Les techniques de plantation nuisent à la faune
La déforestation induite par l’éléaiculture parcelle la forêt primaire en îlots forestiers entre lesquels se déploient les plantations, soulignent certains chercheurs européens [1]. Or si maintenir ces zones de forêt permet de verdir l’image d’une compagnie, ce n’est pas d’une grande utilité pour la conservation de la faune, puisque ces forêts isolées n’abritent que les mêmes espèces que l’on trouve dans les plantations. La primatologue E. Grundmann* témoigne : « Entrez dans ces îlots isolés et vous verrez que ce n’est qu’une forêt vide, n’abritant aucun mammifère, aucune chauve-souris, aucun reptile. Rien ou, au mieux, des espèces très communes. » [2]. L’autre problème que soulève ce découpage de la forêt est qu’il ne permet aucun brassage génétique, « essentiel à la survie d’une espèce » [2]. C’est pourquoi il faut, d’après la chercheuse qui s’appuie sur des travaux du professeur L.P. Koh*, promouvoir les « corridors écologiques », soit des liens forestiers entre ces îlots, des voies de circulation pour les espèces.
Les incendies provoqués par l’usage de la technique du brûlis sont également un facteur de perte de biodiversité. A propos des incendies de 1997-98, Les Amis de la Terre* citent le Premier Ministre d’alors : « Wildlife, natural habitats, and ecosystems in the worst affected areas were devastated beyond recovery. » (La vie sauvage, les habitats naturels, et les écosystèmes des régions les plus affectées ont été dévastés au-delà des possibilités de récupération) [3].
Un label tel que celui proposé par la RSPO* n’est d’aucun secours selon J. Frignet, porte-parole de Greenpeace*. Au cours de notre entretien, il a en effet décrit sa vision de la politique des membres de la Table Ronde : si l’on rase un morceau de forêt, la faune changera d’habitat et ira s’installer ailleurs puisque la forêt est grande. Or cela ne fait que déplacer le problème. Où ira la faune lorsque toute la forêt sera convertie en plantations ?
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La biodiversité présente dans les plantations n’est pas celle des forêts primaires
L’impact du palmier à huile est non négligeable selon diverses études. Les agronomes A. Rival* et P. Levang* font la remarque suivante : « La conversion d’une forêt primaire en plantation monospécifique de palmiers à huile est sans conteste un désastre écologique. Après le passage des bulldozers et du feu il ne reste plus grand-chose de la biodiversité floristique et faunistique, ni des habitats des innombrables espèces vivant dans la forêt. » [4]. L’anthropologue J. Linder appuie leur point de vue en déclarant à propos de la création de plantations au Cameroun : « l’importante biodiversité de la région sera mise en grand danger », paroles reprises par l’ONG Greenpeace dans le cadre d’un document critiquant les plantations en cours ou programmées en Afrique [5].
Citant des chiffres provenant d’études malaisiennes, britanniques et norvégiennes, l’ONG Les Amis de la Terre rendent comptent du fait que les plantations de palmier à huile ne peuvent être le support que d’une biodiversité représentant entre 0 et 20% des espèces de mammifères, de reptiles et d’oiseaux présentes dans la forêt primaire initiale (« Research has shown that an oil palm plantation can support only 0 – 20% of the species of mammals, reptiles and birds found in primary rainforest. ») [3]. On retrouve cet ordre de grandeur dans l’article How will oil palm affect biodiversity, publié par un collège de chercheurs du Royaume-Uni, du Danemark et d’Allemagne : « Across all taxa, a mean of only 15% of species recorded in primary forest was also found in oil palm plantation. » (En tenant compte de toutes les familles d’animaux, ce n’est qu’environ 15% seulement des espèces enregistrées dans les forêts primaires qui ont également été trouvées dans les plantations de palmier à huile) [1].
Si la biodiversité des palmeraies est moins riche que celle des forêts primaires en termes de quantité, elle l’est aussi en terme de qualité. En effet, les espèces présentes dans les plantations ne sont pas endémiques. Selon E. Grundmann, primatologue, ce sont « des aliens, des envahisseurs » [2]. L’article cité plus haut analyse des documents proposant eux-mêmes des études sur des plantations. Si les documents faisaient état d’une riche biodiversité, les plantations étaient en fait typiquement dominées par quelques espèces généralistes, globalement abondantes, des espèces non forestières (parmi lesquelles des espèces étrangères envahissantes) et des nuisibles (« Plantation assemblages were typically dominated by a few abundant generalists, non-forest species (including alien invasives) and pests ») [1].
Des biais de calcul
Dans ce même article, réalisé par des chercheurs européens, est fait mention des biais de calcul qui peuvent induire des résultats favorables à la présence des palmeraies. Ainsi, une étude réalisée sur les abeilles, qui avait conclut à la présence de davantage d’espèces dans les plantations que dans la forêt, est critiquée : la canopée, riche réservoir de biodiversité, n’avait pas été prise en compte dans l’analyse. Les recensements effectués dans les plantations peuvent aussi tenir accidentellement compte des espèces vivant dans la forêt, chassées de leur habitat, et en transit vers une autre zone forestière (à opposer aux espèces vivant dans les plantations). « Finally, a time lag between habitat loss and extinction might lead to the recording of some species in oil palm plantations that cannot ultimately persist there. » (Finalement, le laps de temps entre la perte de l’habitat et l’extinction de l’espèce peut éventuellement conduire à l’enregistrement d’espèces dans les palmeraies, espèces qui ne persisteront pas dans cette zone) [1].
*Emmanuelle Grundmann : Biologiste, primatologue et naturaliste. Ce sont ses travaux sur l’orang-outan, en Indonésie, qui l’ont d’abord conduite à s’intéresser à la question du palmier à huile.
*Lian Pin Koh : Maître de conférences associé à la Chaire Applied Ecology and Conservation (Ecologie Appliquée et Conservation) de l’Environmental Institute et de la School of Earth and Environmental Sciences (Australie).
*Les Amis de la Terre – Friends of the Earth : ONG environnementaliste cherchant à réparer les dégâts causés par l’homme sur la nature et promouvant en particulier la participation de la société civile dans la prise de décision autour de la gestion des ressources naturelles.
*RSPO – Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour une huile de palme durable ) : organisme réunissant des ONG, des producteurs, des investisseurs et des consommateurs d’huile de palme. Ils cherchent à améliorer la filière et à la rendre durable, notamment grâce au label CSPO.
*Greenpeace : ONG environnementaliste luttant dans des domaines aussi variés que la déforestation, le nucléaire ou la protection des océans, d’abord par l’enquête et la concertation, puis l’alerte au grand public via des actions, souvent médiatiques – et médiatisées – qui visent à faire pression sur les industriels.
*Alain Rival : Agronome, correspondant pour la filière « Palmier à huile » au sein du CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement).
*Patrice Levang : Agronome et économiste, directeur de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement).
[1] FITZHERBERT E. B. et al., How will oil palm expansion affect biodiversity (2008)
[2] GRUNDMANN E., Un fléau si Rentable – Vérités et mensonges sur l’huile de palme (2013)
[3] WAKKER E. (Les Amis de la Terre), Greasy Palms – The social and economical aspects of large scale oil palm plantation (2005)
[4] RIVAL A. et LEVANG P., La palme des controverses – Palmier à huile et enjeux de développement (2013)
[5] GREENPEACE, La dernière frontière de l’huile de palme en Afrique (2012)