Si les faits sont indéniables, la provenance des feux reste sujette à controverse, particulièrement en Asie du Sud-Est. Selon le WWF*, la RSPO* assume que 36% de l’expansion due au palmier à huile entre 1990 et 2010 a provoqué un déboisement direct (dont au moins une partie par brûlis) sur les territoires de Malaisie, Indonésie et Papouasie Nouvelle Guinée [1]. Toutefois, sont-ce les petits producteurs pratiquant cette technique depuis des générations, ou bien les grandes exploitations agricoles, et notamment de palmier à huile, qui provoquent ces incendies ?
Les compagnies agricoles nient avoir un lien avec les incendies, revendiquant une pratique du « zero-burning ». La firme Sime Darby précise sur son site : « We first introduced the zero burning technique in 1989 and it has since been adopted as an industry best practice. Zero burning is the practice of felling and shredding old stands of oil palms before leaving the oil palms to decompose in situ. This technique at replanting helps preserve and restore the chemical balance and fertility of the soil by returning organic matter to it and reduces associated greenhouse gas emissions and the risk of uncontrolled forest fires. » (Nous avons été les premiers à introduire la technique du »zero-burning » en 1989, et elle a alors été reconnue comme la meilleure pratique industrielle.Le »zero-burning » consiste à couper et broyer les anciens plants de palmier avant de les laisser se décomposer in situ. Cette technique aide à préserver l’équilibre chimique et la fertilité du sol au moment de replanter, car elle permet à la matière organique de retourner à la terre et elle réduit les émissions de gaz à effet de serre associées ainsi que le risque de feux de forêts incontrôlés). [2]
Les industriels suggèrent une origine accidentelle due soit à la négligence lors de la pratique de ces technique ancestrales, soit à la présence humaine indépendamment de toute pratique agricole (par exemple, l’allumage aurait été dû à des mégots mal éteints). Avant 1997, les principaux accusés étaient les petits fermiers, rapporte un journaliste pour Courrier International [3].
Il faut savoir que « les populations qui y habitaient de longue date [en Indonésie, en 1997-1998] étaient habituées, pour défricher la forêt et la brousse, à se servir du feu comme d’une sorte d’outil légal leur permettant de revendiquer leurs droits historiques aux terres allouées dans les concessions forestières; au titre de la loi indonésienne, les petits exploitants peuvent accéder beaucoup plus facilement aux forêts ou aux terres agricoles défrichées qu’aux forêts naturelles ou aux plantations de palmiers. », selon le spécialiste des questions relatives aux ressources naturelles David Taylor écrivant pour la FAO. [4]
Pour les ONG environnementalistes et humanitaires et leurs sympathisants, la culpabilité des compagnies ne fait aucun doute. Il existe des pénalités financières pour qui cause la perte par incendie des jardins forestiers, ces petits îlots de terres cultivées par ces mêmes agriculteurs traditionnels au milieu de la forêt. Ne pouvant se permettre ces amendes, ils ne prennent pas le risque d’allumer un feu en période de sécheresse, comme ce fut le cas en 1998. Ils connaissent parfaitement la forêt et savent à quel point la propagation des flammes est difficile à maîtriser. [5]
Plus directement, les ONG invoquent des preuves à charge. Tout d’abord, l’utilisation de photos satellite prises durant ces incendies de 1998 a montré que le départ des feux avait eu lieu sur les concessions des compagnies agricoles, en majorité des concessions vouées à la culture de palmier à huile. Des témoignages, ensuite : « A former company employee stated that when PT Matrasawit was burning to clear the forests, he observed three orang-utans dying in the flames. » (Un ancien employé de la compagnie a rapporté que lorsque PT Matrasawit provoquait des feux pour nettoyer la forêt, il a pu voir trois orangs-outans agonisant dans les flammes) peut-on lire dans le rapport Greasy Palms des Amis de la Terre* [6].
Si les petits agriculteurs ne pratiquent pas l’activité illégale qu’est le brûlis pour leurs propres terres, ils pourraient le faire pour le compte des compagnies éléaicoles contre rémunération. Des ONG comme Oxfam* ou Les Amis de la Terre soutiennent cet argument [6] [7]. « Although it is notoriously difficult to prove, there is little doubt that within these areas, most fires were lit by company staff or locals paid by the company. » (Bien que la difficulté pour le prouver soit notoire, il y a peu de place pour le doute : dans ces zones, la plupart des feux ont été allumés par des salariés de la compagnie ou des locaux payés par la compagnie.), lit-on dans le rapport cité plus haut.
Dans les deux cas, l’argument économique est invoqué. L’avantage est en effet indéniable lorsqu’on sait que le nettoyage d’une zone forestière peut atteindre 20% des coûts de préparation des sols pour l’agriculture en Indonésie. Le brûlis est la technique la plus rapide et la moins chère, rapportent les Amis de la Terre [6].
*WWF – World Wild Fund (Fonds mondial pour la nature) : ONG environnementaliste œuvrant pour la protection des espèces en danger, la préservation des ressources naturelles et des écosystèmes, ainsi que la promotion d’une transition énergétique respectueuse de l’environnement.
*RSPO – Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour une huile de palme durable ) : organisme réunissant des ONG, des producteurs, des investisseurs et des consommateurs d’huile de palme. Ils cherchent à améliorer la filière et à la rendre durable, notamment grâce au label CSPO.
* Les Amis de la Terre – Friends of the Earth : ONG environnementaliste cherchant à réparer les dégâts causés par l’homme sur la nature et promouvant en particulier la participation de la société civile dans la prise de décision autour de la gestion des ressources naturelles.
*Oxfam International : ONG humanitaire qui lutte contre la pauvreté et milite pour faire entendre la voix des populations pauvres dans les décisions nationales et internationales.
[1] WWF, Palm Oil Buyers Scorecard – Measuring the progress of palm oil buyers (2013)
[2] SIME DARBY, website
[3] COURRIER INTERNATIONAL, Incendies en chaîne : les grands fabricants d’huile de palme au banc des accusés (1997)
[4] TAYLOR D. (FAO), Lorsque les conflits intéressent les forêts
[5] GRUNDMANN E., Un Fléau si Rentable – Vérités et mensonges sur l’huile de palme (2013)
[6] WAKKER E., Greasy Palms : The social and economical aspect of large scale oil palm plantation (2005)
[7] OXFAM, website