à la culture du palmier huile. Cela passe notamment par de l’importation de la main d’œuvre (la famille une fois un peu enrichie ne va plus elle-même cultiver les terres). Cette main d’œuvre vient d’autre régions du pays (ex : Java -> Jakarta).

 

Il a ensuite parlé du FPIC (Fonds National de Péréquation des ressources Intercommunales et Communales), une procédure obligatoire par la RSPO, peut-être que cela deviendra une loi. Le processus est simple : l’Etat donne accès à la plantation. Les fruits du palmier à huile ne sont pas stockables, ce qui structure le développement : on construit d’abord l’usine, puis après seulement on organise. Comme l’Etat anime les projets, il y a un gain de productivité. Pour revenir sur le label lié à la RSPO, il pense que ce dernier n’est pas cher et est facile de l’obtenir.

 

Pour changer de sujet, j’ai ensuite parlé de techniques développées autour de la culture du palmier à huile. Par exemple, je lui ai demandé, en référence à certains de ses arguments présents dans le livre La palme des controverses ou d’autres interviews de lui, pourquoi on n’employait pas d’OGM pour le palmier à huile. Il a répondu en souriant que cela était trop compliqué, à cause du trop grand nombre de gènes que cela impliquait : « vous parlez à quelqu’un qui a essayé ». Toutefois la recherche continue… Ainsi, à la place, pour améliorer le rendement, les chercheurs du CIRAD se contente aujourd’hui de la génétique classique, c’est-à-dire la sélection des espèces par hybridation, c’est long mais a marche.

 

L’autre technologie, très utilisé pour améliorer ce rendement, ce sont les engrais. En effet, les engrais ils représentent entre 40 et 50% du coût d’exploitation. Il faut donc bien réguler son usage, recycler la matière organique, faire des semences plus exigeantes … Il a tout de même ajouté que les petits exploitants n’avaient pas accès, à cause des coûts, à l’engrais. Ce sont les industriels qui l’emploient, avec des analyses des sols, des feuilles, de la nutrition des arbres, l’installation de station de compostage (qui génère un peu de pollution organique : méthane, énergie d’ailleurs récupérable…).

 

On a rapidement parlé des biocarburants, qui représentent 1% de la consommation d’huile de palme : ce n’est pas une très grande avancée technologique.

 

Sachant qu’il revenait d’Indonésie, je lui ai demandé ce qu’il faisait là-bas, il m’a expliqué qu’il était en mission à Bali pour des recherches en partenariat avec WWF, où ils font notamment le point sur les grands projets en cours, base scientifique nécessaire.

 

Au cours de l’interview, il a notamment rappelé que le CIRAD avait une position neutre, lorsqu’il évoque rapidement des accords entre GreenPeace et les industriels.

 

Il a également parlé du fait qu’il encadrait de nombreux doctorants dans des missions de recherche, des missions de coopération ou de politique de coopération française.

 

A ce stade de l’interview, je décide de le lancer sur un sujet moins habituel. Nous savons que le CIRAD commercialise des souches hyper productives pour le palmier à huile. Il réagit en expliquant que ces souches sont un mandat du CIRAD, lié aux recherches, et qu’ils transfèrent à d‘autres industriel ces souches pour la production. Ils disposent surtout de la propriété intellectuelle. Toutefois, quand j’insiste en demandant si ce type de « commerce » influence leur avis sur la controverse, il me répond que dans le meilleur des cas, cela allège un peu les subventions du CIRAD (max 1M€ de gain si très bonne année), mais que cela ne change pas grand-chose. Il considère donc en toute connaissance de cause que le CIRAD reste une institution neutre. Il explique aussi que l’INRA a fait de même. Coopération/recherche et industriel/commercial sont compatibles. Il ne faut pas oublier où il travaille : création d’une filiale. « Si on veut avoir un impact, il faut aller jusqu’au bout et avoir un résultat concret à fournir », a-t-il ajouté. Il a rappelé que nous avions accès à toutes les données : argument de transparence.

 

Enfin, quand je lui ai demandé si son avis personnel vis-à-vis de l’huile de palme se détachait de celui des autres membres du CIRAD, il a dit qu’il ne pensait pas. Il explique qu’il y a toutefois plusieurs approches (économiques, écologistes, agronomiques…) au sein du CIRAD. Chaque année ils ont un débat en interne au mois de Juillet. Ils vont d’ailleurs bientôt publier un ouvrage intitulé « 36 visions de l’huile de palme ». Mais dans toutes ces approches, ils n’ont pas la vocation de la santé. Il me recommande alors de consulter Philippe Legrand (biochimiste) ou Jean-Michel Lecerf (médecin).

 

Il détaille d’ailleurs le profil de ces 2 personnes, notamment Philippe Legrand qui a effectué une méta-analyse (i.e. analyse des analyses déjà effectuées) sur la santé et le palmier à huile où les propos positifs et négatifs, statistiquement, sont équilibrés.

 

L’entretien s’est terminé autour de la régulation éventuelle et la communication sur l’huile de palme en UE. Il commence en disant que la taxe Nutella est une aberration scientifique (un équivalent, la Fat Tax avait été fait au Danemark, et ce fut aussi un échec). D’ailleurs Ferrero n’a enregistré aucune baisse dans ses ventes au cours de la polémique. L’UE représente 15% du marché de l’huile de palme. Quantitativement, c’est intéressant, mais pas qualitativement (retombées sur les autres marchés).

 

Le dernier point fut la mention « sans huile de palme ». A Rival explique que 60% des produits portant cette mention ne possède à la base pas d’huile végétale. De plus la mention « sans » indique une idée de risque, alors que c’est faux. Cette mention ne repose sur aucune base scientifique, c’est du pur marketing. Malheureusement cela alimente la controverse qui est brouillée et entretenue. Car, c’est souvent par là qu’elle est prise, alors que le problème est ailleurs (cohabitation et non pas santé).

 

*CIRAD – Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement : Centre de recherche français, sous double tutelle des ministères de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et des Affaires Etrangères. Le CIRAD produit des solutions (agronomiques, sociales…) pour le développement des pays du Sud.

*RSPO – Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour une huile de palme durable) : organisme réunissant des ONG, des producteurs, des investisseurs et des consommateurs d’huile de palme. Ils cherchent à améliorer la filière et à la rendre durable, notamment grâce au label CSPO.