En France, la controverse sanitaire a connu une dynamique temporelle à remarquer, que nous allons préciser.
Les ONG environnementalistes, dont les Amis de la Terre* [1] affirment que nous consommons trop d’acides gras saturés et proposent de limiter notre consommation d’huile de palme, qui en contient. Les élus politiques également semblent penser qu’il faut limiter la consommation de cette matière grasse. En France par exemple, l’amendement Nutella, partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale avait pour but « la multiplication (par un facteur 4) de la taxe fiscale sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah destinées à la consommation humaine » [2]. Cela ne représentait qu’une faible augmentation sur le prix des pots de Nutella mais la vague de contestation qui a suivi cette proposition d’amendement a entraîné son abandon. Les consommateurs ont par exemple attaqué cette taxe sur le net, grâce à Facebook : « Du côté des consommateurs, on trouve le groupe «Touche pas à mon pot, non à la taxe Nutella» [3]. Les élus ne sont néanmoins pas unanimes sur la problématique : Catherine Procaccia*, sénatrice du val de Marne affirme « L’huile de palme subit une terrible campagne de dénigrement. Elle est un bouc émissaire idéal » [4] : elle est opposée à toute législation visant à limiter notre consommation d’huile de palme.
Les industriels quant à eux, notamment Ferrero qui produit le Nutella, affirment que l’huile de palme est un produit plutôt bon pour la santé. Ils utilisent à ce moyen des pages de publicité pour « vanter les mérites » de leur huile [2] :
Les associations de consommateurs quant à elles comme UFC que choisir cherchent à rétablir la vérité sur ce produit, en décryptant les campagnes de publicité :
L’UFC montre ici que, certes l’huile de palme n’est pas un produit nocif, mais que la composition du Nutella en fait « une gourmandise comme une autre » et qu’il faut donc en avoir une consommation raisonnable.
Enfin les chercheurs, selon la thèse qu’ils soutiennent vont avoir des discours opposés sur les effets sanitaires : elle augmente le risque de contracter des maladies cardio-vasculaires [5] ou au contraire le diminuent [6].
Ce sont alors les nutritionnistes, voulant s’extraire de la controverse, qui se positionnent en arbitres. Comme l’affirme le Dr Jean Michel Lecerf*, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, une consommation modérée de cette matière grasse ne pose pas de problème : « Un aliment n’est pas un poison, le Nutella n’est ni extraordinaire, ni à bannir ». Ce que confirme le Dr J.Y. Nau* : « L’huile de palme n’est pas un poison dès lors que l’on sait raison garder » [2]. Le Dr Lecerf affirme qu’aucune étude fiable n’a montré de corrélation entre la consommation d’huile de palme et le risque de contracter une maladie cardio-vasculaire. Plusieurs agronomes rejoignent cette idée. Les agronomes A. Rival* et P. Levang* expliquent dans La palme des controverses : « Pour les corps gras comme pour tous les autres composants de notre alimentation, c’est la dose qui fait le poison ». L’argument sanitaire est donc, pour eux, seulement récupéré pour d’autres buts, comme la défense de l’environnement.
Pour en savoir plus : voir notre entretien avec Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition à l’Institut Pasteur de Lille.
La controverse sanitaire sur l’huile de palme a été progressivement apaisée dans le milieu scientifique, en érigeant les spécialistes en arbitre. Ces derniers affirment qu’une consommation maîtrisée de ce produit ne pose aucun problème et responsabilisent ainsi le consommateur sur ses habitudes alimentaires. Le rapport commandé en 2012 par le Fond Français Alimentation et Santé à des experts de la problématique (Alain Rival, Odile Morin* et Jean Michel Lecerf) pour informer le public globalement sur l’huile de palme arrive déjà à cette conclusion que confirme Jean Michel Lecerf en entretien. Aujourd’hui, les spécialistes sont quasiment unanimes comme l’affirme C. Procaccia*, sénatrice du Val de Marne : « j’ai été étonnée que des médecins, des spécialistes reconnus – experts en matière de cardiologie, de nutrition – aient pris position avec autant de certitude sur l’innocuité de l’huile de palme. Je ne crois pas que ces personnes auraient pu affirmer « qu’il n’y a pas de danger avec l’huile de palme » si ce n’était pas une réalité scientifique » [4].
Les consommateurs s’inquiètent pourtant toujours de consommer ce produit d’autant plus que les hommes politiques et les ONG environnementalistes telles que les Amis de la terre [1] jouent sur cette inquiétude pour étayer leurs thèses économiques : la surconsommation de matières grasses est responsable du sous financement de la sécurité sociale, et écologiques : le palmier huile est à l’origine d’une déforestation sans précédent.
Pour en savoir plus sur les problématiques environnementales.
On peut donc récapituler le déroulement de la controverse sanitaire sur une frise chronologique :
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On retiendra de cette partie qu’après une période où l’huile de palme a été considérée avec méfiance, la controverse s’est donc stabilisé autour de plusieurs groupes. Les spécialistes de la santé qui la jugent inoffensive, les ONG environnementalistes qui la décrient et les consommateurs qui manquent d’information.
* Les Amis de la Terre : ONG créée en 1969 pour la protection de l’homme et de l’environnement. Elle est présente dans 76 pays.
* Catherine PROCACCIA : Sénatrice du Val-de-Marne qui a participé au Symposium sur l’huile de palme en 2013.
* Jean-Michel LECERF : Médecin nutritionniste, chef du service nutrition de l’institut Pasteur de Lille et spécialiste sur la question sanitaire de l’huile de palme.
* Jean-Yves NAU : Médecin français spécialiste de biologie et bioéthique. Il collabore avec de nombreux quotidiens dont le Monde ou la Revue Médicale Suisse.
* Alain RIVAL : Agronome, correspondant pour la filière « Palmier à huile » au sein du CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement).
* Patrice LEVANG : Agronome et économiste, directeur de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement).
* Odile MORIN : Responsable de la communication scientifique de l’ITERG (Institut des Corps Gras)
[1] LES AMIS DE LA TERRE, Arnaque à l’huile de Palme durable. (Mai 2011)
[2] NAU J.Y, Avec Nutella, le plaisir et les péchés sont là, Revue médicale Suisse (05/12/2012)
[3] La révolte des consommateurs contre la Taxe Nutella, Contrepoints (20/11/2012)
[4] http://www.huiledepalmesante.org/ Blog politique sur la controverse sanitaire de l’huile de palme et les perspectives de régulation
[5] BROWN E. et al., Cruel Oil : How Palm Oil Harms Health, Rainforest & Wildlife (Mai 2005)
[6] EBONG P.E et al., Influence of palm oil (Elaesis guineensis) on health, Plant Foods for Human Nutrition, VOL.53, p. 209-222 (1999)