Jerôme Frignet

Jérome Frignet est un porte-parole de Greenpeace* chargé de la campagne « Forêts » au sein de Greenpeace France, qui s’est notamment concentré sur le problème posé par l’huile de palme aux yeux de l’ONG. Il participe notamment à l’élaboration de nombreux rapports de Greenpeace sur le sujet et rencontre d’autres experts dans ce domaine, notamment Alain Rival du CIRAD.

 

Compte rendu de l’entretien

 

Il était très attaché à mettre en valeur le fait que Greenpeace n’est pas en faveur d’un boycott total de l’huile de palme. Ils sont pour une responsabilisation de la production. En effet, l’huile de soja, de colza ou de tournesol est aussi usant pour les sols que l’huile de palme mais son exploitation est plus faible donc moins contraignante pour l’environnement.

 

Pour Greenpeace, la production durable de l’huile de palme est la principale préoccupation. Les problèmes sont donc diverses à ce sujet :

      • l’huile est produite trop loin des pays consommateurs, donc l’empreinte carbone est très importante
      • La monoculture est très mauvaise pour les sols et l’environnement
      • La déforestation est inacceptable.

 

J’ai ensuite évoqué les labels tels que ceux de la RSPO* pour approfondir le sujet de la déforestation.

 

Greenpeace est très critique quant à ce label qui certifie l’huile de palme comme produite durablement. Les failles relevées sont nombreuses :

      • le label n’inclue pas de mesure en faveur de la lutte contre la déforestation, il ne semble pas en tenir compte
      • les mesures misent en place ne sont pas suffisamment bien appliquées
      • les critères de la charte RSPO ne sont pas respectés, il n’y a pas d’exigence minimale de qualité
      • les bureaux d’étude en charge de certifier une plantation « RSPO » ne sont pas qualifiés, ou sont à la solde de l’industriel qui exploite l’huile.

 

Cette dernière critique peut être illustrée par une mission qu’il a réalisé au Libéria, le bureau d’étude ne connaissait même pas la signification de la dénomination « forêt à haute valeur de conservation ». Ils ne faisaient pas non plus de cartographie de la plantation avec ce type de forêt, alors que celle-ci est nécessaire. De plus, le concept de forêt primaire peut être aménagé et compris différemment par chaque industriel. Une forêt, qui paraît tout-à-fait primaire peut être rasée parce qu’une petite exploitation de bois a été mise en place dans un passé lointain et donc la forêt peut être décrite exploitable (par exemple au Gabon).

 

Le concept de forêt à haute valeur de conservation est en fait un concept destiné à l’exploitation forestière et non agricole. Il n’y a pas d’interdiction de planter sur une telle zone. Ces éléments sont relatés dans le rapport de Greenpeace paru en Septembre à propos de Sumatra auquel Jérome Frignet fait ensuite allusion.

 

Jérome explique alors ce que pensent les membres de la RSPO et les industriels. Si on détruit un bout de forêt primaire, les animaux changeront d’habitat et iront s’installer dans une autre partie de la forêt primaire, cependant si on déforeste tout, ce système ne marche plus. Le problème majeur de la RPSO pour Greenpeace est qu’elle ne réduit pas le déboisement, elle n’a pas d’impact sur la déforestation, donc est inutile.

 

Greenpeace s’intéresse aussi à l’aspect social de la question. L’association stigmatise les conflits sociaux amenés par l’huile de palme et l’appauvrissement des communautés.

Frignet prend alors exemple sur le Libéria, pays dans lequel il n’existe pas de reconnaissance d’appartenance d’un territoire à un peuple vivant dessus, c’est l’état qui possède tout et donc qui a tout pouvoir d’expulser les communautés afin de mettre en place une exploitation agricole d’huile de palme. Greenpeace veut donc pouvoir aider les communautés à clamer leurs droits.

 

Les pays visés par les mesures prisent par Greenpeace sont d’abord l’Afrique, qui est encore inexploité et qui consiste le futur terrain de jeu des gros producteurs d’huile de palme indonésiens. En effet, l’Indonésie est arrivé à bout de ses capacités d’expansion des exploitations mais veut pourtant doubler la production d’huile de palme d’ici 2020. Ils comptent donc sur le négoce. Le négoce consiste à déléguer l’exploitation d’huile de palme en Indonésie à des plus petits exploitants et commercialiser les matières extraites, tout en allant s’implanter en Afrique en créant de nouvelles zones d’exploitation. Le négoce est donc visé par Greenpeace.

 

Greenpeace a aussi une forte capacité d’influencer les entreprises car l’association peut leur nuire. Elle peut donc leur demander un engagement publique à propos d’échéance précises sur les approvisionnements en huile de palme durable. Elle s’est donc faite alliée de Nestlé et Unilever, deux compagnies majeures sur ce marché. Ceci a permis de déclencher le processus de production d’huile sans déforestation qui est le but final de Greenpeace. En effet, l’huile sans déforestation est plus chère, donc les producteurs ne sont pas sur qu’elle sera achetée par les industries et donc ne veulent pas en produire en quantité, et de l’autre côté, les industriels n’osent pas se lancer dans l’utilisation exclusive de cette huile de peur de manquer de ressource. La situation est donc bloquée si personne n’accepte de faire le premier pas.

 

Les banques telles que la BNP sont aussi visées car elles financent des projets. Greenpeace leur demande donc de ne financer que des projets durables, c’est-à-dire des projets sans déforestation et respectant les valeurs sociales. BNP possède donc une black list de producteurs qu’elle ne doit pas financer.

 

Les résultats sont assez probants. La France est particulièrement impliquée dans la question de la production d’une huile de palme durable. En effet, une alliance d’industrie a été crée et une charte a été mise en place engageant les signataires à utiliser une huile 100% durable. Les pouvoirs publiques eux-même ne financent pas, dans le programme d’aide au développement, des projets incluants de la déforestation.

 

La conclusion portait sur les orang outangs et les tigres de Sumatra. Eviter l’extermination de ces espèces en danger de disparition n’est pas le principal but de Greenpeace, mais les orang outangs ont servi à populariser la controverse autour de l’huile de palme et donc lui donne un impact plus important. Il en est de même pour la controverse au sujet de la question sanitaire.

 

*Greenpeace : ONG environnementaliste luttant dans des domaines aussi variés que la déforestation, le nucléaire ou la protection des océans, d’abord par l’enquête et la concertation, puis l’alerte au grand public via des actions, souvent médiatiques – et médiatisées – qui visent à faire pression sur les industriels.

*RSPO – Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour une huile de palme durable) : organisme réunissant des ONG, des producteurs, des investisseurs et des consommateurs d’huile de palme. Ils cherchent à améliorer la filière et à la rendre durable, notamment grâce au label CSPO